Pour illustrer la métamorphose technologique que connaît le continent africain, le site African Voices de CNN a mis le projecteur sur 10 voix de premier plan des technologies avancées de différents pays d’Afrique.
Si l’article a mis un accent très mérité sur le mouvement d’innovation né sur le continent africain et ses réalisations, nombreux sont les spécialistes de ce domaine à penser qu’il ne représente pas l’intégralité de la créativité et de l’esprit d’entreprise qui fermentent dans tous les coins du continent. La plupart des régions non anglophones ont été ignorées, de même que les actions d’information qui ont été menées dans les zones les plus isolées sous l’aspect des technologies.
Innovation par nécessité
Bright B Simmons, le fondateur à Accra de mPedigree Network explique “Ce que le monde peut apprendre des entrepreneurs d’Afrique” :
Il devient de plus en plus évident que l’esprit d’entreprise est la réponse aux problèmes économiques frustrants auxquels l’Afrique se confronte aujourd’hui (..) Mais quelle a été son évolution réelle en Afrique ?
Y a-t-il des traits particuliers de l’esprit d’entreprise africain que nous puissions considérer comme pertinents pour les grands débats mondiaux sur le développement et le développement durable ? [..] la différence générale de structure des économies africaines typiques, comparées à l’Occident, fait une grande différence.
Les ressources moindres des autorités fiscales et de régulation, et la taille plus petite des entreprises signifient, conjointement, que lorsque les entreprises prennent des dispositions complexes pour rationaliser leurs dépenses fiscales, leurs coûts montent plutôt que de baisser. De même, un système financier plus léger rend la notion de fonction de trésorier d’entreprise comme on l’entend à l’Ouest, presque superflue dans le cadre africain.[..] Dans un sens, les entrepreneurs africains gèrent des écosystèmes de profits plutôt que des unités de production.
Ces écosystèmes interagissent avec les autres écosystèmes selon un mode culturellement élaboré qui peut générer très fortes robustesse, résilience et flexibilité.
Au Sénégal, les entrepreneurs ont clairement identifié le besoin d’une meilleure mise en réseau des acteurs dans le secteur agricole (comme dans les autres activités). Une rencontre de Start-Up est programmée le 30 mars à Dakar pour discuter opportunités de collaboration entre spécialistes des technologies et entrepreneurs :
Le constat est simple : trop peu de liens sont encore tissés entre les TIC et les secteurs dans lesquelles elles pourraient avoir des retombées sociales et économiques considérables. Les jeunes développeurs ne savent généralement pas comment utiliser leur talent au profit de ces industries et de l’autre côté, les professionnels des secteurs concernés ne sont pas en contact avec le monde des TIC et du fait peinent à exprimer leur problématiques en termes techniques.
Dans l’article de CNN African Voices, Ory Okolloh souligne en quoi la technologie est importante, tout en insistant que d’autres domaines doivent également évoluer pour pouvoir persévérer dans l’effort :
Pour que cette croissance soit durable et crée davantage d’opportunités génératrices de revenus, il nous faut d’autres sortes d’infrastructures telles l’électricité pour rattraper, et plus de gouvernements qui embrassent l’idée des politiques de libre accès
Un indicateur des tendances actuelles à l’innovation qui bouillonnent sur le continent est la multiplication des centres de technologie sur tout le continent (source : Crowdmap) :
Un exemple récent d’initiative technologique collaborative au moyen desdits centres est la rencontre Apps4Africa sur le changement climatique qu’organise le 16 mars la communauté i-Hub tech à Madagascar.
La fracture linguistique
Okolloh a remarqué, avec d’autres spécialistes africains des technologies, que d’autres régions étaient absentes des écrans. Jean Patrick Ehouman dit à la fois sa satisfaction de voir les hautes technologies africaines à la une, et sa déception devant le silence dans lequel est tenu l’univers technologique francophone :
Il y a 21 pays en Afrique (environ 350 millions de personnes) dont la langue officielle est le Français. En plus de ces 21 pays, il y a 5 autres dont le Français est aussi une langue officielle (la deuxième). Il s’agit de l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie qui sont des pays dont la première langue officielle est l’Arabe. Dans tous ces pays, il y existes des passionnés et des leaders de technologies qui publient régulièrement sur Twitter.
Ces personnes passent beaucoup de temps à créer ou a mobiliser les différents acteurs de cette industrie pour en tirer le meilleur. [..] @Fasokan n’a jamais réussi à lever des centaines de millions de dollar pour ces projets, mais il a beaucoup de mérite quand on sait que grâce à lui les villageois des zones reculées du Mali arrivent à se faire connaitre du monde en tenant un blog.Et il publie tant en Bambara (Langue africaine parlée au Sénégal, en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, …) qu’en français. Combien de blogueurs connaissez qui ont réussi l’exploit de dynamiser l’une des langues les plus parler sur le continent ?
L’Afrique lusophone a elle aussi été tenue à l’écart de la conversation sur les technologies en Afrique, ce qui déplaît à GiantPanda. Elle écrit sur Menina do Javali :
C’est ma bête noire depuis un moment : la paresse des médias internationaux à l’égard de la tour de Babel (post-) coloniale. Les articles en anglais sur “l’Afrique” souffrent du prisme “l’Afrique est un Pays”, mais j’irais plus loin en disant que c’est un prisme “l’Afrique est un Pays qui parle anglais” [..] Tout comme le propose Jean Patrick Ehouman dans son billet en français, commençons ci-après un fil de discussion qui assemble les meilleurs tweets (d’Afrique lusophone)…
Les défis
Le Nigérian Ndubuisi Ekekwe, fondateur de l’association à but non lucratif African Institution of Technology, souligne les difficultés de la levée de fonds d’investissement dans les pays en développement et l’importance de rendre les entreprises africaines de technologies plus faciles d’accès pour les investisseurs [en anglais] :
Les entrepreneurs doivent avoir des plans en place où puissent sortir les investisseurs, surtout dans les pays en développement. La plupart des investisseurs n’ont pas des années devant eux pour attendre le retour de leur mise par la croissance et les profits. La plupart s’en vont au bout de quatre à huit ans, et les entrepreneurs doivent présenter un parcours lisible qui le permette.
Le blogueur de technologies malgache Tsiory Razafimanantsoa éclaire un autre défi qui empoisonne le monde technologique en Afrique : la prolifération des arnaques en ligne qui sape la confiance indispensable aux investisseurs pour un climat des affaires durable :
(A Madagascar,) Aujourd’hui, l’actualité porte sur la hausse des prix de communications mobile, le mauvais temps, la connexion internet capricieuse… Mais au milieu de tout ce foutoir, il y a une autre “crise” grandissante: l’arnaque pyramidale. [..] Il n’y a pas encore de texte dans la loi malgache qui condamne une telle pratique. En effet, surement déjà pratiquée à petite échelle avant, elle ne gagne du terrain que depuis quelques mois.
En conclusion, malgré des difficultés concrètes, la haute technologie en Afrique est partie pour un grand bond en avant. Comme le formule Julia Rotich [en anglais] :
Le récit sur l’Afrique change chaque jour, poussé par les opportunités dans un continent de plus de 300 millions d’Africains de classe moyenne. [..] La promesse ici, c’est que le goût d’entreprendre observé chez les jeunes férus de technologie va se traduire en davantage de solutions africaines aux problèmes africains, et par là en prospérité africaine. Les défis abondent évidemment, mais les indicateurs dans les centres d’innovation comme le Kenya montrent de grandes promesses et un récit tout différent dans les années à venir.
Thierry Barbaut
Source: www.globalvoicesonline.org