Après 27 ans de pouvoir, la rue a réussi à chasser Blaise Compaoré.
Sitôt que l’homme fort d’Ouagadougou a été contraint à la démission par les émeutiers, puis à l’exil avec toute sa famille à Yamoussoukro, un intense ballet diplomatique s’est mis en place.
Après avoir lancé un ultimatum à l’armée pour que l’institution militaire rende le pouvoir aux civils, l’Union africaine (UA) a nommé l’ancien Premier ministre togolais, Edem Kodjo, comme son envoyé spécial pour le Burkina Faso.
La présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma a déclaré que cette initiative s’inscrivait dans le cadre des efforts visant à faciliter le règlement de la crise dans ce pays, à travers notamment « la mise en place rapide d’une transition civile, démocratique et consensuelle devant déboucher sur la tenue, le plus tôt possible, d’élections libres régulières et transparentes ».
Dès le 5 novembre, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) dépêchait sur place le Ghanéen John Dramani Mahama, Président en exercice de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO en compagnie de ses homologues du Nigeria, Goodluck Jonathan et du Sénégal, Macky Sall. Le triumvirat accompagnait une délégation conjointe des Nations Unies, de l’Union Africaine et de la CEDEAO afin de poursuivre des discussions entreprises du 31 octobre au 2 novembre.
C’est, finalement, Macky Sall qui a é été désigné pour présider le groupe de contact sur le Burkina Faso.
A l’issue du sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement dans la capitale ghanéenne, il a été décidé que le chef de l’Etat sénégalais serait « appuyé par le président en exercice de la CEDEAO, à l’effet de faciliter le processus de transition entamé par les militaires qui ont pris le pouvoir, sous la houlette du lieutenant-colonel Yacouba Zida, après le départ de Compaoré ». Le Sommet d’Accra a également instruit le président de la Commission la CEDEAO de nommer un envoyé spécial »pour faciliter le processus de dialogue entre les parties prenantes« , selon un communiqué.
Coup de semonce pour l’Afrique de l’Ouest ?
Cet effort, sans précédent, vise à éviter que cette crise ne se répète sur un continent où de nombreuses échéances électorales sont attendues, en 2015 et 2016. « La bonne nouvelle c’est que les présidents à vie et autres « fils de… devraient désormais y réfléchir à deux fois avant de tripatouiller leur constitution », confie un négociateur.
Au Sénégal, la tentative avortée en 2011 d’Abdoulaye Wade de changer les textes pour lui permettre de briguer un troisième mandat et ouvrir la voie du pouvoir à son fils, Karim, avait provoqué sa chute, en 2012. Le président ivoirien, Alassane Ouattara a été le premier à voler au secours de son ami eu égard au coup de pouce décisif que ce dernier lui avait donné contre Laurent Gbagbo.
Accueilli à bras ouvert chez son voisin, le président déchu du Burkina Faso a d’ores et déjà laissé entendre, par voie de presse, qu’il n’envisageait pas d’y rester, sans toutefois préciser de nouvelle destination. Depuis sa chute brutale, qui n’est pas sans rappeler celle des Printemps arabes, la réaction des autres chefs d’Etat de la région a été mitigée. Faure Gnassingbé qui s’était entretenu le 29 octobre avec son homologue, a dit qu’il l’avait trouvé «très serein» à la veille du vote à l’Assemblée nationale, comme l’ont par ailleurs confirmé plusieurs sources diplomatiques. Mais il a vite compris que ce dernier avait perdu la main lors de la destruction de l’Assemblée nationale burkinabé par les manifestants. Or, le fils Eyadema, dont la famille est au pouvoir depuis 1967, sait qu’il est attendu au tournant si les élections présidentielles de février 2015 au Togo ne se déroulent pas en toute transparence.
A Cotonou, Thomas Yayi Boni a accéléré l’organisation des élections municipales, initialement prévues pour 2013, après des marches de l’opposition et de la société civile.
« Ni le Burundais Pierre Nkurunziza, ni le Rwandais Paul Kagame, ni le Béninois Thomas Boni Yayi, ni Joseph Kabila en République démocratique du Congo, ni encore Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville, n’ont publiquement déclaré leurs intentions de briguer des mandats au-delà des limites constitutionnelles. Certains, comme Thomas Boni Yayi, nient même. Mais la plupart entretiennent le doute, tout en préparant le terrain par des voies détournées », analyse David Zounmenou, chercheur à l’Institute for Security Studies, en Afrique du Sud. Si Blaise Compaoré avait réussi à « faire passer l’amendement constitutionnel« , alors il est probable que les dirigeants du « Bénin, du Congo et des autres pays » lui auraient « emboîté le pas« , affirme-t-il.
Pompier pyromane
Certes, les « manipulations constitutionnelles » sont monnaie courante sur le continent : Algérie (2008), Angola (2010), Cameroun (2008), Djibouti (2010), Gabon (2003), Ouganda (2005), Tchad (2009), Togo (2002). Mais pour Philippe Hugon de l’IRIS, ce qui a changé face à des leaders devenus autistes, ce sont les rapports de force « inter » ou » transnationaux ».
Au Burkina Faso, « les instances africaines de l’Union africaine ou de la CEDEAO menacent de sanctions le pouvoir militaire s’il ne remet pas le pouvoir aux civils dans les 15 jours ». Des moyens de pression existent, également, de la part des bailleurs de fonds « vis-à-vis d’un pays où l’aide représente plus de 10% du PIB », fait-il valoir.
Solide allié de l’Occident et bastion de stabilité relative sous le règne semi-autoritaire de Blaise Compaoré, le Burkina Faso est devenu stratégique du fait de ses frontières avec le Nord Mali. Ouagadougou est le lieu névralgique du renseignement (opération Sabre, DGSE, renseignement militaire) dans le dispositif Barkhane.
Tout cela n’a pas suffi, toutefois, pour sauver le soldat Compaoré, très décrié pour avoir allumé ou alimenté des incendies et s’être posé en médiateur pour les éteindre ou les atténuer. Ses liens avec Charles Taylor au Libéria et en Sierra Leone, avec l’Unita en Angola, le contrôle du trafic d’armes et de diamant, son rôle dans la rébellion du nord de la Côte d’Ivoire, ses relations avec Khadafi en sont quelques exemples. Sans parler de l’assassinat de Thomas Sankara, en 1987, ou la disparition du journaliste Norbert Zongo que les Burkinabés ne lui ont jamais pardonné.
Tout l’art, maintenant, va consister concilier les objectifs de la Real Politik et des droits de l’homme, dans un monde de la communication où les représentations et les évènements s’accélèrent avec effets de contagion transnationale.
Christine Holzbauer journaliste, correspondante pour l’Afrique de l’ouest et du centre basée à Dakar