Face à d’énormes difficultés de trésorerie, dues à la baisse des cours mondiaux des matières premières, la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) a décidé de relever de 50 points son principal taux directeur, passant de 2,45 à 2,95% afin de contribuer à freiner la fuite des capitaux
Pour rappel, selon le rapport 2015 de l’ONG Global Financial Integrity, l’Afrique subsaharienne est la région qui souffre le plus de la fuite des capitaux en pourcentage du PIB.
Sur la période 2008-2012, le Togo avec un taux de 76,8% du PIB est le pays ayant enregistré le taux le plus élevé de sortie illicite de capitaux dans le monde
Dans la zone CEMAC, les trois pays ayant enregistré les taux les plus élevés sont la Guinée Equatoriale (21,8%), le Tchad (11,2%) et le Congo (11,1%).
Dans ces conditions, est-ce qu’une hausse du taux directeur est suffisante pour garder les capitaux dans la CEMAC ?
Le mal est si profond qu’une telle mesure prise individuellement peut s’avérer inefficace. En effet, la problématique de la fuite des capitaux dans la zone CEMAC est double puisqu’elle est liée, d’une part, au manque de sécurisation des capitaux, et d’autre part, au déficit de leur rentabilisation.
Du point de vue de la sécurisation des capitaux, la corruption, l’inflation, le contrôle de change, l’instabilité politique et le déficit de protection des capitaux constituent des facteurs favorisant ou facilitant la fuite des capitaux.
La corruption est un facteur facilitateur de la fuite des capitaux car les dirigeants et les hauts fonctionnaires africains corrompus ayant détourné des fonds ne peuvent que les cacher ailleurs. Selon les statistiques de Transparency International, les pays de la CEMAC figurent parmi les pays les plus corrompus au mode. Le Gabon qui est le mieux classé occupe le 99ème rang sur 167 pays.
Quant au Tchad, le pays le plus mal classé de l’espace CEMAC, il occupe le 147ème rang. En un mot, les procès en cours en Europe contre des dirigeants d’Afrique centrale pour des biens mal acquis sont des illustrations de l’ampleur des détournements de deniers publics et de la sortie illicite de ces capitaux.
A cela il faut ajouter l’inflation combinée au contrôle de change et des capitaux qui expliquent aussi la fuite de ces derniers. Une inflation élevée est une source de perte de pouvoir d’achat du capital. Elle entraîne un manque de confiance des investisseurs en la monnaie car elle dégrade la valeur réelle de leur capital ou patrimoine. Il faut aussi noter que les investisseurs rencontrent des difficultés pour ouvrir des comptes en devises. La politique de contrôle de change et de capitaux ne facilite pas toujours les opérations formelles des investisseurs en devises, ce qui explique le recours à des voies informelles et clandestines.
Par ailleurs, l’instabilité politique, de part l’incertitude et l’insécurité qu’elle crée, est aussi un facteur favorisant la fuite des capitaux.
Selon le rapport (2014) du « Center for systemic peace », beaucoup de pays africains ont des indices de fragilité très élevé. C’est le cas de la Centrafrique, le Soudan du Sud, la République Démocratique du Congo et le Soudan qui ont des indices de fragilité les plus élevés.
Comme le dit un adage africain « l’argent n’aime pas le bruit ». Donc partout où il y des bruits de bottes ou des risques de bruits de bottes, il y aura fuite des capitaux.
Par ailleurs, la défaillance de la justice, l’absence d’état de droit, le caractère spoliateur de certaines lois et réglementations créent de l’insécurité juridique et explique aussi la fuite des capitaux. Par exemple, avec un score de 4,149, la zone CEMAC est l’un des espaces d’intégration régionale ayant l’indice international des droits de propriété le plus faible au monde (IPRI, 2016). Elle est classée avant dernière devant la CEEAC. Les politiques de nationalisation, en expropriant les détenteurs de capitaux privés à n’importe quel moment, est un facteur incitatif à fuir la spoliation en cachant leurs patrimoines ailleurs.
Sur le plan de la rentabilité des capitaux, la pression fiscale et le manque d’opportunités de placement rentables semblent expliquer la fuite des capitaux.
La pression fiscale et la complexité des procédures de déclaration peuvent être source de fuite des capitaux. Selon le rapport « paying taxes 2017 » de la Banque Mondiale et de PricewaterhouseCoopers (PwC), les pays de la CEMAC figurent parmi les pays pratiquant une pression fiscale élevée sur le continent africain. Hormis le Gabon (45,2%), tous les pays de la CEMAC ont une pression fiscale en pourcentage du profit commercial supérieur à la moyenne africaine qui est de 47,1%.
Par exemple la Guinée Equatoriale avec un taux de 79,4% a le taux le plus élevé. De plus, le marché financier de la CEMAC est peu développé. Il offre donc peu d’actifs rentables. A titre d’illustration, il faut noter que l’espace CEMAC, qui regroupe 6 pays et 44,1 millions d’habitants, compte deux places financières. Il y a la bourse régionale des valeurs mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC) au Gabon avec une capitalisation d’environ 556 milliards de CFA et le Douala Stock Exchange (DSX) au Cameroun qui totalise une capitalisation d’environ 154 milliards de FCFA.
Les pays africain en général et les pays de la CEMAC en particulier qui ont un environnement politique et économique risqué n’offrent pas toujours des opportunités de placement assez rentables.
En somme, au vu de la multiplicité des causes de la fuite des capitaux, des réformes structurelles profondes méritent être menées. Pour empêcher les capitaux nationaux de fuir et attirer ceux qui sont à l’étranger, il est indispensable de créer un environnement sûr pour les affaires et d’offrir des actifs plus rentables aux investisseurs.
Il s’agit de l’amélioration du climat des affaires et de la protection des biens et des capitaux. Bref, un allègement de la fiscalité et des procédures fiscales, le développement du marché financier régional, la lutte contre la corruption, la transparence dans la gestion des deniers publics et la création d’un environnement politique et économique stable constituent le cocktail de réformes indispensables à la lutte contre la fuite des capitaux.
KRAMO Germain, analyste économiste. Face à d’énormes difficultés de trésorerie, dues à la baisse des cours mondiaux des matières premières, la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) a décidé de relever de 50 points son principal taux directeur, passant de 2,45 à 2,95% afin de contribuer à freiner la fuite des capitaux. Pour rappel, selon le rapport 2015 de l’ONG Global Financial Integrity, l’Afrique subsaharienne est la région qui souffre le plus de la fuite des capitaux en pourcentage du PIB.
Sur la période 2008-2012, le Togo avec un taux de 76,8% du PIB est le pays ayant enregistré le taux le plus élevé de sortie illicite de capitaux dans le monde. Dans la zone CEMAC, les trois pays ayant enregistré les taux les plus élevés sont la Guinée Equatoriale (21,8%), le Tchad (11,2%) et le Congo (11,1%).
Dans ces conditions, est-ce qu’une hausse du taux directeur est suffisante pour garder les capitaux dans la CEMAC ?
Le mal est si profond qu’une telle mesure prise individuellement peut s’avérer inefficace. En effet, la problématique de la fuite des capitaux dans la zone CEMAC est double puisqu’elle est liée, d’une part, au manque de sécurisation des capitaux, et d’autre part, au déficit de leur rentabilisation.
Du point de vue de la sécurisation des capitaux, la corruption, l’inflation, le contrôle de change, l’instabilité politique et le déficit de protection des capitaux constituent des facteurs favorisant ou facilitant la fuite des capitaux. La corruption est un facteur facilitateur de la fuite des capitaux car les dirigeants et les hauts fonctionnaires africains corrompus ayant détourné des fonds ne peuvent que les cacher ailleurs.
Selon les statistiques de Transparency International, les pays de la CEMAC figurent parmi les pays les plus corrompus au mode. Le Gabon qui est le mieux classé occupe le 99ème rang sur 167 pays. Quant au Tchad, le pays le plus mal classé de l’espace CEMAC, il occupe le 147ème rang. En un mot, les procès en cours en Europe contre des dirigeants d’Afrique centrale pour des biens mal acquis sont des illustrations de l’ampleur des détournements de deniers publics et de la sortie illicite de ces capitaux.
A cela il faut ajouter l’inflation combinée au contrôle de change et des capitaux qui expliquent aussi la fuite de ces derniers. Une inflation élevée est une source de perte de pouvoir d’achat du capital. Elle entraine un manque de confiance des investisseurs en la monnaie car elle dégrade la valeur réelle de leur capital ou patrimoine. Il faut aussi noter que les investisseurs rencontrent des difficultés pour ouvrir des comptes en devises. La politique de contrôle de change et de capitaux ne facilite pas toujours les opérations formelles des investisseurs en devises, ce qui explique le recours à des voies informelles et clandestines.
L’instabilité politique, de part l’incertitude et l’insécurité qu’elle crée, est aussi un facteur favorisant la fuite des capitaux. Selon le rapport (2014) du « Center for systemic peace », beaucoup de pays africains ont des indices de fragilité très élevé. C’est le cas de la Centrafrique, le Soudan du Sud, la République Démocratique du Congo et le Soudan qui ont des indices de fragilité les plus élevés. Comme le dit un adage africain « l’argent n’aime pas le bruit ». Donc partout où il y des bruits de bottes ou des risques de bruits de bottes, il y aura fuite des capitaux.
Par ailleurs, la défaillance de la justice, l’absence d’état de droit, le caractère spoliateur de certaines lois et réglementations créent de l’insécurité juridique et explique aussi la fuite des capitaux.
Par exemple, avec un score de 4,149, la zone CEMAC est l’un des espaces d’intégration régionale ayant l’indice international des droits de propriété le plus faible au monde (IPRI, 2016). Elle est classée avant dernière devant la CEEAC. Les politiques de nationalisation, en expropriant les détenteurs de capitaux privés à n’importe quel moment, est un facteur incitatif à fuir la spoliation en cachant leurs patrimoines ailleurs.
Sur le plan de la rentabilité des capitaux, la pression fiscale et le manque d’opportunités de placement rentables semblent expliquer la fuite des capitaux.
La pression fiscale et la complexité des procédures de déclaration peuvent être source de fuite des capitaux. Selon le rapport « paying taxes 2017 » de la Banque Mondiale et de PricewaterhouseCoopers (PwC), les pays de la CEMAC figurent parmi les pays pratiquant une pression fiscale élevée sur le continent africain. Hormis le Gabon (45,2%), tous les pays de la CEMAC ont une pression fiscale en pourcentage du profit commercial supérieur à la moyenne africaine qui est de 47,1%. Par exemple la Guinée Equatoriale avec un taux de 79,4% a le taux le plus élevé. De plus, le marché financier de la CEMAC est peu développé.
Il offre donc peu d’actifs rentables. A titre d’illustration, il faut noter que l’espace CEMAC, qui regroupe 6 pays et 44,1 millions d’habitants, compte deux places financières. Il y a la bourse régionale des valeurs mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC) au Gabon avec une capitalisation d’environ 556 milliards de CFA et le Douala Stock Exchange (DSX) au Cameroun qui totalise une capitalisation d’environ 154 milliards de FCFA. Bref, les pays africain en général et les pays de la CEMAC en particulier qui ont un environnement politique et économique risqué n’offrent pas toujours des opportunités de placement assez rentables.
En somme, au vu de la multiplicité des causes de la fuite des capitaux, des réformes structurelles profondes méritent être menées.
Pour empêcher les capitaux nationaux de fuir et attirer ceux qui sont à l’étranger, il est indispensable de créer un environnement sûr pour les affaires et d’offrir des actifs plus rentables aux investisseurs.
Il s’agit de l’amélioration du climat des affaires et de la protection des biens et des capitaux. Bref, un allègement de la fiscalité et des procédures fiscales, le développement du marché financier régional, la lutte contre la corruption, la transparence dans la gestion des deniers publics et la création d’un environnement politique et économique stable constituent le cocktail de réformes indispensables à la lutte contre la fuite des capitaux.
KRAMO Germain, analyste économiste.