Le 9 novembre 2016, dans une atmosphère de surprise générale, les Américains élisaient Donald Trump comme 45e président
Cette élection a généré de nombreuses craintes dans le monde, notamment en Afrique. Craintes d’autant plus justifiées que l’Afrique était absente de la quasi-totalité du débat électoral américain, n’étant souvent évoquée qu’au travers des clichés caricaturaux et grossiers dont le nouveau président élu avait seul le secret. Ce qui amène à s’interroger sur les relations à venir entre les Etats-Unis et l’Afrique.
L’Afrique doit-elle avoir des appréhensions suite à l’élection de Trump ?
Tout d’abord sur les plans politique et démocratique, il existe une réelle crainte que la posture isolationniste et de non-ingérence du prochain Commander in Chief soit perçue comme un blanc-seing par les régimes autoritaires africains. Ceci doit être pris au sérieux surtout lorsqu’on connait les pressions que l’administration d’Obama exerçait sur un certain nombre de dirigeants et leurs proches en vue de s’assurer de l’ouverture du jeu politique et du respect des valeurs démocratiques.
Cette élection n’aura pourtant laissé indifférent aucun des dirigeants du continent qui se sont d’ailleurs empressés de lui adresser des félicitations soit par courtoisie traditionnelle, soit par opportunisme. Mais ces dirigeants africains ne doivent pas trop vite crier victoire lorsqu’on sait que dans l’entourage de Trump se trouve des élus Républicains tels Ed Royce et Chris Smith qui, sous Obama, apparaissaient comme les plus farouches partisans des sanctions à ces régimes et leurs alliés.
En matière sécuritaire, au-delà de l’éradication de la criminalité transfrontalière, la priorité africaine reste la lutte contre la nébuleuse issue de la triangulation terroriste bâtie autour d’Al Shabab, Aqmi et Boko Haram.
On note à cet effet la décision du déploiement de quelques 300 soldats américains au Cameroun depuis le 12 octobre 2015 pour mener à bien cette lutte et garantir une meilleure sécurisation du Golfe de Guinée. Zone d’importance avérée pour les approvisionnements énergétiques américains, soit autour de 25% depuis 2015. Ainsi, en dépit des discours Trumpistes aux relents parfois volcaniques, il y a fort à croire que les questions sécuritaires, qui sont au cœur du dispositif de politique étrangère américaine autant que les enjeux économiques, soient peu sujets à un changement dégressif.
Concernant les enjeux économiques, les Etats-Unis ont pris conscience tardivement de l’intérêt économique de l’Afrique aussi bien en tant que gisement de ressources naturelles que marché très prometteur.
Ils ont mis en place plusieurs mécanismes de coopération avec l’Afrique, notamment l’AGOA (Africa Growth and Opportunty Act), une loi permettant à 39 pays africains d’être exonérés de taxes à l’exportation vers le marché américain, ou encore du MCC (Millenium Challenge Corporation) qui dans ses 33 engagements passés, compte 20 pays africains représentant des projets à hauteur de 7,9 milliards de dollars soit 68% du portefeuille compact total du MCC. Il faudrait ajouter à cette liste le Forum économique Etats-Unis-Afrique initié en 2014 et qui en septembre 2016 était à sa deuxième édition. L’un des projets phares de ce forum est sans doute l’initiative Power Africa dotée de 26 milliards de dollars et qui devrait permettre l’implantation des industries ainsi que l’accès de plus de 60 millions de foyers africains à l’approvisionnement électrique.
Ce forum, construit sur le modèle des forums Chine-Afrique, vise justement à renforcer la présence des investissements et des intérêts américains en Afrique face à la forte concurrence chinoise et d’autres pays émergents.
Néanmoins, malgré les craintes, le fait que des programmes tels l’AGOA ou le MCC aient reçu l’onction préalable des élus américains, les rend un peu plus difficile à réformer, ceci en dépit même de la double majorité dont disposent les Républicains au Sénat et au Congrès dans la foulée de cette élection de Trump.
De plus, de nombreux projets d’investissement sont en fait portés par le secteur privé limitant tout effet public. En réalité, dans une approche plus pragmatique, la rivalité avec la Chine pourrait jouer en faveur du maintien et même d’un renforcement des investissements en Afrique. Car si Trump n’est pas un philanthrope, en homme d’Etat ayant un sens aiguisé pour les affaires (businessman dans une peau de Chef d’Etat) il est loin d’être insensible à l’appât du gain.
Quant à l’aide publique au développement, l’Amérique est un important pourvoyeur pour l’Afrique par le biais de nombreux programmes.
Cette aide, qui est passée de 5 milliards de dollars en 2007 à plus de 8,5 milliards de dollars par an en 2016, couvrent divers secteurs: santé, éducation ou agriculture. La crainte dans ce domaine est de voir l’administration Trump remettre en question ces acquis d’importance cruciale pour de nombreux Etats africains.
Un autre point et non des moindres est celui relatif aux questions migratoires. Le candidat Trump pendant la campagne n’a eu de cesse de dire son engagement à bouter les immigrés hors des Etats-Unis. Il entrevoyait ainsi un arrêt complet de l’entrée des musulmans aux Etats-Unis, ce qui de facto fermerait les portes aux ressortissants de plus de 19 pays africains, soit près de 450 millions d’Africains musulmans pratiquants.
Or, sachant que les transferts de fonds des diasporas africaines vers le continent constituent une source majeure de financement, une telle mesure serait un véritable danger. Selon la Banque mondiale, ces transferts de fonds se chiffrent à 60 milliards de dollars en 2014, soit plus que l’aide publique au développement qui, dans le même temps, ne représentait que 56 milliards de dollars, ou encore les investissements directs étrangers sur le continent évalués à 50 milliards de dollars. Mais il faut compter avec un recadrage entre le discours de campagne du « candidat Trump » et les contingences d’éthique de responsabilité du « président Trump » une fois aux affaires.
A ce sujet, il semble d’ailleurs revenir sur certaines positions polémiques comme cette fermeture des frontières aux musulmans et même celle sur les changements climatiques.
En définitive, bien que la question de savoir si la méconnaissance de l’Afrique par le prochain « locataire » de la Maison Blanche pourrait entrainer un glissement du continent au bas des priorités américaines mérite que l’on s’y attarde, en revanche les enjeux de l’intérêt national des Etats-Unis qui dépassent largement les clivages politiques devraient nous apparaître comme les gages d’une stabilité de leur politique africaine.
Car en tant que véritable « Opni » (Objet Politique Non Identifié), le président Trump, reste une énigme politique.
Alexe Fridolin Kenfack Kitio, Diplomate expert analyste des Relations internationales, Doctorant à Gazi University, Ankara-Turquie