Africa Journey par Jeanic Lubanza

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Pour les Nations-Unies et le reste du monde, la République Démocratique du Congo et le Mozambique font partis de ces pays africains de tous les dangers

Par Jeanic Lubanza

Boko Haram, guerre civile, meurtre, pauvreté

Pour le congolais Patrice Kalonji et le Mozambicain Guy Sakala, ce nest pas complètement faux. Oui, une partie de la population vit dans lextrême pauvreté mais ce sont les personnes les plus débrouillardes du monde. Oui il y a Boko Haram, mais le groupe nest pas en RDC ou au Moz.

Oui, lAfrique cest 54 pays avec au moins 54 cultures.

Je tiens à présenter mes excuses à ma correspondante pour le retard. Nous devions débuter mercredi dernier… Mais qu’est-ce que je découvre ce jour là ? Pas de SMS, pas de 3G, pas de fibre optique passant par muanda…

Systeme ya Corée du Nord

Comme je suis ingénieur, j’ai réussi à me bricoler une petite connexion. Tout le monde n’a pas cette chance. Mon voisin fait parti de ces kinois que la bonne fortune n’a pas décidé de connaître. Son petit boitier Wanadoo n’a pas tenu le choc. Il doit récupérer des pièces détachées pour le repérer. Joseph, vient avec moi, lui dis-je. Des employés de Chanimetal m’ont dit qu’on pouvait récupérer des câbles dans leur déchèterie. Cette entreprise belge est spécialisée dans la construction navale près de la baie de Ngaliema. Tout au long de ce spot, traînent d’anciens matériaux en tout genre, des pièces d’assemblages à la petite ferraille.

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En nous rendant là bas, Joseph me parle de ses petites galères quotidiennes : comme arrivera-t-il à payer le minerval (les frais de scolarité) pour son fils, comment fera-t-il pour envoyer quelques dollars à sa mère, restée dans la région du Kasaï…

Si on ne trouve pas de quoi réparer le boitier, je t’en trouverai un autre. C’est la moindre des choses, il n’a pas eu la chance que j’ai eue. Et ce n’est pas sur ce gouvernement défaillant qu’il pourra compter.

Joseph Kabila, le président-dictateur veut se maintenir au pouvoir. Pour ce faire, il a la folle idée de modifier l’article 70 de notre Constitution.

Pour éviter toute manifestation sur internet, le réseau est très souvent agressé. Résultat : le pays est en effervescence.

 

Kintambo se réveille sous le bruit des passants et des vendeurs ambulants. À l’image de Kin’, mon quartier fourmille de monde. Avant, les trottoirs en terres battues ressemblaient à quelque chose. Maintenant, ce sont les déchets et les eaux stagnantes qui ont pris le dessus. Les bicoques construites à l’arrache s’alternent aux grandes maisons couleurs pastels. Il est 6H et je suis encore dans le coltard. La sentinelle a-t-elle pu faire la réserve d’eau nécessaire ? Si ce n’est pas le cas, quelqu’un devra aller la puiser.

En me rendant sur l’avenue Kasa-Vubu pour prendre le taxi-bus, je n’arrête pas de penser à l’Esprit de Mort. C’est le surnom donné aux bus Mercedes 207. Ils assurent la liaison entre Kin’ et les communes environnantes.

« Tu sais, la société propriétaire des Mercedes 207 a construit ses bus sur un cimetière ! C’est pour ça qu’il y a l’esprit de mort dedans. » me raconte un ami. Il n’est pas le seul à le croire. Ces camionnettes façon bleues-jaunes criardes, sont hors du temps. Sûrement plus vieux que mes propres parents.

Faute de moyens de transports et de routes praticables, nous nous entassons dans ces bus où la sécurité n’est pas la priorité absolue…

La plupart des chauffeurs grillent les feux rouges et se prennent pour Schumacher. La conséquence de cet « esprit de mort » n’est pas la possession mais le décès des passagers lors d’accidents.

Allez Patrice, tu prends l’espr… le taxi-bus jusqu’à Kinshasa-centre et après le Transco, me dis-je.

Transco c’est la deuxième compagnie de transport agrée par l’Etat. Les bus sont plus modernes et plus sûr niveau sécurité.

Moins 1000 francs Congolais (0,95$) pour le ticket de transport. Direction Matadi. 20km plus loin, j’arrive à mon lieu de travail. J’ai chaud. Les retards sont tolérés jusqu’à 7h45. Il est 7h43.

Pendant la pause, un collègue et moi en profitons pour acheter quelques provisions. Au City Market, les produits locaux ne sont pas trop chers.

Le franc congolais n’a aucune valeur monétaire, toutes les transactions se font en dollars USD. Le prix des produits peut quadrupler d’un quartier à un autre. Tout est importé, même le blé. A cause de ça, on ne sait même pas comment les trois quarts des kinois pourront survivre… On négociera.

Enfants-RDC-jouant-playstation-shegues

16H30. Fin du boulot. Espérons qu’il n’y ait pas de coupure de courant.

Fabrice, un de mes collègues me propose de me déposer à Bandal, le quartier juste à côté de Kintambo. Pour tous, Bandal, c’est Paris ! Sauf que Bandal est un florilège de disfonctionnements. Pas de trottoir, des maisons qui tiennent par la force du Saint Esprit. C’est là que se produisent régulièrement des artistes comme Fally Ipupa ou Zaïko. Les maîtres de la sapologie défilent régulièrement devant chez eux. Ces rois de la sape adorent claquer la moitié de leur salaire dans des costumes 6 pièces ou des chaussures crocos. Ça me dérange un peu. Avant qu’on dise de moi « songi songi » (médisant), je m’explique. Ces sapeurs, là, ils achètent leurs pantalons jaunes Gucci, les chaussures Bugatti ou les chemises avec le crocodile vert  à plus de 1 000$. Le restant du mois, ils doivent cumuler plusieurs petits boulots pour survivre, la plupart du temps, les enfants travaillent avec eux après l’école comme vendeurs ambulants… Tout ça pour quoi ? Pour se saper ? Même moi, qui suis ingénieur, je n’ai pas de quoi m’acheter un tacot. Alors la chemise au crocodile vert, Non.

J’adore les sapeurs. Parfois, leur débrouillardise m’impressionne et leur incohérence me choque.

Non merci, je vais renter en bus, je dois passer rapidement à Lingwala, pour récupérer mes enfants.

Je vois les Mercedes 207 débarquer, les gens s’entasser, pas de Transco…

Ces camionnettes bleues-jaunes… L’esprit de Mort… Hé pardon. Fabrice j’arrive.

18H. Coupe d’Afrique des Nations

Dans la rue, les copains ont installé un vidéoprojecteur pour regarder le match.

Des enfants de rues, les shégués, s’approchent timidement. Ils veulent regarder le match mais surtout manger. Ces petits n’ont pas de famille. Si la mère tombe enceinte avant le mariage, la famille la chasse. Le petit est abandonné à la naissance. Soit il disparaît, soit il est recueilli par l’Eglise ou d’autres enfants plus grands. Etant donné qu’ils trainent toujours devant chez nous, on leur laisse à manger ou quelques dollars. Dans le fond, ils font partis de notre famille.

Tenez, prenez gamins…

Transat, une bière et du ntaba (chèvre grillée). Au programme : RD Congo/ Tunisie. Des voisins se joignent à nous.

Eza na niveau te! Ba Tunisiens bazo kokoka te !

Pendant que les Tunisiens perdent le match, Marco, Ya Papi discutons sur les nouvelles du moment.

Une vue aérienne de Maputo au Mozambique
Une vue aérienne de Maputo au Mozambique

Je viens d’apprendre qu’une marche en France, en Suisse et au Canada contre Kabila sera organisé ce week-end, lançais-je

Enfin une mobilisation, je suis fièère de nos expatriés, rajoutait Papi.

Nous continuons sur le sujet et sans crier gare, Marco pris la parole.

« Quel président laisserait des millions de frères se faire tuer, violer, mutiler au Nord-Kivu ? Quel président laisse la milice rwandaise meurtrière Interahamwe piller nos mines ? Quel président vraiment ? En France, il y a 17 morts et Hollande marchait sur la Place de République. Nous, 7 millions de morts et l’autre imbécile ne bouge pas. »

Pendant ce temps, la RDC se qualifie pour les quarts de finales de la Coupe d’Afrique des Nation. Les gens commencent à danser sur du Koffi. Des musiciens viennent avec leurs danseuses, pieds nus et vêtus d’un simple débardeur et d’un jean. Soudain, plus de lumière, les musiques se taisent. Papi attrape un bidon d’essence et court chercher du carburant. Vingt minutes plus tard, la rue s’éclaire.

Kabila, il est temps pour toi de dégager

Ce que je foutais avant l’accouchement de la femme ?

Bah… Je continuais de monter mon commerce florissant à Matola C700, mon quartier à 15 km du centre de Maputo. Certaines maisons ont un goût esthétique plutôt douteux mais l’ensemble est coloré, vivant.

Je suis auto-entrepreneur dans la vente. J’achète des produits cosmétiques à Maputo que je revends à mes clients du Swaziland, au sud. Au départ, je faisais mon petit business dans mon garage, les clients venaient chez moi. Puis ça s’est développé et j’ai pu louer une annexe derrière la maison de mon bailleur.

En général, ma boutique tourne la nuit. Les jeunes sortent, dansent, boivent dans les kiosques de la ville pour s’échouer sur le trottoir devant chez moi. La chute n’est pas douloureuse, les routes ne sont pas goudronnées. Je ne sais pas ce qu’ils leur prennent, mais c’est à ce moment là de leur vie, lorsqu’ils peinent à se lever, lorsqu’ils tombent inlassablement dans la poussière, qu’ils achètent mes produits. « Vou comprar esta Lipstick» (du portugais : «  je vais acheter ce rouge à lèvre »), qu’ils me disent.

La nuit, les rues sont très éclairées et la police hante les avenues 25 de Setembro et les Martires de Inhaminga. Nous avons tendance à nous approprier les murs et édifices de Maputo. Nous faisons des graphes, nous installons à l’arrache le matos pour la musique. Les Blancs, Indiens, Noirs et Chinois de toutes catégories sociales n’ont aucun mal à discuter. Si vous êtes timide, la Kizomba, musique très populaire, peut vous mâcher le travail. Tout et tout le monde est accessible ici.

Au levé du jour, les gens se barricadent. Le soleil cogne fort. Jusqu’à 40°C à l’ombre. A moins de vouloir brûler en 5 minutes, il vaut mieux rester chez soi et décuver.

« Guy, XXX est à l’hôpital de Chamanculo. Viens vite. »  Recevoir un appel à 5h du matin de sa belle-mère qui annonce que ma copine enceinte est à Chamanculo n’est pas très rassurant… En plus la voiture est en panne… L’hôpital de Chamanculo… Même Google Maps n’en a jamais entendu parlé. Notre système de santé n’est pas développé, surtout dans le nord du pays. Si vous êtes amené à subir une opération, autant aller en Afrique du Sud. Vous éviterez de mourir de conséquences post-opératoires. Chez nous, c’est la gangrène.

Après trois heures de monologue sur comment vais-je faire pour me rendre là-bas, je décide d’aller voir mes voisins d’en face.

La communication avec eux a toujours flirté avec le néant. En même temps, la disposition du quartier n’aide pas : Les maisons sont pratiquement fortifiées. Je tente ma chance, on verra bien, me dis-je en m’approchant de chez eux.

Bom dia ! como você está? Eu não me importo eu espero! (bonjour ! comment allez vous ? J’espère que je ne vous dérange pas) Hurlais-je par dessus le grillage en bois.

Écoutez, ma femme est à l’hôpital en train d’accoucher. Ma voiture est au garage.
Serait-il possible d’emprunter la vôtre ou que vous veniez avec moi ? Comme ça, vous pourrez voir meu menino (mon petit garçon) !

Un ange passe

J’aperçois une ombre passer furtivement devant la fenêtre.

Pour grignoter notre poulet avec insolence aux barbecues du quartier, ils ne se font pas prier…

Il était 9h passé et 30°C au compteur. Désespéré, je ne pensais pas que mon Salut viendrait des jeunes de Matola.

Hé Papi, qu’est-ce qui t’arrive ? me lance un jeune.

Hmm ces jeunes n’aiment vraiment pas étudier. Ils sont tout le temps là au coin de la rue, même look – T-shirt rouge, jean, chaussures imitation Nike air Force. Parfois, ils me font penser des clones réussis de 50 Cent. Par contre, le rap portugais est à faire ni à refaire.

Ma femme va accoucher et je ne trouve personne pour m’emmener à Chamanculo.

Chamanculo ? viens je t’emmène, j’ai la voiture de mon vieux.

Pendant que je fustigeais psychiquement son look, le gamin me racontait sa vie. Le dénommé Felipe habite sur l’avenue José Craveirinha, à Matola. En théorie, il est au lycée mais il préfère rapper avec les autres petits du coin de la rue. Je m’abstiens de tous commentaires mais mon visage me trahissait.

Tu peux pas comprendre, l’école c’est bien. Mais ça ne donne pas de boulot dans l’immédiat. La Kizomba marche en Europe. Mon cousin qui vit à Lisbonne, me dit qu’il y a plein d’artistes mozambicains qui réussissent là-bas. Avec la musique, j’ai mes chances. Le Mozambique est un pays pauvre. Notre nouveau président, Filipe Nyusi tente d’enrayer le problème en augmentant le salaire minimum (510$) mais ça reste insuffisant.

Toujours le même mythe. Un africain réussit en Europe et le reste pense que son tour viendra aussi.

Ben voyons, c’est vrai qu’on devient un Kanye West tous les quatre matins.

Bizarrement, ma place dans la voiture devenait fortement compromise. Je me rattrapais : Ce que je veux dire, c’est que tu ne peux pas compter que sur tes « talents » musicaux pour percer. Il faut que tu finisses tes études, histoire d’avoir un plan B.

Ouais, c’est grâce à tes études que tu te retrouves à demander de l’aider à un gamin de 17 piges pour te rendre à Chamanculo.

Je lui aurais bien collé une gifle à en faire décoller ses grandes oreilles mais c’est interdit par la loi.

Une heure de route plus tard, nous arrivons à l’hôpital de Chamanculo. La vue de l’édifice me rassure. Style colonial portugais.. . Pourquoi il n’est pas affiché sur le maps alors ! Merci Felipe, tu peux venir avec moi si tu veux. Le gamin acquiesce et me suis.

Ma belle- famille était déjà sur le terrain. Le regard des parents de ma copine me fit culpabiliser : « hmm … Ta femme accouche et tu arrives comme ça, transpirant, sans rien ». Là encore, mon Salut est ve nu de l’infirmière.

 

Bom dia Sr Sakala. Sua esposa está na sala de parto. Você poderia por favor trzaer fraldas ? (Votre femme est en plein travail. Pourriez-vous ramener des couches ?)

C’est aux environs de 15h que mon fils est né. Dans chaque famille mozambicaine, les naissances sont célébrées sur les rythmes des Machope. Le groupe est issu du nord du pays. Ils sont connus pour leur timbala (musique au Xylophone).

En compagnie de la belle- famille et Felipe, nous nous rendons dans un kiosque près du Nucleo de Arte, le centre culturel franco- mozambicain. L’apogée de l’ambiance commence avec l’arrivée d’artistes comme le sud-africain Euphonik ou l’Orquestra Xizoho vers 22H. Vous pouvez être sûrs que les rythmiques de la timbala seront présentes. Et nous ne fûmes pas déçus.

SAÚDE (Santé)

L’ambiance était au rendez-vous et 90% des personnes du bar (que je ne connais pas), ont trinqué à la santé de mon fils. Sauf Felipe. En retrait, il semblait perplexe devant toute cette «  animosité » .

C’est quoi son problème ? Pour un soi-disant mélomane, il devrait être content. «  Animosité » ? S’il allait à l’école plus souvent, il aurait trouvé l’adjectif adéquat à la situation.

Nous nous expliquons. Selon sa philosophie, il y aurait des célébrations plus importantes bien que la naissance d’un enfant soit une chose magnifique. Je le coupe net.

C’est la naissance de mon fils. Ça peut te paraître dérisoire à toi qui penses connaître le monde sans avoir quitté le Mozambique. Attends de devenir père et on en reparle.