Ces derniers jours on ne parle que de la volonté du gouvernement El Othmani de poursuivre la décompensation du gaz butane, du sucre et de la farine
Face à la polémique, le gouvernement temporise en annonçant que ce n’est pas encore à l’ordre du jour, même si M. El Othmani l’avait bien annoncé lors de la présentation de son programme gouvernemental devant les parlementaires.
Peu importe, ce qui est sûr c’est que la décompensation est inéluctable et que c’est un faux débat que de chipoter sur son calendrier. L’enjeu est ailleurs : va-t-on enfin réformer la caisse de compensation ?
D’aucuns d’entre vous n’hésiteront pas à me rappeler que la réforme a déjà été entamée par le gouvernement Benkirane. Je vous réponds négativement ! Il est vraiment exagéré de parler de réforme alors que le gouvernement Benkirane, profitant de la baisse des cours des hydrocarbures, n’a fait que lever les subventions. Car, à mon sens, réforme signifie rompre avec un système, autrement il s’agit d’un ajustement, en l’occurrence comptable. Avant 2013, on avait un système aveugle où les pauvres et les riches payaient moins cher. Et après la décompensation opérée par Benkirane rien n’a changé à part que les pauvres et les riches payent, cette fois-ci plus cher. Dans les deux cas, ce sont toujours les pauvres qui trinquent.
Dès lors, la véritable réforme passe d’abord par une rupture avec la logique du traitement généralisé et uniforme de toutes les classes sociales marocaines hétérogènes de par leur pouvoir d’achat. Cela implique avant tout de mettre en place un système de ciblage des aides au profit des classes les plus démunies. Le but étant de subventionner directement le consommateur à la place du producteur.
Et qu’on ne me dise pas que c’est hors de portée. Car grâce à la carte de pauvreté du Haut Commissariat au Plan (HCP) et la base de données du Régime d’Assistance Médicale (RAMED) que l’on peut peaufiner, il est possible de mettre en place un mécanisme de soutien et d’accompagnent ciblé pendant la libéralisation des prix.
Ensuite, il est fondamental que notre gouvernement et les chargés de ce dossier prennent conscience que l’application de la vérité des prix débouchera automatiquement sur leur hausse car ils étaient sous-estimés.
En conséquence, et dans le but de soutenir le pouvoir d’achat des Marocains, notamment celui de la classe moyenne, souvent à la limite de la pauvreté, il faudrait agir sur les sources gonflant artificiellement les prix. En ce sens, il est indispensable d’ouvrir les filières subventionnées à de nouvelles entreprises afin de renforcer l’offre. Ceci implique par exemple pour la filière de la farine de remplacer le système des quotas par des appels d’offres basés sur un cahier des charges pour inciter les minotiers à produire plus avec une meilleure qualité et moins cher, notamment grâce à l’intensification de la concurrence. De même il faudrait raccourcir le circuit de distribution pour supprimer les marges inutiles et réduire ainsi le prix final facturé au consommateur.
Un autre facteur à l’origine de la hausse artificielle des prix réside dans les rentes de situation touchant les filières subventionnées ainsi que l’opacité du système de compensation. Il devient donc impératif de débarrasser le marché marocain des structures monopolistiques et oligopolistiques, se comportant en lobbys redoutables imposant leurs prix au détriment du consommateur. A ce titre, la remise en cause du monopole de Cosumar est nécessaire pour qu’il y ait plus de concurrence favorable à la baisse des prix.
Quant à la fiscalité, il est complètement aberrant par exemple que dans la filière du sucre l’on continue à augmenter artificiellement le prix du sucre importé via les droits de douanes de 42% à 60% sous prétexte de soutenir la production locale alors que celle-ci est structurellement déficitaire. De même qu’il est aberrant de ne pas supprimer la TIC et de réformer la TVA qui représentent jusqu’à la moitié des prix des hydrocarbures. La suppression de ces taxes est un préalable pour appliquer la vérité des prix et lever les subventions.
A côté de cette action sur les prix pour les tirer vers le bas, il est indispensable de ne pas conforter dans l’assistanat la population qui va bénéficier des aides. D’où la nécessité de booster le revenu des ménages les plus pauvres. En effet, sortir du cercle vicieux de la compensation suppose que l’on abandonne la logique de redistribution pour aller vers l’autonomisation des ménages pauvres. Cela passe par la mise en œuvre, sur le plan structurel, d’un environnement institutionnel favorable à l’entrepreneuriat et à des activités génératrices de revenus.
Affranchir les énergies privées des contraintes réglementaires, bureaucratiques, fiscales et financières excessives, permettra d’une part, la formalisation du secteur informel avec davantage d’opportunités d’emplois pour les jeunes et les pauvres, et d’autre part, la promotion de microprojets pour permettre aux pauvres non seulement de se prendre en charge mais aussi de faire travailler les autres. Car au final le meilleur filet de sécurité est l’emploi et non « l’aumône ».
Si la réforme de ce qui reste de la caisse de compensation est indiscutable, il ne faudrait pas tromper les Marocains sur l’approche à suivre. Se contenter de lever les subventions et crier à la réforme et au courage revient à mentir aux Marocains. Dès lors, au lieu de promette la continuité des réformes, M. El Othmani devrait promettre le début de véritables réformes. Après tout, il n’est jamais trop tard pour bien faire…
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc).