La côte d’Ivoire sur la voie du redressement économique
La visite présidentielle de François Hollande en Côte d’Ivoire le 17 juillet est l’occasion de se pencher sur les opportunités économiques que ce pays en redressement peut offrir aux investisseurs français et internationaux – à condition de bien en mesurer les risques.
Par Christoph Wille
Les investissements directs étrangers (IDE) vers l’Afrique ont augmenté de 4% et se sont élevés à 57 milliards de dollars en 2013, une augmentation plus forte que dans toute autre partie du monde à l’exception de l’Amérique centrale.
Alors que les marchés dans d’autres régions arrivent à saturation, le continent africain gagne en importance dans la stratégie de croissance des entreprises. Certes, les opportunités et les risques vont de pair et ces derniers peuvent être particulièrement élevés en Afrique. Les investisseurs doivent donc soigneusement les peser.
En Côte d’Ivoire, la balance est peut-être précisément en train de pencher en la faveur de l’opportunité d’investissement.
Si l’on se fie aux seuls chiffres, le pays devrait même être l’une des cibles d’investissements prioritaires. La croissance ivoirienne a augmenté de 9,8% en 2012 et 8,8% en 2013, après dix ans de crise et une contraction de la croissance de 4,7% en 2011.
« Les plus belles opportunités pour des investisseurs étrangers résident dans les secteurs des services, des mines et des infrastructures »
Le gouvernement espère atteindre une croissance à deux chiffres en 2014 et 2015, et même si cet objectif risque d’être manqué de peu, la Côte d’Ivoire est clairement sur la voie de la reprise. L’annulation de 7,7 milliards de dollars de dette du pays à la mi-2012, une bonne discipline fiscale et le boom de l’immobilier vont soutenir cette croissance pour les années à venir.
Convaincus par un scénario enthousiasmant de redressement post conflit, les donateurs et institutions financières internationales comptent voir le plus grand exportateur de cacao au monde tourner la page et se sont engagés à hauteur de plus de 8,6 milliards de dollars de financement. Bien que la croissance soit encore principalement soutenue par des dépenses publiques grâce à l’annulation de la dette, les investissements étrangers repartent à la hausse, et représenteront autour de 3% du PIB en 2014.
Les plus belles opportunités pour des investisseurs étrangers résident dans les secteurs des services, des mines et des infrastructures. Le secteur des télécoms contribue à environ de 7% du PIB – plus que les secteurs du pétrole et du gaz confondus – et il va connaitre une expansion considérable dans les années à venir, tout comme les secteurs de la banque, de l’assurance, du tourisme et des transports.
Entre temps, le gouvernement est déterminé à transformer le secteur minier naissant en locomotive de la croissance nationale.
Les ressources naturelles de la Côte d’Ivoire restent largement inexploitées avec des réserves estimées à 3 milliards de tonnes de minerai de fer, 390 millions de tonnes de nickel, 1,2 milliards de tonnes de bauxite, 3 millions de tonnes de manganèse, 90 millions de tonnes d’or et plus de 100.000 carats de diamants. En revanche, la production d’or a doublé en 2011 et le gouvernement souhaite que la part du secteur minier dans le PIB passe de 1% aujourd’hui à 5% en 2020. Dans le secteur des infrastructures, le gouvernement souhaite engager la modernisation du Port Autonome d’Abidjan (PAA) – qui est déjà l’un des plus grands du continent – ainsi que la modernisation des infrastructures ferroviaires, des usines de production d’énergie et des routes.
Ces tendances macroéconomiques concordent bien avec la stratégie de développement du gouvernement : la croissance économique est perçue par le pouvoir comme le principal levier de légitimité nationale et internationale qui, s’il est géré correctement, permettra au pays de surmonter plus d’une dizaine d’années de crises politiques et de stagnation économique. Réinventer le « Miracle économique ivoirien » – une référence au boom économique des années 60 à 80 sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny (1960-93) – est au cœur du plan d’action du gouvernement.
« La France a en effet toujours été la première source d’investissements étrangers en Côte d’Ivoire »
Le président français François Hollande sera en visite officielle en Côte d’Ivoire le 17 juillet, en partie pour évaluer comment les entreprises françaises pourraient tirer le meilleur parti de ce mouvement. La France a en effet toujours été, et reste, la première source d’investissements étrangers en Côte d’Ivoire, bien qu’elle ait dû laisser de la place à l’afflux d’investisseurs chinois et indiens. Les échanges commerciaux historiques, les liens culturels et l’héritage institutionnel commun continueront à faire de la France l’un des plus importants partenaires de la côte d’Ivoire dans les années à venir.
Le long chemin de la reprise
L’impressionnant redressement économique de la Côte d’Ivoire depuis la crise post-électorale masque cependant des problèmes socio-économiques de fond. La croissance est forte mais le gouvernement doit encore mettre en place une stratégie pour mieux répartir ses fruits. La majorité de ceux qui ont été les plus affectés durant les années de crise continue à lutter pour leur survie. Le niveau moyen de revenu par habitant est inférieur à celui de 1999 pour les plus modestes, le coût de la vie et des biens de première nécessité est toujours extrêmement élevé et le taux de chômage reste fort.
Il est difficile d’effacer les séquelles du conflit. Bien que le président Alassane Ouattara ait remporté les élections de 2010 de façon démocratique, le refus du président Laurent Gbagbo (2000-11) de céder le pouvoir a poussé Ouattara à prendre le contrôle du pays par la force, aidé par des milliers de rebelles du nord. Plus de 3.000 personnes ont perdu la vie dans le conflit, plus de 1.000 expatriés ont dû être évacués et la plupart des entreprises étrangères ont dû fermer temporairement suite aux sanctions imposées par la communauté internationale.
Trois ans plus tard, l’armée continue d’être dominée par les rebelles qui ont installé M. Ouattara au pouvoir et ce dernier a bien du mal à se débarrasser de potentiels agitateurs politiques. Guillaume Soro, le chef rebelle et président de l’Assemblée Nationale, occupe constitutionnellement le deuxième rang de l’Etat. D’anciens commandants de zone comme Issiaka Ouattara (alias « Wattao ») contrôlent une partie des forces de sécurité, malgré de fortes présomptions sur leur participation à des crimes de guerre. Et des milliers d’anciens combattants rebelles doivent encore être désarmés parce que les responsables de la réforme du secteur de la sécurité sont compromis politiquement. Les programmes de réconciliation portés par le gouvernement sont à l’arrêt et le mandat de la Commission pour le dialogue la vérité et la réconciliation (CDVR) se termine en septembre 2014 sans que celle-ci ait amené des résultats concrets.
La politique de croissance économique d’Alassane Ouattara n’a que peu contribué à combler le fossé politique entre majorité et opposition. Le Front populaire Ivoirien (FPI) de Gbagbo issu de l’opposition a boycotté les élections législatives et locales depuis la crise et rencontré des difficultés à se réorganiser autour d’un nouveau leader. Laurent Gbagbo attend son procès devant la Cour Pénale Internationale (CPI) de La Haye (Pays-Bas) et la direction du parti en Côte d’Ivoire ne se rétablit que lentement suite à une campagne d’emprisonnement et de marginalisation. Bien que le gouvernement ait eu des gestes symboliques importants à l’égard du FPI ces derniers mois, le fossé entre les deux camps reste profond.
« Les entreprises continuent de faire état de demandes de pots-de-vin à tous les échelons du gouvernement »
Ouattara n’a ainsi pas pu mener aussi vite que prévu la nécessaire réforme de l’administration ni s’atteler à la lutte contre la corruption, étant mobilisé par la priorité donnée au développement économique et par la nécessité de contenir les velléités individuelles au sein de son gouvernement, particulièrement de la part de ceux qui l’ont aidé à prendre le pouvoir. Si le pays a amélioré le cadre réglementaire de la lutte contre la corruption et son code des marchés publics, la mise en œuvre des textes demeure limitée et inégale.
Les entreprises continuent de faire état de demandes de pots-de-vin à tous les échelons du gouvernement et d’incompétence professionnelle institutionnalisée au sein de l’administration. Certains ministres et officiels peu performants conservent leurs postes parce que le président n’a pas le poids politique nécessaire pour les contrer. Les sociétés ayant leurs entrées auprès de l’administration sont parfois favorisées face à d’autres au sein des processus d’obtention d’autorisation, même si leur dossier d’application est moins solide d’un point de vue commercial. Des paiements officieux sont versés à grande échelle aux échelons bas de l’administration pour accélérer des procédures lentes et bureaucratiques. Les services des douanes, de l’immigration et des impôts sont particulièrement sujets à la corruption et les forces de sécurité demandent régulièrement des « paiements de facilitation ».
Un moment charnière
Dans un peu plus d’un an, la Côte d’Ivoire tiendra ses prochaines élections présidentielles, qui verront Alassane Ouattara se mesurer à… probablement personne : le FPI boycottera certainement les élections et le parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) allié au parti au pouvoir le Rassemblement des Républicains soutiendra vraisemblablement M. Ouattara au premier tour, ce qui veut dire qu »il devrait être réélu sans concurrents. Si certains experts prédisent une répétition de l’impasse de 2010-11, chez Control Risks nous ne partageons pas cet avis. Des troubles violents dans certaines parties du pays, y compris dans la capitale commerciale Abidjan sont à attendre. En revanche, dans l’ensemble, les élections se dérouleront paisiblement avec une présence des forces de sécurité renforcée à travers le pays, pour tenir à distance de potentiels agitateurs.
« Il y a beaucoup de prétendants à la succession de M. Ouattara surtout dans ses propres rangs »
La principale menace envers la sécurité nationale ne provient pas tant des élections en soi que de la question de la succession de M. Ouattara.
Les rumeurs circulent à Abidjan sur le fait que sa santé se détériorerait, ce qui expliquerait ses absences prolongées du pays ces derniers mois souvent pour des raisons médicales inconnues. Sa disparition ou sa mise en incapacité pourrait avoir un effet déstabilisant majeur sur le pays, dans une période où la Côte d’Ivoire a particulièrement besoin d’une plus grande confiance des investisseurs. Il y a beaucoup de prétendants à la succession de M. Ouattara surtout dans ses propres rangs.
M. Soro et le ministre de l’Intérieur Hamed Bakayoko sont les compétiteurs les plus sérieux et il est peu probable que ces derniers passeraient un accord dans le cas où le Président actuel viendrait à quitter la course précipitamment. Contrôlant chacun une partie des forces de sécurité, ils sont tous deux très ambitieux et s’appuient tous deux sur un solide réseau de soutiens.
Toutefois, il y a de fortes chances que ce scénario de crise ne se produise pas. Dans ce cas, la Côte d’Ivoire devrait connaitre une période de croissance prolongée qui présentera des opportunités d’affaires attrayantes pour les entreprises de toute origine et dans presque tous les secteurs. Ceux qui décident d’investir bénéficieront des avantages de l’une des économies les plus solides et diversifiées en Afrique de l’Ouest, d’une main d’œuvre hautement qualifiée et probablement des meilleures (même si elles sont chères) infrastructures de la région.
« Les problèmes de sécurité continueront à exister mais ils ne freineront pas la réalisation des investissements dans le pays. »
Si des risques significatifs persistent – comme souvent à la suite de crises politiques prolongées – nous sommes convaincus que ces derniers peuvent être gérés à condition qu’ils soient bien compris et que des mesures préventives soient mises en place. Les entreprises peuvent réduire leur exposition au risque en adoptant des règles strictes contre la corruption et en conduisant des études et « due diligence » approfondies avant toute décision d’investissement. Les problèmes de sécurité continueront à exister (crime et banditisme urbain, risque d’agitation politique ponctuelle au moment des élections, indiscipline des forces de sécurité), mais ils ne freineront pas la réalisation des investissements dans le pays.
Et pour traiter les problèmes socioéconomiques de fond comme le taux de chômage élevé, un engagement fort du secteur privé pourrait bien se révéler être le meilleur des remèdes.
CONTROL RISKS – Christoph Wille, Analyste Afrique – Juillet 2014