Fléau de portée mondiale, les violences à l’égard des femmes ne connaissent a priori aucune frontière géographique
Leur ampleur prend toutefois un relief particulier en Afrique, ce que plusieurs statistiques alarmantes viennent confirmer.
L’OMS estime à des millions le nombre de femmes africaines violentées, surtout dans le milieu conjugal, avec un taux de 41,6% en Afrique subsaharienne et 65,5% en Afrique centrale.
Amnesty international rapporte pour sa part qu’en Afrique du Sud, par exemple, tous les six heures, une femme est tuée par son compagnon ; au Kenya, le Procureur général déclare que la violence conjugale était à l’origine de 47% des homicides ; et au Maroc, le Haut Commissariat au Plan (HCP) note un taux de prévalence de ces violences dépassant les 50%.
Autant de chiffres qui mettent à mal les efforts mobilisés dans la lutte contre les violences faites aux femmes dont le bilan reste in fine mitigé. Cela témoigne du grand paradoxe de l’Afrique du 21ème siècle, qui a vu naître d’importants instruments internationaux pour la protection des droits humains, en même temps qu’on continue à y déplorer la violence faite à la gente féminine.
Pourquoi l’Afrique protège-t-elle mal ses femmes ?
Aujourd’hui, droit et corps entretiennent une relation évidente, érigée en valeur universelle : celle du droit intrinsèque de propriété de la femme sur son corps. La négation de ce droit condamne à la dégradation humaine et réduit au statut d’esclavagisme. Naître femme en Afrique, terre de la prépondérance du patriarcat, des coutumes et traditions archaïques, et du tas de mauvaises interprétations religieuses, n’est de nature ni à reconnaitre ce droit, ni à brider l’acharnement et l’arbitraire parfois spontané contre les femmes. L’héritage culturel est décidément lourd : la position d’infériorité des femmes va comme un «en-soi», et l’acte de violence est «normalisé».
Aux pesanteurs sociaux-culturelles, s’ajoute le sous-développement économique du continent, lequel aggrave la situation des femmes, spécialement en milieu rural où elles sont généralement analphabètes, placées en position de dépendance économique, ce qui ne leur laisse d’autre option que de rester avec un mari qui les violente, mais qui peut tout au moins leur fournir un toit et de la nourriture.
Lire l’article « Le viol une arme de terreur » de sur les atrocités commises en RDC et dont le livre du docteur Mukwege évoque en détail les impacts sur une génération entière
En tant qu’atteinte au droit à l’intégrité physique et morale, et parfois même au droit à la vie, les violences à l’égard des femmes, feront l’objet d’un certain nombre de traités contraignants, et que les Etats africains ratifieront pour la plupart. On peut citer principalement : la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, relatif aux droits des femmes de 2003. Parallèlement à cela, des lois nationales spécifiques seront adoptées dans le même sens. Ce qui donne au total un corpus législatif considérable certes, mais qui s’est visiblement soldé par un échec, étant donné que ses prescriptions ne seront pas systématiquement appliquées.
D’aucuns avoueront que même les lois les plus avant-gardistes resteraient lettres mortes en l’absence d’un véritable Etat de droit, entendu dans le sens d’une justice indépendante et impartiale, en plus d’une alternance pacifique au pouvoir. Or, l’Etat de droit est loin d’être acquis sur le continent, compte tenu notamment de la multiplication des coups d’Etat militaires mais surtout des coups d’Etat constitutionnels, ayant la faveur d’un bon nombre de dirigeants qui tentent d’amender la Constitution de leur pays pour briguer davantage de mandats présidentiels.
Il ne serait dès lors pas étonnant que ces mêmes dirigeants manifestent un manque de volonté à faire respecter les traités et lois interdisant les violences aux femmes, quand cela peut leur valoir une confrontation redoutable avec les autorités coutumières et religieuses, ayant leur mot à dire au moment des élections. Les violences envers les femmes sont également perpétuées à cause du comportement des agents de l’Etat (policiers, magistrats…), souvent réticents et non qualifiés pour traiter ce type de violences, en raison notamment de la coexistence fréquente de plusieurs sources de droit (positif, coutumier, musulman). Le statu quo est d’autant plus maintenu, à cause des politiques étatiques défaillantes en matière d’économie et d’éducation entre autres.
La vérité est que ces Etats, au-delà d’éventuelles mesures sélectives et au coup par coup, soit refusent délibérément de s’acquitter du devoir de faire respecter le droit de propriété des femmes sur leurs corps. Face à pareil désengagement, il reviendrait aux acteurs de la société civile d’apporter un bémol à cette aberration. Leur action nécessiterait par ailleurs des échelles d’intervention multiples.
Tout d’abord, une prise en charge holistique des victimes de violences (hébergement, soutien psychologique, accompagnement juridique…). Ensuite, l’autonomisation économique de ces dernières, seul véritable gage de leur émancipation : tant qu’elles ne seront pas financièrement indépendantes, elles ne s’en sortiront pas. Des programmes de formation et d’insertion socio-économiques doivent être développés pour les aider à défendre leur droit de propriété sur leurs corps.
En même temps, et pour revenir à notre prémisse de départ, les violences conjugales étant le résultat d’un ancrage culturel résistant aux lois positives, il serait inutile d’en promulguer davantage, sans essayer d’agir simultanément sur les mentalités, démarche qui peut porter ses fruits durablement. Pour ce faire, la société civile a du pain sur la planche : compagnes de sensibilisation pour reconnaitre le droit de propriété des femmes sur leurs corps, promouvoir la culture de l’égalité, réformes des livres scolaires perpétuant les préjugés et stéréotypes néfastes envers les femmes, introduction de programmes d’éducation sexuelle et affective pour les jeunes, sécularisation et adéquation du discours religieux, conseil et médiation conjugale pour la résolution des conflits familiaux sans recourir à la violence…
Somme toute, l’élimination des violences envers les femmes africaines est l’affaire de tous. Le tissu des destins collectifs que nous formons nous y oblige. Soutenir la société civile dans ce sens, ou prendre part à ses activités est vivement souhaitable, car la société civile, et nous ne le dirons jamais assez, demeure la bouée de sauvetage en cas de retrait de l’état ou face à ses abus. Elle est l’ultime levier de changement de toute société.
Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc)
Avec LibreAfrique