Les deux attaques terroristes qui ont ensanglanté le Mali pendant le week-end, laissant la capitale, Bamako, en état de choc, interviennent à un moment où des accords de paix, difficiles, sont en train d’être négociés à Alger.
A Kidal, au nord-est du Mali, deux enfants et un Casque bleu tchadien de la Mission de l’ONU au Mali (Minusma), ont été tués dimanche par des tirs de roquettes au lendemain d’un attentat meurtrier à Bamako qui a fait cinq morts (un Français Fabien Louis Guyomard, un Belge et trois Maliens) et neuf blessés, le premier à frapper des Occidentaux dans la capitale malienne. Mais contrairement à l’attaque de Bamako, qui a été revendiquée dès samedi par Al-Mourabitoune, le groupe jihadiste de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, les auteurs des tirs de roquettes contre un camp de l’ONU à Kidal, fréquents dans ce bastion de la rébellion, ne se sont pas fait connaître dans l’immédiat.
Moins de vingt-quatre heures après la fusillade de Bamako, l’agence privée mauritanienne Al-Akhbar a diffusé un court enregistrement en arabe, accompagné d’une mention « exclusif » avec figée sur l’image l’effigie de Mokhtar Belmokhtar, le chef jihadiste le plus recherché du Sahel. « Nous revendiquons la dernière opération de Bamako menée par les vaillants combattants d’Al-Mourabitoune pour venger notre prophète de l’Occident mécréant qui l’a insulté et moqué, et notre frère Ahmed Tilemsi« , un chef du groupe tué par l’armée française en décembre 2014, a affirmé un combattant du groupe Al-Mourabitoune sur cet enregistrement diffusé par Al-Akhbar. L’agence mauritanienne publie régulièrement des communiqués de la mouvance Al-Qaïda, et n’a jamais été démentie. Le porte-parole d’Al-Mourabitoune a d’ailleurs précisé que « des informations supplémentaires sur la mort de Tilemsi seront communiquées ultérieurement » et que d’autres opérations, « dont une tentative d’assassinat le 26 janvier contre un des officiers arabes restés loyaux à l’armée malienne lors de la crise de 2012, le général Mohamed Abderrahmane Ould Meydou », ont également été perpétrées par le groupe terroriste.
L’Algérien Mokhtar Belmokhtar, aussi connu sous le nom de « Mister Marlboro », a longtemps vécu de trafics au Nord du Mali, mais serait aujourd’hui réfugié entre l’Algérie et la Libye, selon des sources sécuritaires.
Ahmed Tilemsi, un Arabe malien de Tarkint (nord-est), était quant à lui l’un des fondateurs du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Celui-ci a fusionné en 2013 avec le groupe de Mokhtar Belmokhtar, considéré comme le cerveau de la prise d’otages meurtrière sur le site gazier d’In Amenas en janvier 2013, pour former Al-Mourabitoune.
Un an plus tôt, en janvier 2012, le nord du Mali était tombé sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda (dont le Mujao), qui en ont été partiellement chassés par l’opération « Serval », lancée à l’initiative de la France en janvier 2013, à laquelle a succédé, en août 2014, l’opération « Barkhane », dont le rayon d’action s’étend désormais à l’ensemble de la zone sahélo-saharienne.
Le Modus Operandi de Niamey
A Bamako, les assaillants, apparemment un petit commando qui s’est enfui à bord d’un véhicule en criant Allah AKbar, s’en sont pris au restaurant « La Terrasse », un lieu très fréquenté par les expatriés. Un modus operandi qui n’est pas sans rappeler celui de Niamey, en janvier 2011, où deux ressortissants français avaient été enlevés dans un restaurant du centre de la capitale nigérienne.
A l’époque, toutefois, les ravisseurs d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) avaient très clairement visé un restaurant français pour y prendre des otages et les rançonner. « C’est le premier attentat de ce type à Bamako« , a commenté Pierre Boilley, directeur de l’Institut des mondes africains (IMAF), notant qu’à l’instar de l’attaque contre Charlie Hebdo, celle-de Bamako s’est terminée dans un bain de sang.
Pour être inédite, cette attaque n’en était pas moins crainte depuis 2012, car bien que les groupes jihadistes liés à Al-Qaïda aient été chassés, pour la plupart, du nord du pays par l’opération « Serval », les observateurs craignaient un attentat d’ampleur dans le sud et, notamment, à Bamako où ont afflué des dizaines de milliers de déplacés. Pour Antoine Glaser, auteur d’Africafrance (Fayard), il s’agit d’une « sorte de pied-de-nez » des jihadistes pourchassés dans le nord du Mali par l’opération Barkhane, « pour montrer qu’il y a une fragilité sécuritaire sur l’ensemble du territoire malien».
L’accord paraphé par le gouvernement malien le 1er mars à Alger, mais qui n’a pas encore été entériné la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) qui regroupe le MNLA, le HCUA, le MAA, la CPA et le CMPFR2, a également été évoqué.
« Est-ce que cet attentat pourrait être lié à des Touareg proches des jihadistes qui veulent torpiller cet accord ou s’agit-il d’un acte indépendant, une simple opération de jihadistes au cœur de la capitale malienne ?», a demandé Antoine Glaser. Interrogé par Info-Afrique, un membre de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), siégeant aux Accords d’Alger, a lui aussi évoqué un probable « acte de sabotage », tout en réfutant catégoriquement l’implication des Mouvements de la Coordination dans la fusillade de Bamako comme dans l’attaque de Kidal.
« La CMA a notifié qu’elle restait dans une logique de paix et aucune action n’a été menée contre des éléments armés et civils depuis la signature du cessez le feu signé lors du round d’Alger 5. Ce que nous voulons, aujourd’hui, c’est que l’Algérie et les pays voisins soient dessaisis du dossier, à cause du conflit d’intérêt que leur présence implique, tout en restant dans le respect des accords de Ouagadougou », affirme cette source ayant requis un strict anonymat.
De surcroit, le Mujao qui comptait dans ses rangs « toute la crème des éléments arabes Lemhar et notables songhoi de Gao », après l’intervention des troupes françaises de Serval, « s’est transformé en un groupe de pression dont certains responsables ont rejoint Bamako en quête de virginité », révèle-t-il. Il en veut pour preuve que l’actuel député RPM de Bourem, Mohamed ould Matali, avait accueilli le Ministre burkinabé des affaires étrangères, Djibril Bassole, à Gao, lors des premiers pourparlers de paix, en tant qu’un des responsables du Mujao. « Ces anciens du Mujao, connus des services maliens comme des narco trafiquants, constituent le fer de lance des milices pro maliennes de Tarkint Gao et Tabankort. En même temps, ils ont tous gardé des connections avec les groupes jihadistes afin de sécuriser le trafic de la cocaïne sur le trajet saharien », soutient cette source.
Que va faire la communauté internationale, et notamment la France ?
Après avoir condamné l’attentat de Bamako, le président François Hollande s’est entretenu avec son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta, pour « lui offrir l’aide de la France ». Ils sont convenus de « mesures communes pour renforcer la sécurité au Mali« , a annoncé un porte-parole du Quai d’Orsay, mais sans plus de précision. Paris a également condamné l’attaque perpétrée à Kidal, assurant que « la France soutient pleinement la Minusma dans sa mission de stabilisation au Mali« .
Forte de quelque 10.000 militaires et policiers, la Minusma a annoncé avoir « mis à la disposition des autorités maliennes des enquêteurs et experts en scènes de crime » pour retrouver les auteurs de l’attentat de Bamako. De fait, la sécurité a été renforcée dans la capitale malienne où les contrôles étaient stricts, dimanche, sur les trois ponts enjambant le fleuve Niger. Une source policière a fait état à l’AFP d' »indices sur le véhicule qui a servi à transporter le commando auteur des crimes commis à Bamako« , sans autre précision
Mais, pour la plupart des analystes, il va être difficile pour la France de faire plus dans cette zone sahélo-saharienne où la force Barkhane, comprenant déjà 3.000 soldats français, est mobilisée dans cinq pays du Sahel. « La France arrive au bout de ce qu’elle peut faire sans l’aide de ses partenaires européens qui restent extrêmement silencieux« , a notamment regretté Antoine Glaser. Epinglant lui aussi la « timidité » des pays européens, Pierre Boilley a estimé que la prise de conscience progresse à Bruxelles. La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a souligné, samedi, que cette attaque « nous rappelle que nous devons rester concentrés sur le processus (de paix) au Mali et la lutte contre le terrorisme dans la région. Et nous sommes prêts à faire davantage ».
Reste à trouver une solution politique qui satisfasse tous les protagonistes pour stabiliser le nord du Mali et couper l’herbe sous le pied des djihadistes.
Lors du dernier Forum de Bamako, qui a tenu sa 15ème édition du 19 au 21 février, le président IBK n’a pas caché son inquiétude quant à la montée de l’intégrisme religieux au Mali. Un stock important d’armes et de livres religieux a d’ailleurs été découvert pas très loin de Sebenicoro, le quartier où il a sa maison. Invité au Palais de Koulouba avec les autres participants, André Bourgeot, directeur de recherche au CNRS, a également déclaré craindre le pire. « Il y a des courants islamistes qui se disputent le terrain à Bamako, a-t-il reconnu, avec le risque que des attentats soient commis afin de déstabiliser le pays. Ce qui créera une psychose et ouvrira la porte à tous les abus ».
Un scénario qui est en train de se réaliser.
Par Christine Holzbauer
journaliste, correspondante pour l’Afrique de l’ouest et du centre basée à Dakar