Christine Lagarde a ouvert le 29 mai la conférence de Maputo, organisée par le FMI sur le thème de «l’essor de l’Afrique».
Cet évènement a pour objectif d’examiner les défis auxquels font face les économies africaines comme la gestion des immenses ressources naturelles, la réduction d’une pauvreté encore endémique. Avant la conférence, les groupes de défense des droits de l’homme ont remis en cause la vision optimiste de «l’essor de l’Afrique».
«L’Afrique n’est pas en essor pour les citoyens ordinaires», a fait remarquer la directrice de l’ONG Oxfam International, Winnie Byanyima. Cette vision est désormais partagée par le FMI qui estime que la croissance qu’enregistre l’Afrique subsaharienne ne profite pas toujours aux populations. «Permettez-moi d’être franche. Dans de trop nombreux pays, les revenus provenant des industries extractives sont accaparés par quelques-uns», a lancé Christine Lagarde.
Le Mozambique qui accueille la conférence est très représentatif de cette situation. Doté d’importantes ressources naturelles, ce pays d’Afrique australe enregistre depuis environ deux décennies une croissance rapide, mais la majorité de la population continue à vivre avec moins d’un dollar par jour.
Mme Lagarde a également déploré que le retard du continent en matière d’infrastructures constitue «un sérieux handicap» pour l’Afrique subsaharienne bien que la région enregistre un formidable développement depuis plusieurs années. «Seules 16% des routes d’Afrique sont goudronnées, contre 85% en Asie du Sud. Ces lacunes représentent des coûts énormes pour les entreprises, et pour les gens», a-t-elle fait remarquer à l’ouverture de la conférence. «Des infrastructures de haute qualité peuvent être susceptibles d’attirer les investissements étrangers», a aussi fait remarquer la patronne de l’institution de Bretton Woods.
Les pays africains ont besoin d’investir 93 milliards de dollars par an dans les infrastructures afin de soutenir leur forte croissance économique, a estimé la directrice générale du FMI.
La directrice générale du Fonds monétaire international (Fmi), madame Christine Lagarde, a tenu, hier, un discours qui s’inscrit dans la foulée de l’espoir suscité par le dynamisme des performances économiques de l’Afrique subsaharienne notées ces dernières années.
C’était en présence du président du Mozambique, Armando Guebuza, des ministres des Finances, des gouverneurs de banques centrales du continent et des partenaires au développement. L’Afrique subsaharienne décolle depuis deux décennies, a-t-elle rappelé, les perspectives économiques demeurent prometteuses, car la région devrait réaliser un taux de croissance moyen de 5,5 % cette année, les pays les plus pauvres pouvant atteindre environ 7 %.
La région présente, en plus, une capacité de résistance aux chocs exogènes comme la dernière grave crise financière de la fin des années 2000.
Ce qui lui permet de soutenir une croissance ininterrompue depuis dix ans. Cette embellie a occasionné une amélioration du niveau d’instruction et un recul de la mortalité infantile. «Certes, l’Afrique est partie de très bas, mais elle a fait des progrès considérables », estime Christine Lagarde. L’Afrique subsaharienne est devenue une destination attrayante des investissements directs étrangers, elle devrait en capter 80 milliards de dollars, selon Mme Lagarde. Mais, à côté de cette Afrique qui monte, de cette « réussite remarquable », il y a le revers de la médaille que la directrice générale du Fmi a montré à l’assistance.
Revers pâle de la médaille
La croissance économique n’est pas toujours partagée, 45 % des ménages subsahariens sont pauvres, les inégalités demeurent prononcées, et souvent des conflits internes viennent s’ajouter à ce tableau peu reluisant peint par Christine Lagarde.
est pas homogène comme certains ont tendance à le dire, « il y a des pays qui courent le risque d’être laissés sur la touche à cause des conflits. Si la croissance n’est pas partagée, ajoute-t-elle, des gens seront laissés sur la touche ». Des risques pèsent aussi sur les perspectives économiques, il s’agit principalement de chocs exogènes.
La faible croissance des pays avancées, partenaires de choix de l’Afrique subsaharienne, la baisse des cours des produits de base dont la région est une grande exportatrice, le durcissement des conditions financières et les risques de volatilité accrue suite aux politiques monétaires des pays avancés pourraient avoir des effets négatifs sur la région, prévient Christine Lagarde.
Sur le plan interne, l’Afrique subsaharienne doit faire face à trois défis à long terme.
Le premier, c’est le défi démographique, l’Afrique est le continent le plus jeune, d’ici 2040, elle abritera la population la plus active, avec un milliard de personnes en âge de travailler, soit plus que l’Inde et la Chine réunies, selon Mme Lagarde.
Alors, il faut valoriser ce vivier par une bonne gestion mais aussi une éducation à la hauteur. L’autre défi noté par la directrice du Fmi est relatif à l’innovation technologique. « Une percée technologique aura comme conséquence la création d’emplois en masse », assure la patronne du Fmi. L’Afrique devra aussi relever le défi du changement climatique et de la demande croissante de ressources naturelles. Sur ce point, Mme Lagarde conseille de promouvoir la croissance tout en protégeant l’environnement.
A sa suite, le président du Mozambique, Armando Guebuza, a passé en revue les bonnes performances économiques de son pays et salué la croissance stable des économies subsahariennes malgré l’environnement mondial difficile.
Promouvoir les infrastructures, les institutions, les jeunes et les femmes
Construire des infrastructures, disposer d’institutions solides et s’appuyer sur les jeunes et les femmes sont les trois « thèmes forts » préconisés par la directrice générale du Fmi, Christine Lagarde, à l’endroit de l’Afrique subsaharienne.
Mme Lagarde a insisté sur les infrastructures énergétiques, routières et la technologie et suggéré une bonne planification de leur construction. L’Afrique subsaharienne, note-t-elle, n’a pas réalisé de grands progrès dans la production d’énergie ces trois dernières décennies, constate-t-elle. Des efforts restent aussi à faire en infrastructures routières, 16 % seulement des routes sont bitumées en Afrique subsaharienne.
Combler ces déficits exige des « investissements considérables », fait savoir Mme Lagarde. Il faut, à la région, 93 milliards de dollars par an pour venir à bout de son gap infrastructurel. Elle a salué des initiatives africaines prises dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures routières par des pays tels que l’Ethiopie, le Mozambique, la Côte d’Ivoire. Il s’agit aussi de faire des infrastructures de qualité pour fouetter l’activité économique et attirer les investisseurs.
Des institutions qui jouent bien leur rôle sont tout aussi importantes, « je pense à la gouvernance, à la transparence, à un dispositif économique, juridique simple », déclare la directrice générale du Fmi. A son avis, l’Afrique a le potentiel pour y arriver, elle abrite 30 % des réserves minières mondiales, ce qui lui donne des opportunités de croissance. Malheureusement, les recettes générées par les ressources africaines ne vont pas toujours financer ces exigences, se désole Mme Lagarde, « une minorité s’en empare ». « Les produits miniers contribuent peu aux recettes budgétaires et à la création d’emploi ». Que faire ? « Il faut renforcer le dispositif de gouvernance, la transparence qui permet d’accroître la responsabilisation. Les jeunes ont faim d’informations » relatives à la gestion des ressources, estime la patronne du Fmi.
C’est sur ces jeunes et sur les femmes que l’Afrique subsaharienne devrait s’appuyer pour son développement, poursuit-elle. A son avis, il faut créer de « bons emplois », surtout dans le secteur privé où une personne sur cinq trouve un emploi. Elle a invité à un changement de mentalité à l’endroit des femmes et plaidé pour l’éducation des filles. Les pertes économiques occasionnées par le déficit d’éducation des filles est de 90 milliards de dollars par an, selon Christine Lagarde. C’est le montant nécessaire pour combler le déficit d’infrastructures, rappelle t-elle.
Faut-il recalculer le Pib de l’Afrique subsaharienne ?
L’effet positif du calcul du produit intérieur brut (Pib) du Nigéria a propulsé ce géant à la première place des économies africaines au détriment de l’Afrique du Sud. La question du calcul du Pib de l’Afrique subsaharienne a été agitée au cours d’un panel, hier, à la conférence internationale sur « l’Essor de l’Afrique », à Maputo (Mozambique). « Nous pensons que le Pib de l’Afrique est sous-estimé », affirme Ncube Mthuli, économiste en chef et vice-président de la Banque africaine de développement (Bad) au cours du panel sur les « Opportunités et défis de l’Afrique subsaharienne ».
Le Pib de la région est estimé, aux derniers calculs, à environ 500 milliards de dollars. Abondant dans le même sens, le gouverneur de la banque centrale du Botswana, madame Linah Mohohlo, croit que si l’on suit le même mode de calcul appliqué au Nigéria, le Pib de l’Afrique subsaharienne pourrait augmenter de 30 %. Mais pour y parvenir, « il faut que nos données soient fiables », précise-t-elle. Selon M. Mthuli, seuls 11 pays sont à jour dans leurs données relatives au Pib.
Makhtar Diop, banque mondiale : « Le défi de l’Afrique, c’est augmenter la productivité »
Selon le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, Makhtar Diop, le défi de l’Afrique subsaharienne consiste à augmenter la productivité. « On parle de chômage mais c’est plus un problème de sous-emploi que de chômage. Parfois, on n’a pas l’éducation ou le capital », dit-il. A son avis, l’Afrique doit réfléchir sur la qualité de l’éducation dispensée. M. Diop estime, par ailleurs, qu’« un investissement sans politique appropriée ne permet pas d’atteindre l’objectif souhaité ».
Il suggère de taxer les secteurs agricole et informel, mais avec un système de fiscalité simple. Abordant la question de l’intégration, M. Diop a cité des efforts réalisés dans le cadre de l’Uemoa, des pays d’Afrique de l’Est, par exemple. « A part l’Europe, l’Afrique est la région du monde où il y a le plus d’accords régionaux », note-t-il.