Jonas Sanhin Touan a de grands rêves
Pendant qu’il est assis sous un auvent, il accueille avec un repas le rare touriste venu à Gouléako, l’un des nombreux villages près de l’entrée du Parc national de Taï, en Côte d’Ivoire
Il espère amasser de l’argent pour construire un hôtel sur les trois hectares de terre qu’il a achetés. « Ici sera le restaurant », déclare à IPS, cet homme que tout le monde appelle Aimée, montrant ce qui est encore une brousse.
Le Parc national de Taï est une forêt rare, l’une des dernières forêts tropicales intactes d’Afrique de l’ouest. Couvrant environ 3.300 kilomètres carrés, elle est la plus grande forêt tropicale de la région et aussi un site du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).
Il y a des obstacles au rêve de Touan.
Situé dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, ce parc se trouve près de la frontière avec le Libéria et accessible seulement après sept heures de route sur un chemin rempli de nids-de-poule depuis Abidjan, la capitale économique du pays.
L’abesence de transports publics fiables, les conflits et les violences sporadiques constituent d’autres menaces qui pèsent sur le rêve de Touan. Il en de même pour la déforestation qui prend de l’ampleur.
Pour atteindre cette région reculée à partir d’Abidjan, l’on doit traverser plusieurs forêts classées, dont 80 pour cent ont été déjà abattues, selon le gouvernement. Au lieu de la végétation tropicale luxuriante qui autrefois couvrait la région, il y a maintenant des domaines soigneusement plantés, principalement de cacaoyers, mais aussi de caféiers, d’hévéas et de palmiers à huile.
Mais l’écotourisme peut être juste la solution pour une communauté en quête d’un avenir meilleur et durable. Depuis janvier 2014, une centaine de touristes ont participé à une tournée organisée par la Fondation pour les chimpanzés sauvages (WCF) et la Société de développement des forêts (SODEFOR) de Côte d’Ivoire.
Cependant, il est encore à ses débuts, et le nombre de touristes qu’il attire est modeste.
« Bien sûr, cela prendra du temps. Mais cette région est magnifique. Je pense que l’écotourisme apportera l’argent dont on a désespérément besoin », déclare Touan. Actuellement, 80 pour cent des villageois gagnent leur vie par le biais du cacao, faisant environ 1,5 million de francs CFA (près de 3.185 dollars) par ménage par an.
Mais la pression démographique se traduit généralement par des gens qui brûlent les forêts afin d’accroître leur superficie de récolte de cacao.
La population de chimpanzés de la forêt a diminué d’environ 80 pour cent au cours des deux dernières décennies, selon le Fonds mondial pour la nature.
Et quatre autres espèces de cette forêt sont aussi sur la liste rouge des espèces menacées: l’hippopotame pygmée, les colobes vert olive, les léopards et le céphalophe de Jentink, un céphalophe sylvicole.
Les braconniers sont en partie responsables de cette disparition, mais la destruction de la forêt demeure la principale raison de cette diminution.
« La pression autour du parc est très importante », indique Christophe Boesch, un professeur de primatologie et directeur de la WCF pour l’Afrique de l’ouest.
Il voit la migration actuelle des populations des régions du nord de la Côte d’Ivoire et des pays voisins comme le Burkina Faso et le Mali, comme une conséquence directe du réchauffement climatique.
« L’Afrique de l’ouest a été confrontée à des changements climatiques dramatiques au cours des 50 à 60 dernières années. La région du Sahel est devenue un désert. Cela crée une explosion démographique dramatique en Côte d’Ivoire », explique-t-il.
Ce flux de travailleurs a fait de la Côte d’Ivoire le plus grand producteur de cacao au monde, mais au prix des forêts du pays.
A Gouléako, les villageois organisent une cérémonie traditionnelle pour la demi-douzaine de touristes assis sur des canapés, en train d’être servis du vin de palme.
Ces touristes seront bientôt transportés à l’hôtel écologique géré par la SODEFOR à Djouroutou, une ville voisine.
Plus tard, ils seront guidés le long des sentiers boueux du Parc national de Taï pour voir les chimpanzés ou faire un tour sur le fleuve Cavally, qui sépare le Libéria et la Côte d’Ivoire.
La SODEFOR et la WCF espèrent qu’en renforçant l’écotourisme, les habitants verront la valeur économique de la préservation de la forêt, et des nombreuses espèces uniques qu’elle abrite.
« Nous espérons par ce projet enseigner aux gens, plus la population locale que les touristes, sur la valeur ajoutée d’une forêt », indique Emmanuelle Normand, directrice nationale de la WCF.
La WCF dit que plusieurs projets se sont révélé avoir permis la survie des espèces menacées, y compris dans des forêts dans les régions des Grands Lacs.
Valentin Emmanuel, le chef adjoint de Gouléako, se souvient de l’époque où il était encore un enfant quand les éléphants traversaient les rizières et les chimpanzés sortaient de la forêt pour jouer sur les cacaoyers.
« Avant, nous vivions avec la faune près de nous. Aujourd’hui, vous devez aller loin, au fond de la forêt, pour voir cela », explique-t-il.
Bien qu’il puisse faire partir de la majorité des villageois qui gagnent leur vie à partir du cacao, il sait que la seule façon de ramener la forêt à ce qu’elle était pendant son enfance est d’amener plus de gens à s’y intéresser. Touan le sait aussi.
« Les planteurs de cacao mènent une vie très difficile. L’écotourisme est une opportunité pour un avenir meilleur », estime Touan.