Triste résultat, dépenses colossales, population indignée et scandale financier… Merci la FIFA
Les lecteurs remarqueront que je ne classe pas cet article dans la catégorie « Sports », mais « économie » !
Aujourd’hui le Brésil se réveille meurtri par la défaite, un coup de plus…
Des affrontements dans la nuit:
Il fallait s’y attendre. Défaite du Brésil oblige, des débordements ont eu lieu à Sao Paulo avec notamment une vingtaine d’autobus incendiés dans la zone sud de Sao Paulo selon le quotidien Folha. Cependant, la police n’a pas confirmé que ces incidents étaient directement liés à la cuisante élimination des partenaires de David Luiz mardi soir contre l’Allemagne (1-7). Au Brésil, incendier des bus est une forme courant de protestation de la population démunie, indique nos confrères de l’AFP.
La police militaire de Sao Paulo s’est limitée à indiquer à l’AFP qu’il y avait eu un incendie dans un garage de la zone sud de la ville. «Pour l’instant nous avons pas non plus d’informations sur les causes de l’incendie. Une enquête va être ouverte», a déclaré un porte-parole. La police a déclaré qu’un magasin d’électroménager avait été «envahi et pillé» dans la zone est et populaire de Sao Paulo.
Pas de noirs dans les stades !
Ces impressions ont été confirmées dimanche 29 juin par un sondage paru dans le journal Folha de S. Paulo. Les données récoltées auprès de 693 spectateurs au stade de Belo Horizonte pendant le match entre le Brésil et le Chili sont sans appel: 67% des Brésiliens interrogés étaient blancs, et 90% appartenaient aux classes supérieures brésiliennes.
Le manque de mixité dans les stades brésiliens s’explique de manière assez simple: les places sont chères, et les noirs du Brésil sont en majorité pauvres. Les prix officiels des places pour le match entre le Brésil et le Chili variaient entre 25 et 200 dollars, mais les places les moins chères ne représentaient que 5% du stade. Le salaire minimum dans le pays est de 330 dollars par mois.
Interrogé par le Globe and Mail canadien, Carlos Costa Ribeiro, un sociologue qui étudie les questions ethniques et les inégalités à l’université de Rio, explique:
«On ne peut pas parler de discrimination raciale, il faudrait pour cela que les tickets ne soient pas vendus aux noirs, ce qui n’est pas le cas. Ce qu’il se passe, c’est que la plupart des noirs sont pauvres et ne peuvent pas acheter un ticket parce qu’ils sont chers. Mais pourquoi les noirs ne sont-ils pas riches? Parce qu’il y a de la discrimination.»
La Coupe du Monde domine l’imagination brésilienne comme aucun autre événement.
Tous les quatre ans, le pays devient une secte vivant dans l’adoration du « Seigneur Football ». En effet, aucun autre pays n’a remporté la Coupe du monde autant de fois que le Brésil.
Alors, quand il a été annoncé en 2010 que le Brésil accueillerait la Coupe du Monde en 2014, des milliers ont célébré l’annonce lors d’une fête sur la plage à Rio. Nous, Brésiliens, avons senti que le football rentrait à la maison, et cela nous a rendu heureux. Nous avons également été heureux quand l’ancien président Luiz Inácio Lula a déclaré que les investisseurs privés vont saisir l’opportunité d’investir dans le pays. « Ce sera la Coupe du Monde du secteur privé », a-t-il déclaré en 2008.
Le Ministre des Sports, Orlando Silva, nous a assuré que l’argent des contribuables ne sera jamais dépensé dans les stades. Les recettes fiscales, dit-il, ne seraient investies que dans l’infrastructure, l’héritage qui sera laissé aux Brésiliens une fois la Coupe du Monde terminée. Les stratèges politiques du gouvernement ont élaboré un récit avec une fin heureuse : un Brésil prospère et moderne qui accueillera les grands événements mondiaux.
Puis nous avons commencé à suspecter que les contribuables seraient sollicités malgré tout. L’infrastructure du Brésil n’était pas en état pour accueillir la Coupe du Monde. Aucun stade n’était aux normes de la FIFA.
La Coupe du Monde est rapidement devenue l’une des parties les plus visibles des activités du gouvernement, en particulier le gouvernement fédéral. Les choses ne semblaient pas aller comme prévu. Lorsque la crise financière et le potentiel incertain de profit ont freiné les investisseurs privés, le gouvernement est intervenu avec des milliards de crédits subventionnés. Il a même pris la possession directe des stades.
Avec les élections fédérales et présidentielles prévues trois mois après la Coupe du Monde, le gouvernement était prêt à dépenser tout ce qu’il fallait pour faire en sorte que la Coupe du monde soit bien retransmise à la télévision. Aucune forme d’échec n’était permise.
Il est maintenant clair que la « Coupe du monde du secteur privé » n’était rien d’autre qu’un slogan. L’investissement privé a couvert seulement 15,5 % des dépenses totales de la « matrice de coupe du monde », un plan unifié qui comprend les stades, les transports urbains, les aéroports, les ports, les télécommunications et la sécurité dans les 12 villes hôtes.
Malgré la promesse du ministre des sports, 97 % du coût total des stades a été payé par le gouvernement, soit directement, soit sous forme de prêts bonifiés.
Les dépenses totales avoisinent les 12 milliards de dollars, dont plus de 85% sont couvertes par le contribuable brésilien. Et à mesure que les dépenses augmentaient, les attentes concernant l’amélioration des infrastructures ont été révisées à la baisse.
Les investissements dans les transports publics ont été remplacés par les jours fériés, la fermeture des bureaux du gouvernement et les écoles afin de garder certaines villes moins congestionnées pendant le tournoi. Une partie des transports assurant le déplacement des personnes vers les stades ne sera plus opérationnelle après l’événement. Brasilia a construit un quatrième stade de football le plus cher au monde, même si l’équipe la mieux classée de la ville joue dans la quatrième division brésilienne.
Le mécontentement était évident pendant les manifestations de juin 2013, qui ont commencé comme une mobilisation contre la hausse des prix des billets de bus de São Paulo. Les revendications se sont propagées rapidement à d’autres domaines. Puisque les citoyens ont insisté sur l’augmentation des dépenses du gouvernement en matière d’éducation, de transport et de soins de santé, ils ont contesté la canalisation des recettes fiscales vers les stades.
Outre le coût exorbitant du tournoi, la violence policière contre des manifestants et des journalistes a également contribué à la forte baisse de la popularité de la Coupe du Monde chez les Brésiliens. Un récent sondage mené par Global Attitudes Project de Pew Research a révélé que plus de 60 % des Brésiliens croient que la tenue de la Coupe du monde est mauvaise pour le pays, notant que l’argent des contribuables dépensé sur les stades aurait pu être utilisé ailleurs. Dans le même sondage 39 % ont affirmé que la Coupe du Monde nuit effectivement à l’image du Brésil, tandis que seulement 35 % pensent que cela aiderait à améliorer cette image.
La politisation de la Coupe du Monde et les récits contradictoires nourris par le gouvernement et l’opposition ont polarisé le pays. Soudain notre bien-aimé le football est devenu une arme dans la bataille politique. Il ne faut jamais s’attendre à quoi que ce soit promu par les politiciens et qui sera à l’abri de la logique politicienne.
Néanmoins, l’approbation publique de la Coupe du monde est susceptible de monter. Après être passé de 79 % en 2008 à 51% en février dernier, le niveau de soutien pour l’événement chez les Brésiliens a atteint 60% ces derniers jours, selon Folha de São Paulo, le principal journal du pays.
En dehors de la violence policière fréquente contre les manifestants, un mélange de manifestants anti-coupe du monde et travailleurs en grève, l’atmosphère semble maintenant festive. Des centaines de milliers de touristes profitent de l’ambiance du pays, tout en souffrant de nos prix relativement élevés, l’un des nombreux inconvénients de notre économie « quasiment non libre » (114e place sur l’indice de liberté économique de la Heritage Foundation).
Les Brésiliens se précipitent à la sortie de l’école et du travail pour s’asseoir en face de leurs téléviseurs, chanter (l’hymne national) et huer (la Présidente Dilma, l’équipe de l’Argentine et Diego Costa de l’Espagne) ensemble. Mais, accueillir la Coupe du Monde a enseigné aux Brésiliens quelques leçons utiles. Le plus important est que l’on ne peut jamais être trop sceptique quant aux promesses des politiciens. Car tant qu’ils sont autorisés à dépenser comme bon leur semble, ils le feront d’une manière qui favorise leur maintien au pouvoir. Dans les préparatifs à la Coupe du monde, les hommes politiques ont une fois de plus utilisé l’argent des contribuables au profit de leur réélection.
La cruelle ironie est que les politiciens utilisent le football – source de joie inestimable pour les Brésiliens – pour forcer une population appauvrie à payer une facture 10,2 milliards de dollars.
Magno Karl, chercheur à l’Université fédérale de Rio Janeiro – Article publié initialement en anglais par Atlas One