L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina Faso a contraint le président Blaise Compaoré à démissionner. Le saccage de l’Assemblée nationale, où le projet de loi modificative aurait dû être voté, et l’exil forcé de l’ancien président en Côte d’Ivoire sont les symboles forts de cette victoire insurrectionnelle.
Deux ans après le succès de l’insurrection, pourrait-on affirmer que le Burkina Faso a amorcé une rupture politique ?
La dernière campagne électorale pour la présidentielle a donné l’occasion au Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) de manifester sa volonté de rupture en indexant le régime Compaoré. L’actuel président de l’Assemblée nationale, cadre du parti, Salif Diallo a déclaré en évoquant Blaise Campaoré: « Nous avons diné avec le diable mais nous ne sommes pas le diable. » Le projet d’une nouvelle Constitution instituant la Vème République pour un nouveau départ institutionnel est à l’ordre du jour.
Par ailleurs, le MPP a renouvelé une partie de la classe politique et de la majorité présidentielle même si une partie du personnel politique est un transfuge du régime déchu. Par exemple, le Premier ministre Paul Kaba Thiéba, ancien fonctionnaire international, est un débutant politique. Le premier vice-président de l’Assemblée nationale, Bénéwindé Stanislas Sankara, est un vétéran de l’opposition burkinabè.
Quant à la liberté d’expression et de presse, depuis la transition, la parole s’est libérée dans les espaces publics et médiatiques. Selon le classement mondial de Reporters sans frontières (RSF) de 2016, le Burkina Faso occupe le 42ème rang sur 180, soit une progression de 4 places par rapport à sa position de 2015. La stratégie de communication politique a subi un réaménagement.
Le président du Faso a une démarche de proximité avec le peuple contrairement à Blaise Compaoré réputé pour son effacement médiatique et ses rares apparitions publiques. Roch Marc Christian Kaboré a pris l’habitude de faire des points de presse à l’aéroport de Ouagadougou dès la fin de ses missions officielles à l’étranger.
Toutefois, en dépit de ces quelques points positifs, force est de constater que sur le fond le pouvoir s’inscrit dans la continuité. D’abord, le MPP, la majorité présidentielle, est issu d’une dislocation tardive du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) de Blaise Compaoré. Le parti perpétue la même ligne idéologique que le CDP c’est-à-dire la social-démocratie. Pour atténuer l’effet de cette critique à leur encontre, les ‘’Mppistes’’ accusent le CDP d’incarner le modèle impur de cette doctrine. Ensuite, la politique étrangère du nouveau régime s’inscrit comme le prolongement de celle de Blaise Compaoré.
Enfin, le pouvoir judiciaire actuel est à la solde de l’exécutif et l’impunité reste une triste réalité. Mais le pouvoir politique s’en défend et affirme respecter le principe de la séparation des pouvoirs. Les anciens dignitaires inculpés ont bénéficié majoritairement de libération provisoire. La procédure de jugement des putschistes du 15 septembre 2015, qui est du ressort de la justice militaire et mettant en évidence le cumul de fonction de ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants par le président Kaboré, est toujours en cours. A ce titre, le ministre est chargé de l’exercice des pouvoirs judiciaires prévus par le code de justice militaire.
Le colonel Mamadou Bamba, l’officier qui a prononcé le communiqué du putsch à la télévision nationale, bénéficie d’une liberté provisoire depuis octobre 2016. Pour le cas judiciaire de Blaise Compaoré, sa naturalisation récente en Côte d’Ivoire l’a soustrait de l’empire d’une extradition vers son pays natal.
Une classe de la société civile critique l’inertie gouvernementale et appelle à un remaniement ministériel fondé sur la compétence et non sur une fantaisiste cooptation politique. Cette soif de rupture avec le passé politique de Compaoré s’est encore aiguisée pendant le « Printemps noir ». Bien que la transition, présidée par Michel Kafando, ait dévoilé son intention d’asseoir un renouveau socio-politique, des allégations de corruption à l’encontre de certains leaders ont entaché la réputation de bonne gouvernance du régime transitoire.
L’ancien Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, est actuellement en ‘’exil forcé’’ au Canada en raison d’accusations de corruption. L’octroi de privilèges de fin de service ministériel, dans un contexte économique morose, a soulevé également un tollé au sein de la société civile. Cette dernière, naguère vilipendée pour son accointance politique, a franchi un pas appréciable dans son rôle de contre-pouvoir.
Quant à l’opposition politique, elle a les coudées franches pour poursuivre sa dynamique de veille des acquis de la révolution, même si elle n’est pas entendue par le pouvoir. Elle élève une voix discordante sur l’état de la gouvernance nationale. Par exemple, elle a discrédité la nomination à la direction de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) qui a été concédée à une personnalité parlementaire du MPP.
Le chef de file de l’opposition, Zépherin Diabré, a réclamé sans succès la révocation du promu au motif de sa « mauvaise gestion financière » sous le régime Compaoré. Une coalition de partis politiques de l’opposition (CODER) s’est formé et a organisé, le 29 octobre 2016, la Conférence nationale sur l’insurrection et les défis post-insurrectionnels. Face à sa marginalisation par le pouvoir, elle a lancé un appel solennel au Président Roch pour un dialogue national inclusif.
En définitive, et s’il est encore tôt pour juger le bilan du président actuel, il n’en demeure pas moins qu’en passant en revue le mode de gestion politique, on est incliné à penser que le cordon ombilical n’est pas entièrement coupé avec le régime Compaoré. Le peuple, assoiffé d’une véritable rupture se pose la question légitime sur le sens de ses sacrifices et du combat qu’ils ont mené.
Naré Yannick, spécialiste en communication-média et juriste