Une opération militaire est une affaire plus compliquée qu’un vote à l’ONU. L’opération «Sangaris», annoncée jeudi soir par François Hollande après le vote du Conseil de sécurité, a commencé dans l’urgence, alors que la crise centrafricaine s’est transformée en massacre de masse dans les rues de Bangui.
Alerte Info Afrique: Deux soldats Français tués lors d’affrontements avec les rebelles sélékas du président Djotodia
Malgré les renforts dépêchés dès jeudi soir depuis Libreville, au Gabon, et qui continuaient d’arriver vendredi, les troupes françaises n’étaient toujours pas déployées en nombre suffisant dans la capitale pour mettre fin au déchaînement de violence. Pas plus que n’étaient efficaces les vols à basse altitude de chasseurs, réacteurs hurlants, supposés créer un «effet de sidération» sur les miliciens.
Sous une pluie battante qui transforme les rues en bourbier rougeâtre, les soldats de l’ex-Séléka ont poursuivi vendredi leurs représailles dans les quartiers populaires. Dans les avenues désertes, les camionnettes chargées de soldats en armes assis sur les ridelles vont et viennent à toute vitesse. Des coups de feu éclatent de temps en temps dans les ruelles de latérite des faubourgs. Et l’on voit des cadavres sur les carrefours.
L’Hôpital communautaire est l’un des seuls à fonctionner, grâce aux équipes de Médecins sans frontières, l’une des rares ONG à sortir dans Bangui. Les blessés continuent d’arriver, plus de 170 ces deux derniers jours. Dans la morgue s’entassent des dizaines de cadavres, certains portant de terribles blessures.
On en comptait 91 vendredi, dont une femme enceinte: «C’était ma nièce, Adomo Belvia, dit une dame venue récupérer le corps. Elle a été tuée jeudi, quand les Séléka sont passés dans notre quartier de Combattants, en tirant sur les gens qui étaient dehors.» «Il va y avoir des centaines de morts si les Français ne déploient pas des troupes au plus vite ! »
Bruno-Hyacinthe Gbiegba, avocat
Mais d’autres gens ont peur d’amener des blessés dans un hôpital dont les accès sont contrôlés par les soldats de l’ex-Séléka. Pour échapper à leur vengeance, des milliers d’habitants se sont réfugiés dans les églises et sur la pelouse de l’aéroport M’Poko, cherchant la protection des troupes françaises retranchées dans le terminal qui jouxte le camp militaire.
«On nous tue!» disent des centaines de personnes terrifiées devant les positions françaises. «La Séléka et des musulmans en civil viennent avec des pistolets et des AK. Ils ont pris le contrôle des quartiers pour faire table rase! Nous ne voulons pas des Séléka, nous sommes les autochtones, nous ne voulons pas des musulmans, ils donnent la mort!» dit un jeune homme du quartier Combattants.
Les abords de M’Poko sont considérés comme plus sûrs que les faubourgs de la ville. Jeudi matin, un véhicule chargé d’hommes armés (ce qui indique avec une quasi-certitude qu’il appartenait à l’ex-Séléka), a été détruit par les soldats français après que son conducteur a refusé de s’arrêter à la barrière de l’entrée.
C’est jusqu’à présent le seul cas où les unités de «Sangaris» ont fait usage de leurs armes. «Les Séléka font du porte-à-porte, dit Bruno-Hyacinthe Gbiegba, avocat et figure de la défense des droits de l’homme. Il va y avoir des centaines de morts si les Français ne déploient pas des troupes au plus vite!»
Réfugié dans le salon des hôtes de marque de M’Poko, le président du Conseil national de transition, Alexandre-Ferdinand N’Guendet, espère aussi que les troupes françaises vont agir au plus vite pour renvoyer les Séléka dans leurs casernes et les désarmer, ainsi que leurs ennemis, les milices Anti-Balaka. «Leur mandat est clair. Le président Djotodia est pris en otage par les seigneurs de la guerre qui l’ont mis au pouvoir. Il devrait placer sa sécurité entre les mains de l’armée française. Il faut désarmer tout le monde, et reprendre le processus politique.»
L’essentiel des violences a lieu dans le dédale de ruelles de terre et de petites maisons des quartiers populaires.
Plus facile à dire qu’à faire. À peine commencée, la mission des troupes françaises apparaît déjà comme très délicate. L’essentiel des violences a lieu dans le dédale de ruelles de terre et de petites maisons des quartiers populaires, plus que sur les grandes artères qui convergent comme un éventail vers le centre historique, PK Zéro. Avec une compagnie renforcée en mesure de se déployer (environ 150 hommes), le colonel Vincent Tassel, chef de corps du 8e RPIMa (régiment parachutiste d’infanterie de marine), n’avait jusqu’à présent pas les moyens de contrôler les accès aux principaux quartiers d’une grande ville en plein chaos.
Les renforts qui sont arrivés vendredi devraient augmenter un peu ces capacités. Des Antonov ont aussi débarqué des véhicules et du matériel. La force panafricaine que les soldats français sont supposés épauler devrait en théorie augmenter les effectifs, mais ces contingents ont presque disparu des rues de Bangui vendredi.
Risque de se poser la question des relations avec les troupes de l’ex-Séléka. Ces soldats sont officiellement intégrés dans les forces de sécurité du gouvernement de Centrafrique: aucun de ces mots ne veut rien dire, puisque le gouvernement n’est qu’une fiction et que les soldats de l’ex-Séléka sont à présent le principal facteur d’insécurité. Mais les désarmer pourrait aussi donner le signal de la vengeance aux quartiers chrétiens, pour le moment terrorisés, qui avaient commencé à s’en prendre à la minorité musulmane jeudi pendant les premières heures du soulèvement.