L’instabilité politique est assurément l’une des principales contributions de Madagascar à l’histoire politique de l’Afrique de ces quatre dernières années.
La grande île fait en effet depuis 2009 l’objet d’une longue crise politique largement entretenue par les « egos » des principaux protagonistes que sont l’ancien « président » Ravalomanana et l’actuel « président » Rajoelina. Cette crise politique, dont le dénouement semble jusqu’ici incertain à cause de la « mauvaise foi » des protagonistes du conflit et surtout de l’instrumentalisation des institutions, prélève un lourd tribu sur le secteur économique malgache, de même qu’elle entraine une déliquescence des institutions et des liens sociaux entre les citoyens. De fait, c’est l’avenir des malgaches qui est obéré par le jeu malsain auquel s’adonnent les protagonistes de cette crise.
Les crises politiques en Afrique, comme partout ailleurs ont ceci de particulier qu’elles affectent toujours par différentes grappes l’ensemble des institutions (entendues ici comme règles formelles et informelles qui structurent les interactions entre les individus) engluées dans l’étau du complexe conflictuel. C’est pourquoi leurs effets, très souvent négatifs, perturbent les interactions économiques, sociales et politiques.
Le cas Malgache n’échappe pas à ce constat.
La crise politique qui a éclaté en 2009 à Madagascar lorsque Andry Rajoelina, alors maire d’Antananarivo, la capitale, a pris le pouvoir par « la rue », a mis un sérieux coup de frein à l’élan économique de Madagascar. Du fait de la perturbation des règles de coordination entre les agents économiques, le pays voit aujourd’hui ses indicateurs économiques et sociaux décliner drastiquement.
La banque mondiale estime en ce sens que durant la période de 2009 à 2013, où l’on a enregistré une forte croissance démographique (plus de 3 millions de personnes en plus entre 2008 et 2013) « la croissance [économique] a été nulle » alors qu’avant la crise celle-ci était d’une moyenne de 5% (1). Les investissements directs étrangers par exemple, du fait des incertitudes créées par le contexte de crise, ont connu une baisse de près de 19% au cours de la seule année de 2010.
La décrépitude continue du secteur économique malgache depuis 2009 du fait de la crise politique, comme on pouvait s’y attendre, contribue pour une part assez importante à la paupérisation de la population malgache. La proportion des individus vivant avec moins de 2 dollars par jour est ainsi aujourd’hui estimée à plus de 92%.
Au-delà de cette situation économique, les autres coûts de la crise politique malgache sont aussi politiques et sociaux. Si l’on observe aujourd’hui une certaine polarisation de la société malgache, et surtout une instrumentalisation des institutions qui ignore l’existence des lois, c’est notamment à cause de cette situation d’instabilité politique. Les institutions juridictionnelles, politiques, et administratives se retrouvent ainsi depuis le début de la crise instrumentalisés par le pouvoir en place. De fait, ces institutions, à l’instar des institutions juridictionnelles, censées jouir d’une certaine indépendance, ne le sont pas.
De façon notoire, Rajoelina, à l’instar, il est vrai, des précédents présidents, a depuis le coup d’État de 2009 eu une maitrise quasi absolue sur toutes les institutions du pays qu’il a jusqu’ici utilisées pour assoir son pouvoir. C’est ainsi que dès le lendemain de son coup d’État il gouvernerait par ordonnance avec la bénédiction de la haute cour constitutionnelle pour, entre autres, « régler ses comptes » avec Marc Ravolomanana et instaurer à son tour une « présidarchie » (Président-Monarque).
De fait, l’ancien président Marc Ravolomanana se trouve aujourd’hui sous le coup de 3 condamnations depuis son éviction du pouvoir dont une aux travaux forcés à perpétuité, que Rajoelina voudrait voir exécutée.
Cette instrumentalisation des institutions par le « régime spécial de Rajoelina », auquel s’ajoute « la mauvaise foi » dont ce dernier aura fait preuve bon nombre de fois, à l’instar de la non application des termes de l’accord de Maputo qui prévoyait un partage de pouvoir entre les différents protagonistes de la crise, aura entrainé dans son sillage une certaine polarisation des partisans des différents protagonistes. Ce qui est de nature à accentuer le délitement des liens sociaux entre les citoyens malgaches.
On le voit donc, la crise politique en cours pèse lourdement sur l’avenir de Madagascar. Conscients de ce fait, les entrepreneurs qui, jusqu’ici, au même titre que les citoyens malgaches lambdas, sont les principales victimes de cette crise, ont entrepris une initiative citoyenne qui témoigne de l’ampleur de leurs exaspérations : « Pas de TVA pour l’État ». Au moins 50% des membres du groupement des entreprises malgaches n’ont pas payé, comme ils devaient le faire à partir du 15 juin dernier, la TVA à l’État (2).
Quand on sait que depuis le début de la crise 90 % de la TVA perçue par l’État proviennent des membres du groupement des entreprises malgaches, il ya fort à parier que cette opération risque d’avoir une influence certaine sur le pouvoir en place. Elle pourra soit accentuer la crise si le « régime » de Rajoelina ne comprend pas le message ; ou alors être un moyen de ramener les protagonistes de la crise à la raison. Quoiqu’il en soi cette opération vient nous rappeler que jusqu’ici les citoyens neutres de cette crise ne se sont pas encore fait réellement entendre. Et si la solution à la crise était à envisager de ce coté ?
Sali Bouba Oumarou est analyste sur www.LibreAfrique.org, le 2 juillet 2013.