En Somalie, le groupe islamiste armé Al-Chabab a incendié de nombreuses habitations lors de raids perpétrés fin mai 2017 dans des villages de la région du Bas-Chébéli, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch en s’appuyant sur des témoignages et l’analyse d’imagerie satellite.
Les combattants d’Al-Chabab ont enlevé des civils, volé du bétail et commis des incendies criminels lors d’attaques ayant contraint plus de 15 000 personnes à fuir leurs foyers.
Le 21 mai, les forces d’Al-Chabab ont débuté leurs raids contre des villages des districts de Merka et d’Afgooye, dans le Bas-Chébéli. La région a longtemps été le théâtre de violences opposant des milices claniques, les forces du gouvernement fédéral, celles d’Al-Chabab et les troupes de l’Union africaine, dans le cadre d’alliances constamment renégociées et dont les répercussions pour les civils sont catastrophiques.
« Il n’y a aucune justification à ce qu’Al-Chabab enlève des civils et incendie leurs maisons », a déclaré Laetitia Bader, chercheuse auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Al-Chabab est responsable de déplacements massifs de populations, mais le gouvernement doit se pencher sur les tensions intercommunales et tenir les auteurs d’abus pour responsables de leurs actes. »
À Mogadiscio et par téléphone, Human Rights Watch s’est entretenu avec 25 personnes qui se sont enfuies des deux districts vers la capitale somalienne ou ailleurs dans le Bas-Chébéli, a également consulté des sages du village et des experts de la région, et analysé l’imagerie satellite de 30 villages du district de Merka.
Les conflits entre clans rivaux, principalement entre ceux de Habar Gidir et de Biyomaal, se sont multipliés au Bas-Chébéli depuis 2013. Les deux clans susnommés ont combattu tour à tour aux côtés et contre les forces gouvernementales somaliennes et celles d’Al-Chabab. Tout au long de ces cycles de violences, les civils ont été à plusieurs reprises la cible d’attaques commises en représailles.
Depuis septembre 2016, les tensions et combats entre Al-Chabab et une milice liée au clan Biyomaal se multiplient. Mi-mai, les affrontements se sont intensifiés autour du bastion de Biyomaal, situé dans le district d’Afgooye, connu sous le nom de KM-50, avant d’être suivis de raids perpétrés par Al-Chabab. Le groupe islamiste armé a attaqué des villages après avoir appelé pendant plusieurs mois leurs résidents à fuir leurs foyers, a déclaré Human Rights Watch.
« Abdi », dont le nom et celui d’autres personnes interrogées ont été modifiés par mesure de protection, a déclaré à Human Rights Watch avoir fui son village, Ceel Waregow : « Al-Chabab nous a accusé d’être ‘murtad’ [infidèles] et de coopérer avec le gouvernement. Certains des chefs de villages ont parlementé avec Al-Chabab pour obtenir l’assurance que les personnes qui ne possèdent pas d’armes à feu soient épargnées. Dans un premier temps, ils nous taxaient, spoliaient notre bétail et nous volaient de l’argent ; maintenant ils incendient nos maisons. »
Selon l’ONU, lors de combats livrés entre le 21 et le 23 mai, Al-Chabab a enlevé environ 70 personnes, y compris des femmes et des enfants, du village de KM-50. Les résidents ont affirmé à Human Rights Watch qu’Al-Chabab a volé un nombre considérable de vaches, de chèvres et de chameaux, indispensables pour assurer leur survie face à la sécheresse en cours. Les dirigeants locaux ont déclaré que des centaines de têtes de bétail avaient été volées, dont beaucoup sont mortes, et une fraction à peine a été restituée à la communauté.
Human Rights Watch a analysé une imagerie satellite révélant des changements survenus entre le 8 mai et le 12 juillet 2017 et prouvant que des destructions massives ont été perpétrées dans 18 des 32 villages du district de Merka. Dans tous les cas, les dégâts correspondaient à des incendies criminels ayant entraîné la destruction probable de plusieurs centaines d’immeubles résidentiels et communautaires. En raison d’une couverture nuageuse partielle sur les images satellites disponibles, il n’a pas été possible de parvenir à des conclusions similaires pour d’autres sites de la région, mais il se pourrait que le nombre total de villages touchés par les attaques récentes excède les 18 sites actuellement identifiés.
Un site de collecte de données open source a fait état d’affrontements opposant Al-Chabab, la milice du clan Biyomaal et les forces gouvernementales dans deux des 18 villages dans lesquels Human Rights Watch a identifié la destruction de biens. L’ONU a constaté qu’une centaine de foyers du districtde Merka avaient été incendiées lors du pic des attaques et que d’autres ont également été brûlés, le 23 mai, dans le village de Muuri et à KM-50, dans le district d’Afgooye.
Selon l’ONU, 15 240 personnes ont été déplacées entre le 21 et le 24 mai, au moment où les raids ont été les plus fréquents. Une femme originaire de Bullo Mudey, dont le père a été tué et brûlé vif dans sa propre maison lors d’une attaque, a déclaré : « Comment pouvons-nous rester à notre domicile, alors que des attaques constantes sont perpétrées et que des enfants sont brûlés vifs dans les maisons ? »
Beaucoup de personnes déplacées se trouvent dans la région du Bas-Chébéli, tandis que d’autres se sont dirigées vers les abords de la capitale, Mogadiscio. Les populations ayant fui les combats ont déclaré vivre dans des conditions précaires, en l’absence d’assistance suffisante, sans abris, et s’exposant à de sérieux risques sanitaires.
Les lois internationales de la guerre, qui s’appliquent à toutes les parties au conflit en Somalie, y compris à Al-Chabab, prohibent les attaques contre les civils et les biens civils. Le transfert forcé ou l’enlèvement de civils, sauf pour des raisons militaires légitimes, est un crime de guerre. Il est illégal de détenir contre leur gré des civils qui ne constituent pas une menace à la sécurité immédiate. Le pillage – l’appropriation forcée d’une propriété privée à des fins non militaires – constitue également une violation des lois de la guerre. Les auteurs de violations graves des lois de la guerre commises délibérément ou impunément sont coupables de crimes de guerre.
« Les auteurs de crimes de guerre en Somalie doivent enfin être traduits en justice », a conclu Laetitia Bader. « Cependant, le gouvernement et ses bailleurs de fonds sont tenus de prêter une assistance immédiate aux populations ayant échappé aux violences. »