Chez les Maliens de Dakar, l’Azawad ne passe pas

Les citoyens maliens de Dakar sont partagés entre la colère et la honte face à la situation de leur pays natal.Reportage.

Le Mali s’enlise désespérément dans la crise. Après le contre coup d’Etat manqué du 1er mai dernier et les incidents notés dans la mythique ville de Tombouctou au cours de cette semaine, même les plus optimistes ont fini par croire que le pays s’embourbe obstinément dans le chaos. De l’autre côté de la frontière, les quelques milliers de Maliens installés au pays de la Téranga s’inquiètent des jours difficiles que vivent leurs parents.

A la gare de Dakar, lieu mythique où jadis passait le train Express Dakar-Bamako, on retrouve l’ambiance du vieux marché malien. Dans ce bâtiment d’architecture coloniale, des marchands, pour la plupart de nationalité malienne, disposent leurs étals. Beurre de karité, basins, encens, bijoux érotiques (perles de reins) et produits aphrodisiaques, etc, sont exposés… Dans ce little Bamako pittoresque, niché au cœur de la capitale sénégalaise, le Bambara est d’ailleurs la langue d’usage.

Il est 13 heures. En cet après-midi de lundi, le marché de la gare est plutôt calme. Suivant le prolongement des murs de cet énorme bâtiment qui menace ruine, on retrouve la bonne humeur des gargotes où sont servis des mets typiquement maliens. C’est l’heure du déjeuner et la jeune dame, restauratrice du coin, n’a pas de temps à perdre en salamalecs avec des journalistes. Plus loin, sont installés quelques dizaines de boutiques de vendeurs de Thioup, tissu originaire du Mali très prisé par la gente féminine. Là encore, personne n’ose se prononcer sur la crise qui secoue le Mali, bien que l’angoisse et la peur se lit sur les visages.

ATT et la junte renvoyés dos à dos

«Tais-toi donc, ne vois tu pas que ce sont des journalistes. Tu ne feras que t’attirer des ennuis. Penses à ta famille restée au pays», prévient un jeune vendeur à son compatriote qui tient à se prononcer sur la situation.

«J’ai bien le droit de parler et de dire ce que j’en pense. Ce ne sont rien d’autres que de simples questions», rassure Chaka Touré, installé à Dakar depuis 5 ans. Assis confortablement dans son magasin, dans un impeccable boubou basin amidonné, le jeune commerçant se lance tête première dans la conversation, sous le regard hébété de son voisin qui maugrée quelques paroles en bambara.

«Tout d’abord nous regrettons le coup d’état qui a été perpétré. Nous le condamnons fermement. Il est inadmissible qu’il y ait encore des coups d’état en ce 21e siècle», juge le commerçant.

Même si Chaka Touré croit comprendre ses militaires qui ont pris le pouvoir par la force:

«La situation au Mali était insupportable sous le régime de ATT qui n’a pas su gérer convenablement la crise dans le nord du Mali».

Et à cause que l’embargo qui a été levé sur le Mali au début de la crise, les affaires marchent au ralenti.

«Nos affaires ne marchent plus. On a du mal à recevoir la marchandise qui arrivait par la route. Tout ce qui se trouve dans nos boutiques actuellement ce sont nos stocks invendus. La clientèle ne vient plus», peste-t-il.

Son camarade, Moussa, qui jusque-là restait perplexe, entre dans la conversion.

«Tout ça c’est à cause de ATT, il a trop laissé faire les Touaregs. Personne ne comprend de quel droit ils revendiquent des terres au Mali. On connaît bien l’empire Sonrhaï ou mandingue mais on n’a jamais entendu parler de l’empire Touareg. Donc de quel droit revendiquent-ils des terres ? Dieu ne leur rien donné. Ni la pluie, ni des terres», taquine-t-il.

Loin de cette agitation, on retrouve Youssou, nom d’emprunt, fonctionnaire sénégalais d’origine malienne, née dans la ville de Ségou. Pour lui, le procès de l’ancien président malien tombé le 23 mars dernier aux mains de la junte, est sans appel. «ATT a mis la honte sur le Mali», tranche-t-il net.

«Comment ATT a-t-il pu laisser faire cette bande de Touareg, qui au début n’était qu’une bande de 200 personnes ? Pourquoi ne les a-t-il pas maitrisé tout au début ? C’est inconcevable.», lance-t-il d’un ton nerveux, même si sur le plan de la démocratie, Youssou condamne ferment le coup d’état.

Exil d’ATT au Sénégal

Depuis le 20 avril dernier, l’ex-président malien est installé au Sénégal, où il a trouvé refuge avec près de quinze membres de sa famille. Une décision, qui fâche Youssou, qui explique son souhait que les poursuites judiciaires contre ATT soient maintenues.

«Il ne s’en tira pas à bon compte. Il répondra de ses actes. Ce que beaucoup de gens ne savent pas c’est que ATT a dilapidé les biens du pays. Ses enfants ont fait pire que ce que Karim Wade a fait au Sénégal. Et ce qui a vraiment exaspéré les Maliens c’est quand il avait reçu les rebelles du nord et leurs a remis 50 millions Fcfa. Cette somme leurs a permis de renforcer leur armement. Et ce sont avec ces armes qu’ils ont massacrés et décapités les militaires. Personne n’a compris pourquoi il les avait reçus. C’est peut-être parce que son épouse est touareg », explique-t-il.

Et de poursuivre, «c’est à la suite de cela que les femmes militaires on jeté une malédiction sur lui. Tout le monde le sait au Mali mais personne n’ose en parler, les femmes militaires ont marché nues devant le palais de Coulouba. C’est ce qui a porté la poisse à ATT», souligne-t-il. Pour lui, ce n’est pas un fruit du hasard si aujourd’hui, ATT est installé dans la «maudite» résidence Pasteur. «C’est la malédiction des femmes de Bamako qui le poursuit toujours », lance-t-il avec humeur. Egalement appelé «petit palais», la résidence Pasteur, traine depuis sa création une réputation sulfureuse. La légende raconte que cette résidence serait habitée par un mauvais génie.

Tensions entre Dakar et Bamako

Pour ce malien de cœur, il n’y a nul doute que la venue du président malien est l’œuvre d’Alassane Ouattara, qui depuis la chute de Gbagbo, se positionne en chantre de la démocratie. Même si, sur ce fait certains observateurs de la scène politique expliquent la venue de ATT au Sénégal par le fait que ce dernier soit très proche du conseiller spécial de Macky Sall, Cheikh Ahmidou Kassé, auteur d’un ouvrage sur l’ancien président.

Sur les ondes de la RFM, le politologue, Babacar Justin Ndiaye n’a pas manqué de fustiger les autorités sénégalaise «qui sont allés cherchés ATT au Mali pour le ramener à bord d’un avion sénégalais accompagné d’éléments de la sécurité nationales». Une présence qui est devenue aujourd’hui source de crispation entre les deux pays. Dix huit sénégalais ont été arrêtés et détenus durant le week-end du 5 au 6 mai dans le camp de Kati (Ils ont finalement été relaxés ce 9 mai sur intervention de l’ambassadeur du Sénégal au Mali). Ils sont soupçonnés d’être des mercenaires à la solde de l’ancien président malien.

A en croire le journaliste politologue, c’est à cause des autorités étatiques que les Sénégalais sont embourbés dans de telles situations.

«La présence d’ATT au Sénégal est une étincelle entre Dakar et Bamako», note le sieur Ndiaye qui estime que l’ancien président est un «déserteur qui n’aurait pas dû quitter son pays dans les conditions actuelles»

Pour la petite histoire, le journaliste politologue, spécialiste des questions internationales, est largement revenu sur les conditions rocambolesques dans lesquelles le président Amadou Toumani Touré a quitté le Mali: «C’est le ministre des Affaires étrangères du Sénégal, accompagné d’éléments du GIGN, qui se sont rendus à Bamako pour le ramener. Leur convoi a été intercepté par des hommes du capitaine Sanogo qui l’ont humilié avant de le laisser repartir. ATT a été déshabillé, il était vêtu d’un simple caleçon et fouillé par ces gardes qui lui ont signifié qu’un général ne déserte jamais».

Des critiques que ne sont pas loin de partager les Maliens vivant à Dakar. Dans un coin de leurs têtes, ces hommes et femmes, qui ont émigré au Sénégal pour des jours meilleurs, rêvent du Mali originel avec ses frontières intactes du nord au sud, et sa grandeur historique retrouvée.

Sources: slate.fr

Thierry BARBAUT
Thierry Barbaut - Consultant international - Spécialiste en nouvelles technologies, numérique et intelligence artificielle. Montage de programmes et de projets à impact ou les technologies et l'innovation agissent en levier : santé, éducation, agriculture, énergie, eau, entrepreneuriat, villes durables et protection de l'environnement.