Si les pratiques des abattoirs français sont désormais scrutées par les médias et les ONG, une partie du cheptel national est abattue hors de tout contrôle : les 80 000 bovins et ovins exportés chaque année hors d’Europe. Destination : l’Algérie, le Liban, le Maroc, la Tunisie ou Israël, où l’absence d’infrastructures et/ou de lois de protection animale conduit à des scènes d’abattage d’une violence inouïe. À la suite des images filmées par Animals International montrant l’abattage de bovins français au Maroc et au Liban, WELFARM et cinq autres ONG françaises réclament l’arrêt des exportations d’animaux vivants vers les pays tiers. (Télécharger la vidéo)
Suspendre les animaux par les pattes, leur enfoncer les doigts dans les orbites, les ligoter, leur cisailler la gorge, les laisser se débattre la tête à moitié tranchée sont des pratiques courantes dans les abattoirs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient où l’association Animals International enquête -vidéos à l’appui- depuis dix ans. Or, en 2018, la France y a exporté 83 914 bovins et ovins, principalement vers l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Liban et Israël. Dans une vidéo filmée par Animals International et diffusée aujourd’hui par WELFARM, une vache laitière réformée d’un élevage de l’Ain se retrouve ainsi dans un abattoir marocain, errant au milieu des carcasses, trébuchant sur des cadavres sans tête. Après une journée dans cet enfer, elle sera finalement ligotée, projetée au sol et égorgée. Un jeune taureau né dans un élevage des Ardennes se retrouve quant à lui suspendu par une patte dans un abattoir libanais. Sur les images, on voit l’abatteur lui enfoncer les doigts dans les orbites avant de l’égorger. Tous deux portent à l’oreille une boucle d’identification commençant par « FR ».
Illégal en France, mais acceptable à l’étranger ?
« En France, ces pratiques seraient pénalement condamnables, pourtant nous expédions chaque semaine, par cargos entiers, des animaux vers des pays où elles sont monnaie courante. Autrement dit, nous cautionnons à l’étranger des choses que nous interdisons sur notre propre territoire. C’est une hypocrisie que la France ne peut plus se permettre », dénonce Adeline Colonat, chargée de la campagne contre l’export d’animaux vivants chez WELFARM. Qu’il s’agisse du Code rural1, de l’Arrêté de 1997 relatif aux conditions de mise à mort des animaux2 ou de la réglementation européenne en matière d’abattage3, tous les textes en vigueur en France s’opposent à ces pratiques. La France exporte des animaux vers des pays dont la majorité des abattoirs n’ont pas les infrastructures nécessaires pour respecter les normes établies par l’Organisation mondiale pour la santé animale (OIE)4. Ces normes sont pourtant censées servir de base aux accords commerciaux entre pays.
À la clé, 118 millions d’euros pour la France en 2018
Pour la France, l’opération est gagnante : l’exportation de bovins vivants vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient lui a rapporté 118 520 854 d’euros en 20185. Et la demande explose. L’année dernière, les pays tiers du pourtour méditerranéen ont importé 2,8 millions de bovins vivants, soit deux fois plus qu’en 20126. En 2017, la France a exporté 11 400 bovins vers le Maroc contre 4 134 en 2012. Vers le Liban, les exportations sont passées de 8 877 têtes à 13 815. Le marché israélien vient, quant à lui, de s’ouvrir avec 17 336 agneaux français importés en 2018.7
Pourquoi transporter des animaux alors que l’on peut transporter de la viande ?
« La vision de ces animaux français torturés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord est impossible à supporter, témoigne Gabriel Paun, directeur européen d’Animals International. Nous avons affaire aux industries les plus terribles au monde. Le Gouvernement français doit cesser les pourparlers sans fin et prendre des décisions fermes et bienveillantes pour mettre fin à ces maltraitances. Concrètement, il doit remplacer les exportations d’animaux vivants par celles de viande. »
Pour WELFARM, il est en effet urgent de remplacer le transport d’animaux vivants par celui des carcasses. Les infrastructures existent déjà : Algérie, Maroc, Liban, Israël, tous les pays vers lesquels la France exporte des animaux importent déjà de la viande. L’Algérie a par exemple importé 63 000 tonnes équivalent carcasses (tec) de viande de bœuf en 20179. Mettre un terme au transport d’animaux vivants aurait même des bienfaits pour l’environnement. Une étude menée en 2017 par l’Université de Weningen et mandatée par Eurogroup For Animals a en effet calculé que transporter des carcasses plutôt que des animaux pourrait, dans certains cas, réduire de 42 % les coûts et les émissions de CO2.10
Des vétérinaires qui s’opposent au départ des camions
De plus en plus de voix s’élèvent contre ce commerce. En février 2019, les offices vétérinaires de trois districts allemands se sont opposés au départ de camions de bovins vers les pays tiers (notamment des vaches gestantes vers l’Ouzbékistan), au motif que cela pouvait être assimilé à de la cruauté envers les animaux. En février, les députés européens ont remis un rapport8 à la Commission européenne dans lequel ils observent que l’abattage dans certains pays tiers engendre « des souffrances aiguës et prolongées » et viole régulièrement les normes internationales établies par l’OIE. C’est pourquoi ils appellent la Commission et les États membres à favoriser une transition vers le transport de carcasses.
Sept ONG demandent au Premier ministre l’arrêt des exportations d’animaux vers les pays tiers
« Quels que soient les intérêts économiques en jeu, si un pays n’a pas la réglementation et les infrastructures nécessaires pour garantir des normes équivalentes à celle de l’Europe en matière de transport et d’abattage, alors la France ne doit plus lui vendre d’animaux vivants », résume Adeline Colonat. Dans une lettre adressée ce jour au Premier ministre, WELFARM, Animals International, L214, CIWF, la Fondation Brigitte Bardot, la Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences et Eurogroup for Animals- lui demandent d’une seule voix, de suspendre les exportations d’animaux vivants vers les pays tiers. « L’argent nous revient ? La responsabilité aussi, conclue Adeline Colonat. Si après avoir vu ces images, les exportateurs continuent d’envoyer des animaux vivants vers les pays tiers avec le soutien du Gouvernement, alors tous sont complices de ces pratiques. »