Nous avons observé avec fascination la récente et impressionnante croissance économique de l’Afrique. Les revenus moyens ont augmenté d’un tiers, les exportations sont en plein essor et l’investissement étranger est à la hausse. Ce progrès est louable. Toutefois, les augmentations inquiétantes des inégalités et de la pauvreté sont une source de grande préoccupation.
Après tout, l’Afrique est un continent d’une grande richesse. Il dispose d’une réserve abondante de ressources naturelles et humaines. Malgré cette richesse, la part de l’Afrique dans la pauvreté, la malnutrition et la mortalité infantile est en augmentation constante. Une telle situation n’a pas lieu d’être.
Comme nous le démontrons dans le rapport sur les progrès en Afrique 2014, « Des céréales, du poisson, de l’argent pour financer les révolutions verte et bleue d’Afrique », les dirigeants politiques de l’Afrique ont une opportunité extraordinaire pour mener leurs nations sur des sentiers de croissance meilleurs et plus équitables.
Afin de réduire plus rapidement aussi bien la pauvreté que les inégalités, les gouvernements africains doivent consolider leurs secteurs d’agriculture et de pêche. Ce sont précisément ces deux secteurs où la grande majorité des Africains travaillent, principalement dans le cadre de petites exploitations agricoles. Ces secteurs sont encore terriblement sous-performants, sous financés et reçoivent peu d’attention de la part des gouvernements.
La faible productivité, le sous-investissement chronique, et le protectionnisme régional signifient que l’Afrique doit importer trop de nourriture, autant que les 35 milliards de dollars US en 2011. C’est de l’argent que nos agriculteurs pourraient gagner.
Lorsque les dirigeants africains décident d’investir du temps, de l’effort et de l’argent, alors ils observeront une croissance rapide de leurs secteurs agricoles. Nous appelons les gouvernements africains à déployer une « révolution verte authentiquement africaine ».
La communauté internationale doit également jouer son rôle. Elle doit certainement lutter contre l’évasion et la fraude fiscale, qui nous fait payer à tous un lourd tribut, mais surtout à l’Afrique. La communauté internationale doit également aborder la question de la propriété de la société anonyme, qui continue à faciliter la corruption.
Cette année, nous braquons les projecteurs sur le pillage des forêts et les ressources des océans en Afrique, qui constitue également un lourd tribut. L’exploitation forestière illicite coûte à l’Afrique 17 milliards de dollars chaque année. Et dans les eaux côtières de l’Afrique, la pêche illégale, non réglementée et non déclarée a atteint des proportions épidémiques. Ce pillage détruit des communautés côtières entières car elles n’ont plus la possibilité de pêcher, transformer et de vendre du poisson.
Les chalutiers commerciaux qui opèrent sous pavillon de complaisance et déchargent dans les ports qui n’enregistrent pas leurs prises, se livrent à du vol organisé déguisé en commerce. C’est pourquoi notre rapport appelle à un régime multilatéral sur la pêche qui impose des sanctions sur les navires de pêche ne déclarant pas leurs captures. Si nous ne faisons rien pour arrêter le pillage, alors nous allons tous en subir les conséquences. Pas aujourd’hui peut-être. Mais demain. Et le jour d’après.
En plus de perdre de l’argent par le pillage des ressources naturelles et la mauvaise gestion financière, les Africains sont désavantagés en matière de transferts d’argent de l’étranger. Le continent perd un montant estimé à 1,85 milliards de dollars par an parce que les opérateurs de transfert d’argent imposent des charges excessives sur les envois de fonds. Ce type de questions devrait être étudié par les régulateurs financiers pour protéger les citoyens africains contre les pratiques commerciales restrictives.
L’Afrique est à la croisée des chemins. Chaque jour, tout au long de notre continent, les Africains prouvent une nouvelle fois leur capacité d’adaptation et de créativité. Des artistes et des musiciens aux décideurs, aux humanitaires et aux militants, nous avons des millions de personnes avec un courage physique et moral inépuisable. Notre continent ne manque pas de talents humains. Si les citoyens de l’Afrique peuvent utiliser librement tout leur talent et toute leur créativité, alors l’Afrique peut vraiment être prospère, stable et juste.
Si le système international met en place des mesures sévères pour arrêter le pillage qui spolie nos peuples, nous pouvons créer des emplois et des revenus pour les années à venir.
Si les dirigeants de l’Afrique agissent maintenant pour réduire la pauvreté et les inégalités, investissent dans leur agriculture et leur pêche, et protègent leurs populations du business criminel, ils peuvent léguer à leurs peuples la justice, la prospérité et la paix.
Koffi Annan