Préparer « l’avenir que nous voulons »
l est rare qu’un chef de gouvernement s’exprimant à l’Assemblée générale des Nations Unies soit applaudi au tout début de son discours. C’est pourtant ce qui s’est produit en septembre dernier lorsque le Premier Ministre du Bhoutan, Jigmi Thinley, a pris la parole et annoncé qu’il allait parler du « bonheur ». Que le Premier Ministre évoque autre chose que les crises mondiales a immédiatement suscité la curiosité de l’auditoire.
Après une courte pause qui ne manqua pas d’attirer l’attention, M. Thinley a déclaré regretter que les habituels débats annuels soient devenus une sombre énumération de promesses non tenues, de conflits interminables, de ressources déclinantes, de nouvelles maladies et de menaces d’effondrement économique. Le Premier Ministre du Bhoutan préférait pour sa part parler de la promotion du bonheur et du bien-être, objectif mondial à atteindre par la création des conditions minimales nécessaires à la survie et à l’épanouissement des êtres humains.
Le Bhoutan est le pays qui a convaincu l’ONU d’adopter une résolution sur « Le bonheur : vers une approche globale du développement ». Cette résolution engage les pays à instaurer « les conditions politiques et socioéconomiques permettant aux citoyens de rechercher le bonheur dans un environnement stable ».
L’aspiration du Premier Ministre — et de l’humanité entière —à un meilleur avenir sera au centre des discussions en juin prochain lorsque plus de 50 000 personnes se réuniront dans la capitale brésilienne, Rio de Janeiro, à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable. Surnommée « Rio +20 » — car elle fait suite à un sommet similaire qui a eu lieu dans la même ville il y a 20 ans — la réunion donnera aux participants une rare occasion de convenir d’une nouvelle approche à suivre pour bâtir un avenir plus prospère et plus durable.
Mais que signifie exactement l’expression « développement durable » ? La définition la plus communément admise en a été donnée par la Commission Brundtland, qui définit le développement durable comme « un développement répondant aux besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins ».
Le rapport de la commission — qui porte le nom de son président, l’ancienne Premier Ministre de la Norvège, Gro Harlem Brundtland — a fortement influencé les débats lors du premier Sommet Planète Terre tenu à Rio en 1992. Les dirigeants de l’époque, réunis pour ce qui était alors le plus large rassemblement politique jamais organisé, se mirent d’accord pour instaurer de nouvelles normes mondiales en vue d’empêcher les pays de détruire des ressources naturelles irremplaçables et de polluer la planète. Ils s’accordèrent sur le fait que le comportement humain devait changer afin d’éviter que de nouvelles divisions se créent au sein des sociétés, que la pauvreté augmente et que l’environnement se dégrade davantage.
Payer la facture
Comme le remarquait récemment le magazine The Economist, ce sommet a reconnu que « la protection environnementale devait être intégrée à la promotion du développement plutôt que d’être surveillée après coup ; que l’éradication de la pauvreté faisait partie du processus ; et que si tous les pays du monde avaient la responsabilité de protéger l’environnement, les pays riches qui avaient causé davantage de dégâts portaient une part de responsabilité différente — une responsabilité qui, selon les pays en développement, devait être assortie de la volonté de financer une partie du coût d’un développement respectueux de l’environnement ».
Quelles questions importantes pour l’Afrique seront débattues à Rio +20 ? Tout d’abord, la pauvreté. Elle ne sévit nulle part ailleurs autant qu’en Afrique, où de nouveaux problèmes engendrent de nouvelles maladies et aggravent la faim, le manque d’accès à l’eau potable et aux installations sanitaires et le chômage chez les jeunes.
Le changement climatique est une autre question pressante. Des études de l’ONU montrent que l’Afrique se réchauffe plus rapidement que la moyenne mondiale, ce qui compromet dangereusement les possibilités de développement. Les faibles capacités d’adaptation du continent menacent l’approvisionnement en nourriture et en eau, en particulier dans la région du Sahel ainsi qu’en Afrique centrale et australe.
Economie verte
Autre question d’actualité : le passage à une économie verte, qui émettrait moins de carbone et consommerait moins de ressources naturelles. Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), cette transition est motivée par « les préoccupations que suscitent les changements climatiques, la pollution de l’air et la sécurité énergétique » ainsi que « le désir de créer des emplois au sein de nouvelles industries ». L’Afrique soutient pleinement les économies vertes mais craint que les nations riches se servent de cette transition mondiale comme d’une excuse pour imposer des barrières commerciales ou ne pas remplir leurs engagements envers les pays pauvres.
La question des énergies renouvelables suscite un intérêt particulier en Afrique. Près de 3 milliards de personnes sur la planète — dont beaucoup vivent en Afrique — n’ont pas accès à l’électricité. Elles doivent utiliser du bois, du charbon ou d’autres matériaux malsains pour cuisiner ou chauffer leurs habitations, s’exposant ainsi à de la fumée nuisible.
Certains gouvernements africains ont déjà adopté des politiques énergétiques « intelligentes et tournées vers l’avenir ». Le Kenya possède un programme d’énergie verte ambitieux destiné à accroître la production d’énergie grâce à la géothermie, aux éoliennes et aux biocarburants. L’Ouganda soutient un projet d’agriculture biologique auquel participent des milliers d’agriculteurs et qui a permis d’accroître les exportations de produits biologiques. De son côté, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a lancé un projet d’énergie durable pour tous et a appelé tous les pays à améliorer leur rendement énergétique et à doubler la part des énergies renouvelables dans leur production d’ici à 2030.
Plus d’une douzaine de thèmes seront abordés lors des débats de Rio, notamment la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau potable, les villes vertes et la protection de l’environnement. Les gouvernements africains se sont mis d’accord pour adopter des positions communes et parler d’une seule voix à Rio.
‘Des économies chancelantes’
Toute la difficulté consistera à définir des mesures visant à garantir que les plus pauvres et les plus vulnérables bénéficient de la prospérité économique. Un rapport de l’ONU publié cette année a suscité à cet égard beaucoup d’intérêt. Ce rapport, intitulé « Pour l’avenir des hommes et de la planète : choisir la résilience », entend tracer une nouvelle voie vers une croissance durable. D’après le document, la prospérité inégalée que nous connaissons aujourd’hui pèse d’un poids sans précédent sur la planète. De multiples crises dans le monde montrent que le développement durable est plus que jamais indispensable.
« Les économies chancèlent, les écosystèmes sont assiégés et l’inégalité — entre et au sein même des pays — est en train d’exploser », peut-on lire dans le rapport qui a été rédigé par les 22 membres du Groupe de haut niveau sur la viabilité mondiale nommé par le Secrétaire général et présidé par le Président sud-africain, Jacob Zuma, et son homologue Finlandais, Tarja Halonen. Le groupe estime que la crise économique actuelle s’explique par des intérêts spéculatifs restreints, « qui ont dépassé les intérêts communs, les responsabilités communes, tout comme le bon sens ».
Les groupes militants parviennent tous à la même conclusion. Dans un document pour Rio +20 intitulé « Un espace sécurisé et juste pour l’humanité », Oxfam, une ONG britannique, estime que la plus grande menace pour la planète est la consommation excessive provenant des 10 % des ménages les plus aisés de la population mondiale et les moyens par lesquels les entreprises produisent ce que ces personnes achètent.
Si l’état de la planète suscite de plus en plus d’inquiétudes, à en juger par les conclusions de plusieurs rapports établis par les gouvernements et les groupes de la société civile dans la perspective des débats de Rio, il est indéniable que des progrès ont néanmoins eu lieu dans certains domaines. D’après un rapport de la Banque mondiale publié en mars, l’Afrique subsaharienne a réussi à réduire l’extrême pauvreté, qui est passée de 55,7 % en 2002 à 47,5 % en 2008. Au niveau mondial, indique l’ONU, la destruction de la couche d’ozone a été réduite, la participation de la société civile aux décisions politiques s’accroît et les entreprises sont plus conscientes de leurs responsabilités sociales.
De plus, la technologie a généralisé l’accès à l’information et a rendu les processus de décision plus transparents. Les écosystèmes et l’utilisation de technologies durables pertinentes sont aujourd’hui mieux compris.
De nouveaux outils pour l’économie mondiale
Cette évolution n’a pourtant pas suffi à réduire de manière significative la pauvreté parmi les 7 milliards d’habitants de la planète — dont le nombre devrait atteindre 9 milliards en 2050. Plus d’un milliard de personnes vivent encore aujourd’hui avec moins de 1,25 $ par jour et de nombreuses autres souffrent de la faim. Autre fait problématique : la quantité de nourriture gaspillée dans le monde. Chaque année, 222 millions de tonnes d’aliments sont jetées par les consommateurs des pays riches, soit l’équivalent de toute la production alimentaire de l’Afrique subsaharienne. D’ici à 2030, la demande alimentaire aura augmenté de 50 %, celle d’énergie de 45 % et celle en eau de 30 %, d’après le rapport du Groupe de haut niveau sur la viabilité mondiale.
Le groupe a formulé 56 recommandations qui pourraient permettre de restructurer l’économie mondiale, de préserver l’environnement et d’assurer l’égalité des chances pour tous. Il propose que les prix de tous les biens et services tiennent compte de leur véritable coût sur les plans humain et environnemental et que de nouveaux indices de développement soient mis en place, afin de remplacer celui utilisé actuellement, le produit intérieur brut (PIB), qui est considéré par beaucoup d’économistes comme ayant perdu une part de son utilité. Le Groupe appelle également à l’adoption « d’objectifs pour le développement durable », qui remplaceraient les objectifs du Millénaire pour le développement, arrivant à échéance en 2015.
Pour le moment, les organisateurs de la conférence Rio +20 apportent les dernières modifications au document final qui fournira des directives explicites pour une action en faveur du développement durable. Sur le thème de « l’avenir que nous voulons », le document pose le principe d’un accès universel aux éléments indispensables à la vie, tels que l’eau, la nourriture et l’énergie. Les organiseurs font face à une tâche difficile car ils doivent synthétiser les divers points de vue exprimés dans les 6 000 pages de contributions provenant des Etats membres, des principaux groupes d’intérêt, des organisations internationales et autres participants.
Le document est en cours d’élaboration — certaines de ses propositions sont mineures, d’autres potentiellement révolutionnaires. Certaines seront modifiées, voire abandonnées, et de nouvelles pourront être ajoutées avant l’adoption d’un texte final. Le document donne cependant un fidèle aperçu des questions susceptibles de dominer les débats à Rio. L’Afrique, par exemple, souhaiterait que le PNUE, basé à Nairobi, devienne un organisme spécialisé, disposant d’un plus large budget et d’un plus fort mandat. Elle estime que les structures mondiales actuelles ne répondent pas pleinement aux besoins du continent. Il est en outre proposé de créer un conseil du développement durable et de mettre au point un ensemble d’outils permettant le partage des meilleures pratiques.
A ce stade, on ne sait pas si Rio +20 s’inscrira dans l’histoire comme un tournant décisif ou au contraire une occasion perdue. Mais les progrès à réaliser ne pourront se faire sans une forte volonté politique de la part des dirigeants de la planète. Quand celle-ci se manifestera, le monde aura alors réalisé un pas important vers l’avènement du bonheur des générations présentes et à venir.
Par Masimba Tafirenyika
Sources Afrique Renouveau