Qui l’aurait cru ? Les premiers blancs arrivés au Rwanda au tout début du XXème siècle ont été qualifiés de « sauvages » par les rwandais!
Était-ce pour ainsi dire les hommes à civiliser ?
C’est une histoire qui paraîtrait invraisemblable ou pour le moins inventée de toute pièce, mais une chose est sûre, les premiers blancs ont été vite affublés de jugements négatifs et traités notamment de sauvages par les rwandais.
Ce qui est fort intéressant en effet, c’est ce croisement du mot « sauvage » qui était déjà courant dans le vocabulaire européen, désignant ainsi des sociétés dites primitives, en l’occurrence africaines. Pour l’européen, le peuple primitif « sauvage » est un barbare, un rustre qui vit à l’état animal.
Le primitif n’a pas acquis de bonnes manières de vivre et il faut le lui apprendre…
En ce début du 20ème siècle, l’européen définit l’autre « étranger » en se prenant pour référence, se basant sur son mode de vie propre. Il est le centre du monde.
Au Rwanda tout comme ailleurs dans les territoires colonisés, un simple geste et attitude des populations locales sont associés à leur primitivité. Ce reportage du Père Léon Classe en 1900 en est une belle illustration (Nsengimana I., 2003:284) :
«La vue d’une maison de quatorze mètres plongeait au début nos bons noirs dans une grande perplexité (…). Notre manière de bâtir devait donc dérouter toutes leurs traditions.
(…) – Les blancs construisent du matin au soir (disaient les rwandais), l’herbe est remplacée par la terre, les briques s’entassent les unes sur les autres » (…)
– Pourquoi faites-vous des maisons avec tant de terres, disaient-ils.
– Est-ce que vous dormirez là dedans ? – Quand il pleuvra, la maison vous tombera sur le dos. Je n’oserais jamais y entrer !
– Si j’y entre, entreras-tu ? Avec toi, oui, mais seul jamais(…).
Les fenêtres à leur tour les intriguent.
– A quoi peuvent-ils bien servir ces petites portes d’accès si difficiles! » (…).
Chaque jour nous amène des curieux. ( …). Après le catéchisme, les rwandais viennent faire la causette comme ils le disent, et voir les choses d’Europe (…). Ce sont du reste de grands enfants, pour qui tout est nouveau, ils s’extasient devant une image, un miroir, un rien, ce tic tac d’une montre leur fait pousser des cris d’étonnement : « elle parle », disent-ils. Une image de la bonne Mère tenant en ses bras le divin Enfant les laisse dans l’admiration ».
L’arrivée des premiers blancs n’a pas laissé les rwandais dans l’indifférence. Les rwandais n’ont pas en effet connu la traite négrière mais en avaient déjà entendu parler dans les pays voisins. La plupart des africains ne connaissaient pas en revanche la destination des hommes vendus, ni la finalité de ce commerce si prolifique. Ils étaient persuadés que les noirs servaient de bons repas aux blancs et cette nouvelle s’était répandue partout en Afrique, comme l’écrit Pierre Erny (1999).
Pour le cas du Rwanda, les rumeurs ont été parfois alimentées par le matériel iconographique distribué par les missionnaires à des fins didactiques (évangélisation).
L’image du cœur de Jésus transpercé par la lance a été un bel exemple de la rumeur qui a fait une sacrée démonstration de l’anthropophagie blanche. L’image distribuée au Rwanda sur tous les villages, a inversement produit des effets spectaculaires inattendus. Elle a été détournée de son signifié premier (donné par l’église catholique) pour lui charger d’une autre interprétation : « vous vous rendez compte, les blancs arrachent les cœurs des enfants pour s’en régaler pendant les jours de fêtes ! »
Dans son livre « L’évangélisation du Rwanda (2005)», Fortunatus Rudakemwa rapporte une autre rumeur selon laquelle les blancs tuaient les enfants pour nourrir « Nyirarupfu » (Mère de la mort) de leurs corps.
Les blancs ont donc fait venir d’Europe cette femme pour la régaler de la chair de jeunes rwandais ! Nyirarupfu était déjà connue dans la mythologie rwandaise : lorsque la mort était poursuivie par les chasseurs (il y a bien longtemps !!), cette vieille femme l’a sauvée en la cachant dans ses vêtements. Dès lors, elle l’a transmise, de génération en génération, rendant ainsi les rwandais mortels alors qu’ils ne l’étaient pas auparavant !!
Les rumeurs fomentées souvent par les parents et l’autorité traditionnelle ont particulièrement les enfants pour cible. Les parents veulent garder leurs enfants auprès d’eux pour le travail domestique, les empêchant ainsi de fréquenter l’église et l’école nouvellement créées. L’autorité traditionnelle cherche, quant à elle, à couper le pont entre les rwandais et les européens, futurs concurrents.
Le mode de vie de l’homme blanc intrigue les rwandais !
Vivant souvent retranché dans sa maison, seul ou en nombre très réduit, l’homme blanc semble se satisfaire de cette vie isolée. Les blancs appelés « rutuku » (les rouges) n’organisent jamais de veillées nocturnes où sont invités les voisins sans distinction pour boire, réciter la poésie bovine ou guerrière, chanter et danser à la rwandaise!
L’homme blanc dispose en outre, de capacité de protection hyper sophistique, avec notamment des fusils qui tuent rapidement et massivement.
Les blancs ont d’autres comportements effarants aux yeux des rwandais : ils mangent partout notamment sur des lieux publics, ils racontent à tout va la composition de leur plat (les rwandais peuvent raconter ce qu’ils boivent et non ce qu’ils mangent), etc. Les rwandais n’ont d’autres mots que de les appeler « ibisimba » (les bêtes sauvages), les comparant aux hyènes et aux lions.
Les rwandais sont bien persuadés, que les blancs ne sont pas « des hommes » ou pour le moins des hommes mais ne leur ressemblant sur aucun point. Ils sont donc des hommes « sauvages ».
Pour certains rwandais, les blancs n’ont pas de peau.
Pour d’autres, leur peau est d’une couleur bizarre, rouge, ressemblant à celle des bébés alors qu’ils sont bien grands.
Ils sont appelés « Ibihinja byakuze « les bébés qui ont grandi ou les grands bébés ».
Là, on retrouve de nouveau le croisement du même emploi terminologique : les blancs parlent de « grands enfants » pour nommer les rwandais (sous entendre les noirs en général), ces derniers parlent à leur tour de« grands bébés »pour désigner « les blancs ».
D’après les recherches menées, je vous propose certains témoignages recueillis au Rwanda à l’époque auprès des missionnaires blancs:
– « Le blanc n’est pas un homme, il n’a pas de peau, il n’y a pas d’amis pour lui » (à lire dans le livre de Pierre Erny : 2001 :22)
– « On entend dire sur notre compte des choses les plus atroces (les propos d’un missionnaire). Entre autres nous mangeons les cœurs des enfants, le fait est plus que certain » (voir le livre de Nsengimana Innocent: 2003 : 253)
– « Comme nos jeunes catéchistes cherchaient surtout les enfants pour les instruire, le bruit se répandit que nous avions à la station « Nyirarupfu » (Mère de la mort) » (idem : p.241)
– « Les sorciers contribuent pour beaucoup à cette manière de faire, car, ils répandent le bruit que les prêtres et les chrétiens tuent les enfants en leur administrant un remède tout à fait mystérieux » (idem : p.263)
– « Les Européens sont appelés des « hyènes » ou des « monstres », de là, le blanc dégage une abominable odeur de cadavre » (idem : p.272)
– « Il existe un long tunnel creusé par les blancs, ayant son issu en Europe. L’entrée du tunnel est couverte de tapis sur lequel il y a des chaises. Quand on vous y accueille, il vous engloutit et vous conduit directement chez eux» (Pierre Erny : 2001 : p. 21).
Bref, les clichés et les préjugés n’ont pas été la propriété des seuls occidentaux vis-à-vis des noirs et d’autres peuples colonisés. Ces derniers ont donc aussi construit leurs images et différentes représentations sur les européens.
Dans un rapport de force inégale, on s’en perçoit de toute manière, à travers les quelque exemples mentionnés, que toutes les sociétés ou les groupes humains cherchent toujours à se prendre pour modèles, se hissant ainsi au dessus des autres. Cependant, aucun groupe humain ne pourrait bien évidemment prétendre détenir les valeurs supérieures à celles des autres, quelle que soit sa couleur de peau, ses origines ethniques ou ses richesses matérielles.
Faustin Kabanza pour Info Afrique
Référence :
Pierre Erny (1999) : Ecoliers d’hier en Afrique centrale, éditions L’Harmattan
Pierre Erny (2001) : L’école coloniale au Rwanda, éditions L’Harmattan
Nsengimana Innocent (2003) : Le Rwanda et le pouvoir européen (1894-1952), Editions Peter Lang, Berne,
Rudakemwa Fortunatus (2005) : L’évangélisation du Rwanda (1900-1950), Editions L’Harmattan