Le chanteur Ivoirien, star internationale du Reggae nous à reçu à Paris le 1er Juin et nous livre sans concession sa vue de la situation actuelle en Afrique: Crise, politique, CEDEAO, Francafrique, Etat islamique au Mali, fédérer les états d’Afrique, égalité Afrique Occident, les institutions face aux jeunes, et bien sur l’éducation…
Thierry Barbaut :Tiken, Comment allez-vous ?
Tiken Jah Fakoly : Très bien merci, demain sera le premier concert pour le festival Mix UP à Creil dans l’Oise, puis nous partons en Suisse. Nous donnons un concert pour notre association a Niamey.
Thierry Barbaut : En France et en Europe la crise occupe une place prépondérante dans les médias, mais cette crise ne serait-elle pas le fait que nous surconsommons et que nous devrions aller vers une meilleure harmonie des dépenses et des besoins, alors qu’en Afrique la crise comme nous la voyons est un mode de vie !
Tiken Jah Fakoly : Oui c’est vrai la crise est un mode vie en Afrique, nous avons toujours vécu dans la crise, du temps de nos parents jusqu’à maintenant, mais il y a des solutions, si nos pays sont bien gouvernés. La corruption, vous avez déjà la base du problème.
TB : Un film « Africa paradis » sorti en 2007, décrit les aventures d’un couple de Français qui tentent d’émigrer en 2033 aux Etats-Unis d’Afrique, dont la prospérité contraste si violemment avec la pauvreté et le chômage en Europe.… Scénario possible ou science-fiction totale ?
Tiken Jah Fakoly : C’est un scénario que je ne souhaite pas forcément parce je souhaite le bonheur pour les Européens et les occidentaux en général, je ne souhaite pas rendre des coups, autant je souhaite que l’Afrique se relève, qu’elle soit en bonne position et même enviée, que effectivement il y ai une justice au niveau des visas, pour un Africain ce n’est pas envisageable d’organiser un voyage en trois jours sur la France alors que c’est possible pour un Français, le visa, il devrait y avoir une égalité à ce niveau.
L’Afrique est unie autour des intérêts communs, si on arrête de se taper dessus, si nous avons des pouvoirs forts, capable d’avoir des face à face avec des dirigeants occidentaux, par rapports a la négociation par exemple des prix de nos matières premières, elles ne sont pas du tout achetées aux prix qu’il faut.
Pour la crise en Europe je pense que c’est un scénario hélas possible, Bob Marley l’a dit il y a 30 ans « Babylone va tomber » il parlait bien sûr de l’occident… Si l’Afrique est unie au niveau de nos pays, pas de nos ethnies et de nos régions, il n’y a pas alors de raison pour que nous ne soyons pas bien chez nous et pas enviés par les occidentaux, je le souhaite pour mon continent, je souhaite qu’en 2033 comme vous évoquez pour votre film qu’effectivement le Café de Cote d’ivoire, le Cacao, le Coton du Mali soient achetés au prix qui doit l’être. Que la Francafrique soit un souvenir lointain et que la corruption soit combattue par nous les Africains. Je ne souhaite pas, parce que nous avons pris des coups, nous les Africains, les rendre, je n’ai pas d’attitude agressive, et que chacun soit bien chez lui mais que quand nous voulons aller en occident ce soit possible aussi facilement pour nous que pour vous. Certains pays d’Afrique proposent même le visa à l’aéroport a l’arrivée de l’avion sans démarche préalable, alors qu’en occident c’est impossible pour un Africain !
TB : Justement vous parlez de l’union de l’Afrique et c’est le général Kadhafi qui tentait de fédérer l’Afrique sous le nom « d’états unis d’Afrique » en organisant de grands rassemblements populaires dans tous les pays d’Afrique a quelques exceptions près, il s’est pourtant heurté a de nombreuses résistances dans cette organisation, et nous connaissons tous ce qui a suivi. Fédérer certains états c’est possible mais fédérer un continent entier d’un milliard d’individus, avec une telle démographie, c’est plus que compliqué.
Tiken Jah Fakoly : C’est très compliqué, mais nous n’avons pas le choix, aucun pays Africains ne pourra s’en sortir tout seul, je le répète on n’a pas le choix je pense qu’il va falloir qu’un jour, et peut-être ce sera la génération de nos enfants ou de nos petits-enfants , mais il va falloir qu’une génération s’assoit et dise voilà on a les mêmes problèmes, au Mali, en Côte d’Ivoire, dans les quartiers populaires ce sont les mêmes contraintes, la même pauvreté, pourquoi ne pas s’assoir ensemble , se réunir et avoir une seule voix qui puisse faire face aux occidentaux, et parler d’une voix commune, on a pas le choix si on veut s’en sortir.
L’Afrique c’est ce paradoxe historique, continent très riche par ses matières premières, potentiel humain aussi, mais population extrêmement pauvre, nous vivons sur l’or, le diamant, le café, le cacao, le coton etc… Tout ce dont les occidentaux ont besoin pour continuer leur développement mais nous restons dans la pauvreté et c’est un paradoxe, c’est difficile mais cela ne peut passer pour moi que par l’éducation et l’école, quand la majorité des Africains saura lire et écrire, soit environ 90% de la population, is communiqueront et se dirons « arrêtons de nous taper dessus », « réunissons nous et faisons face aux Etats-Unis et à l’Europe ».
TB : Effectivement, pour en revenir au fait que des Européens seraient amenés à migrer vers l’Afrique, ce scénario est déjà visible pour des Espagnols et des Portugais, dont les pays subissent une crise économique majeure, et dans les colonnes d’info-Afrique.com nous évoquions le cas la semaine dernière de migrants portugais qui affluent en masse en Angola pour tenter d’y travailler.
L’Angola, un pays qui a un des PIB qui s’accroit le plus au niveau mondial, comparable à certains pays en plein développement comme le Ghana, le Nigéria, sur lequel nous reviendrons, et l’Afrique du Sud véritable modèle économique.
Tiken Jah Fakoly : Et oui… Nous en Afrique nous avons de la place, pas vous, aujourd’hui en Côte d’Ivoire tu peux acheter un magnifique terrain à côté de la capitale Abidjan a 5000 euros, ici à Paris il n’y a rien à 5000 euros, peut être aussi que des occidentaux se disent, ou vont se dire « mais je peux acheter un superbe terrain en Côte d’Ivoire ou ailleurs en Afrique avec peu d’investissement, et loger ma famille et tenter ma chance, ici en Europe si vous avez des loyers chers et pas de travail, quelles sont vos possibilités d’avenir ? N’oubliez pas qu’en Afrique tout est à faire, alors qu’ici tout a été presque déjà fait.
TB : Comment faire prendre conscience aux Européens et au monde qu’en Afrique et dans certains pays d’Asie, d’Amérique du Sud, le rêve de millions de gens c’est l’accès à l’eau potable, un emploi ou un toit. Sans pouvoir voyager et ainsi le constater de visu, et là je fais référence à votre chanson « viens voir ». On ne peut pas s’imaginer les conditions terribles de vie. A ce titre pensez-vous que c’est aux artistes de faire passer le message qu’une partie de l’Afrique est en grand danger, et qu’il y a urgence, au Darfour, en Somalie, en République Démocratique du Congo etc…
Tiken Jah Fakoly : Nous voulons faire passer le message, mais sans parler de cette Afrique misérabiliste. Ce que nous ne voulons plus faire, ça l’a été assez fait par les médias, et nous avons notre fierté, notre dignité, on ne veut plus être présentés comme ça, hélas la réalité est là et il faut arriver à en parler, encore une fois sans misérabilisme. Il y a la solution, nous la connaissons, si nous trouvons l’unité dans nos pays, si nous combattons la corruption, si l’argent va moins à droite et à gauche, si ça partait dans les bonnes caisses, mais tout ça c’est un processus.
Ce qu’on ne doit pas oublier c’est que l’Afrique sort de 400 ans d’esclavage et de colonisation, donc quand je compare l’âge de la liberté de l’Afrique à celle de la liberté de la France ou de des Etats-Unis alors je vois une grand personne a coté d’un enfant, un enfant qui a besoin de temps, pour comprendre, pour grandir et apprendre et ainsi espérer. Cette solution là je pense que nous pouvons la trouver nous-même africains, sans l’aide de l’occident, je garde une vision positive et je reste optimiste car je sais que ce continent a un potentiel, nous avons tout pour le faire, c’est un processus, il y a eu des coups d’états aussi en occident, il y eu les dernières guerres, le temps de Napoléon, quand la France a fait sa révolution il a fallu du temps.
TB : Mais vous citez dans une de vos chanson « il y a eu l’esclavage, après la colonisation puis ils ont inventé la coopération » donc cette coopération qui est encore d’actualité, c’est positif ou négatif ? Il y a des moyens pour que cela fonctionne correctement ?
Tiken Jah Fakoly : Elle fonctionne bien si c’est équitable, nous sommes sur la même planète, il est important que nous travaillons ensemble, que des échanges se fassent et que ce soit un équilibre, elle est utile, je le crois, mais avec une équité, et une meilleure organisation. Avec, la aussi moins de corruption.
Mais là aussi je suis confiant, vous savez on a entendu que les valises circulaient moins, et je suis sûr que cette année il y en aura encore moins, les choses vont se passer au fur et à mesure.
Même ici en occident certains en ont marre et dénoncent des choses qui se passent en Afrique cela aussi participe à faire bouger les choses favorablement, ces dénonciations vont réveiller, en Afrique et en Occident.
TB : L’Europe et le monde ne seraient -ils pas obligés d’aider les pays pauvres à se développer pour pouvoir nouer de vrais partenariats, non économiques mais humains, culturels et profitables a tous ?
Tiken Jah Fakoly : Je pense que l’Europe n’a pas le choix, l’occident même en général n’a pas le choix parce que même les politiques d’immigrations, si les frontières sont fermées et si les présidents occidentaux mettent la clef dans leur poche, les Africains continueront à venir de gré ou de force, poussés par la pauvreté. Je pense que la seule manière de freiner ou de stopper cette immigration massive c’est d’aider ces pays à se développer. Là aussi il n’y a pas le choix, et tant que les Africains ne seront pas bien chez eux ce sera difficile voire impossible de freiner cette immigration et de quelque manière que ce soit.
TB : Le potentiel impressionnant des ressources du continent africain est souvent évoqué, minerais, bois, coltan pour les téléphones mobiles, sable, diamants, or etc… mais pas le potentiel humain, c’est pourtant là que des millions de compétences dans tous les domaines et souvent les plus techniques comme l’informatique ou l’industrie sont disponibles, qu’en pensez-vous ?
Tiken Jah Fakoly : Oui il y a un grand potentiel, certains étudient aux USA ou en Europe, mais ne rentrent pas tous chez eux, et dans nos pays, ce potentiel n’est pas assez utilisé.
TB : Le high Tech se développe énormément en Afrique : Internet, réseaux sociaux, informatique, nouvelles technologies, et même une tablette tactile produite en République Démocratique du Congo, cela semble une vraie force du continent, un moyen de communiquer librement avec le reste du monde.
Tiken Jah Fakoly : Il y a de grandes compétences, mais pas toujours de travail, c’est l’avenir qui va décider, hélas on n’entend pas toujours parler du potentiel, nous ne voulons pas non plus nous victimiser, si celui qui a fait la tablette tactile au Congo arrive à la vendre en masse ce sera une réussite, mais c’est dur, c’est quasiment impossible de combattre la concurrence. Mais c’est sur l’Afrique c’est un continent d’avenir, l’Afrique c’est la où les choses vont se passer bientôt, et je reviens aux Africains, nous devons être prêt pour que quand les choses vont se développer on en profite intelligemment.
TB : Le continent Africain change, la démocratie avance, le Maghreb, le Sénégal, la Cote d’Ivoire, et le Mali qui politiquement et religieusement se sépare, et c’est un nouvel état islamique qui est décrété, cela semble être un grand danger pour ce pays et avoir un effet déstabilisant pour l’ensemble de cette région, déjà soumise à rude épreuve. Qu’en pensez-vous ?
Tiken Jah Fakoly : Moi je souhaite simplement que cette division du Mali n’aboutisse pas, c’est extrêmement dangereux, les Touaregs du Niger ont déjà demandé leur indépendance, il a aussi les Touaregs du Burkina qui l’avait fait, et donc il faut vraiment éviter que ce qui se passe au Mali dégénère.
TB : Oui mais un état Islamique a déjà été créé, l’Azawad, une nouvelle frontière a été tracée et des monuments culturel détruits, au grand désespoir de la population.
Tiken Jah Fakoly : Il faut l’éviter… Et je pense que le dialogue est possible, ça m’étonnerait que les habitants s’entendent, les Touaregs sont peut-être des descendants d’Arabes, mais je ne pense pas qu’ils aient les mêmes visions que les islamistes et ça commence déjà à se sentir, ils n’ont pas pu s’entendre, ils ont tenté de signer des accords mais ça n’a pas marché.
Je pense que la plus grande préoccupation aujourd’hui c’est l’instabilité politique à Bamako la capitale, c’est de là qu’il faut commencer à régler le problème. Je ne souhaite pas prendre le devant du combat car il y a aujourd’hui beaucoup d’artistes Maliens qui connaissent des soutiens à l’international.
Mais je suis sûr que cela passe par le retour d’une stabilité sur la capitale. Une grande partie du monde aujourd’hui combat les islamistes, c’est le cas de la coalition en Afghanistan et c’est le même problème dans le nord du Mali aujourd’hui et je pense qui si encore une fois la stabilité est retrouvée à Bamako, alors tout le monde voudra et pourra nous aider à combattre ces islamistes.
TB : Seriez-vous donc favorable à l’envoi d’une aide extérieure, voire une intervention ?
Tiken Jah Fakoly : Moi je fais partie de ceux qui soutiennent la CEDAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et je fais partie de ceux qui ont dénoncé l’ingérence de la France, des Etats-Unis et des autres, donc qu’une institution Africaine prenne le devant ça nous crédibilise, ça prouve déjà une certaine maturité et je suis pour. Un soutien de l’occident mais sous l’égide de la CEDEAO
Thierry Barbaut : Une CEDEAO qui contrôlerait en toile de fond une intervention occidentale ?
Tiken Jah Fakoly : Oui
TB : CEDEAO qui elle-même connait actuellement de sérieux troubles dans sa propre gestion…
Tiken Jah Fakoly : La réalité, le problème des institutions Africaines, c’est que la jeunesse ne connait pas ces institutions, la jeunesse voit la télé, les réunions, mais ne se sent pas concernée, et c’est pour ça que des voix au Mali se sont levées pour s’opposer aux décisions de la CEDEAO.
Il faut être conscient que cette CEDEAO a été créée par nos parents et cette institution doit aussi apprendre à parler aux jeunes et à se faire comprendre !
Le Mali comme certains autres pays font partie de ceux qui ont écrit dans leur constitution que si deux décisions avaient été prises, une par le pays et une par l’Afrique, et qu’elles se confrontent, ce sera celle prise par l’Afrique qui sera appliquée, vous pouvez d’ailleurs écouter dans l’hymne du Mali que le « Mali est l’Afrique ». Le problème de nos institutions panafricaines c’est qu’elles ne sont pas connues, de nous et surtout de nos jeunes.
Et, hélas, je ne parviens pas à rencontrer les présidents d’Afrique afin de leurs proposer de faire une tournée, et de m’associer, pour expliquer aux jeunes et tenter de fédérer les pays, afin que nous soyons plus unis.
Il faut absolument expliquer l’importance de ces institutions a tous les Africains, aucun combat ne sera gagné par un pays africain sans les autres, par exemple en Côte d’ivoire si les problèmes se stabilisent, les voisins vont affluer afin de profiter de la situation favorable, et cela va finalement déstabiliser le pays, c’est pourquoi il faut fédérer les pays dans une politique de stabilisation afin d’avancer ensemble dans la bonne direction.
C’est ensemble que nous pouvons gagner tous les combats. La première des choses à faire est de rapprocher les institutions des jeunes, afin de passer ce message de réunification des pays et ainsi que les décisions des institutions soient respectées de tous, jeunes comme anciens. L’unité de l’Afrique c’est la seule solution pour s’en sortir, si ce message est diffusé et compris, alors l’unité sera respectée, et c’est mon souhait.
Pour en revenir à votre question, je suis pour une intervention extérieure sous l’égide de la CEDEAO afin que l’Azawad ne puisse pas exister.
TB : Vous avez beaucoup appelé dans vos chansons et vos interviews à « quitter le pouvoir ».
A part au Zimbabwe et dans quelques pays, il faut bien admettre que depuis vos premiers appels à ce changement cela évolue, démocratiquement au Sénégal, par les urnes et par la force en Côte d’Ivoire, au Maghreb par des « révolutions », vraiment là ça bouge ?
Tiken Jah Fakoly : Ah oui, vraiment avec le développement d’Internet, de la technologie, les réseaux sociaux, un dirigeant qui pense qu’il peut faire 20 ans au pouvoir il se trompe, on a affaire à une génération aujourd’hui qui ne gagnera pas le combat, elle fera une part du combat, mais elle n’acceptera pas ce que nos parents ont accepté, il y a eu le Sénégal par la voire démocratique, en Côte d’Ivoire aussi par la voie des urnes mais il a fallu conclure par la force, vous savez Gbagbo a dit « soit on gagne, soit on gagne » ça veut dire on gagne avec les urnes ou les fusils… ça n’a pas marché… Et même en tentant de proposer de recompter les voix une semaine après personne n’y aurait cru.
Un dirigeant qui aujourd’hui espère faire trois ou quatre mandats à la tête de son pays se trompe, c’est fini, c’est une étape qui est terminée, il y en aura d’autres mais celle-là est terminée. Il faut au moins que l’on gagne le combat de la démocratisation sur le continent Africain, que le peuple ai son mot à dire. La démocratie amène la stabilité.
Pour en revenir à la Cote d’ivoire, si Alassane Ouattara fait ce qu’il faut, et ça semble être le cas, s’il développe, construit des routes, et que les Ivoiriens qui votaient Gbagbo voient ça ils peuvent se dire « ah quand même il fait des choses pour nous » et la situation peut changer. La réconciliation peut avoir lieu, ce que nous souhaitons tous.
J’ai moi-même tenté de faire revenir des artistes en Côte d’Ivoire, mais sans beaucoup de succès et au risque de me faire critiquer ou associer à la politique en cours.
La sécurité doit aussi être exemplaire en Côte d’Ivoire, pas question de nouveaux coups d’états, nous allons dans le bonne direction avec un chef, pas un dictateur, mais craint et respecté.
TB : Thomas Sankara, Patrice Lumumba et peut être Moussa Dadis Camara il y a deux ans, tous a des époques différentes, mais des points communs pour des personnalités hors du commun. Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce qu’il y a aujourd’hui des personnes qui seraient capable de bouleverser le jeu politique comme ces grands noms ?
Tiken Jah Fakoly : La réalité c’est que la situation économique est compliquée, et il est difficile aujourd’hui pour un nouveau Sankara de réapparaitre mais il y en a, il est difficile aussi aujourd’hui pour un nouveau Patrice Lumumba de réapparaitre, mais il y en a ! Dadis c’est spécial, mais il y en a. Ils existent, ils ont aussi peur de se mettre en avant, je pense que comme la première préoccupation des gens est comment gagner le pain quotidien, c’est donc extrêmement difficile.
C’est lorsque nous auront trouvé la solution économique que certain apparaitrons.
Pour en revenir à Moussa Dadis Camara, je tiens à souligner et féliciter l’acte patriotique qu’il a fait en signant les accords de transfert de pouvoir, c’est lui qui a permis à la situation en Guinée de se régler démocratiquement, et que des élections soient programmées. Sans ce geste qui l’honore cela aurait pu être compliqué et même dangereux. Je l’avais rencontré, et hélas il a été grièvement blessé, mais il est maintenant remis et vit au Burkina.
TB : La démographie et les états eux aussi évoluent, le Soudan se divise en deux, et un nouveau pays apparait, le Nigéria sera la première puissance économique en 2025 et il compte aujourd’hui 160 000 000 d’habitants soit près de trois fois la population française. Ce pays pourrait devenir, en 2050, le 3ème pays le plus peuplé du monde avec 389 millions d’habitants, comment relever ce défi ?
Tiken Jah Fakoly : Il faut absolument préparer les choses maintenant, j’espère que les gouvernements qui vont se succéder d’ici cette date vont prendre conscience de la situation, et qu’ils le prépareront au mieux.
TB : Souvent les familles, parfois très nombreuses, dans les zones rurales ou en ville, ne parviennent pas à subvenir aux besoins de leurs enfants et les abandons sont fréquents : enfants des rues parfois appelés sorciers, orphelinats en surpopulation, enfants esclaves, enfants parfois même vendus… D’où vient le problème, culture, contraception, ce sont des tabous ?
Tiken Jah Fakoly : Quand on me pose cette question sur la contraception et le fait des grandes familles Africaines je reviens tout de suite sur l’éducation, au fur et à mesure, quand les gens irons à l’école et comprendrons qu’il vaut mieux faire deux enfants que dix, et s’en occuper, les éduquer, se concentrer sur eux, les faire étudier à l’école, il vaut mieux se concentrer sur deux que dix.
– Projet un concert une école –
Thierry Barbaut : Votre projet donc : Un concert une école, plus qu’un projet car il prend forme concrètement et des écoles ont été réalisées et inaugurées à ce jour, félicitations.
Je vous cite : « L’éducation c’est la lumière ». Considérant que « l’école est la base du développement surtout pour les jeunes filles », Tiken Jah Fakoly préconise de « donner les mêmes chances à tout le monde, à tous les enfants »
Tiken Jah Fakoly : Pour moi c’est l’éducation qui va tout changer, une fois que la majorité des Africains sera alphabétisée, cette majorité se rendra comptes qu’elle a des opportunités, des droits et elle va les saisir, elle va les préserver, il faut comparer l’histoire des pays qui ont réussi aujourd’hui. Quand tu regardes l’histoire, beaucoup de choses sont passées par l’éducation.
L’Afrique passera forcement par le même circuit, il y aura des turbulences, comme en France aux Etats-Unis, mais si nous mettons l’accent sur l’éducation il n’y a pas de raison que nous n’y arrivions pas, parce que aujourd’hui il est prouvé que les Africains ont les mêmes atouts, la même intelligence que tout le monde. Il y en a qui sont à la Nasa, un autre est président des Etats-Unis, il n’y a pas de raison, si on se donne les mêmes chances que ceux qui ont développé les pays occidentaux il n’y a pas de raisons qui nous n’y arrivions pas. C’est pourquoi je mets l’accent sur l’éducation, je construis des écoles parce que je veux faire du concret et montrer le chemin aux enfants, le chemin de l’école et même pousser les parents s’il le faut.
Je me souviens que je n’ai pas fait de longues études, pourquoi ? Parce que mes parents ne savaient ni lire ni écrire, je n’ai eu personne pour me dire d’y aller, et moi-même je pensais que j’allais aller à l’école pour mes parents, et quand je me suis rendu compte que c’était pour moi c’était trop tard, c’est donc essentiel de faire aussi comprendre aux parents que c’est primordial pour leurs enfants. Je ne veux pas que l’on dise que je construits une salle de musique ou un studio et ainsi être critiqué, mais la avec les écoles je suis sûr que je vais là où il faut.
TB : « L’enfant noir », de Camara Laye est le roman africain le plus connu et le plus étudié dans les établissements scolaires européens, c’est l’histoire d’un garçon qui vit son enfance prés de son père forgeron et choisit de s’éduquer et ainsi de faire sa vie avec réussite gardant au plus profond de lui sa culture Africaine et ses racines. Alors aujourd’hui comment accéder à l’espoir, comment se projeter dans l’avenir, quand on ne sait pas lire ni écrire, que l’on n’a absolument pas accès à l’éducation.
Tiken Jah Fakoly : Cela passe par une volonté politique, dans nos pays, il faut que le gouvernement prenne conscience qu’il faut faciliter la tâche à tout le monde, aux enfants, aux parents, a tous, et cela passe par la politique. Cela nécessite aussi un suivi. C’est une prise de conscience du gouvernement et ensuite une mise en place avec des moyens, dont par exemple une lutte contre la corruption qui gangrène l’ensemble de la société.
TB : Dans l’association un concert une école (www.unconcertuneecole.com) (et la page Facebook), c’est une partie des revenus qui sont reversés afin de construire les établissements, pouvez-vous nous expliquer un peu plus.
Tiken Jah Fakoly : Deux euros par place vendue ont été reversés à l’association « un concert une école » a Bercy par exemple, sinon là je pars au Niger pour le concert du 9 Juin, et c’est l’intégralité de la recette qui est reversé à l’association, je ne prends aucun cachet, les musiciens aussi n’en prennent pas et si ils doivent être payés ce sera la moitié ou un minimum, ce sera un groupe entièrement Africain qui va jouer avec moi à Niamey. Absolument tout le monde s’implique, les médias, les techniciens, les organisateurs dont Mr Nicolas Dalmasse qui fait un excellent travail sur place.
TB : Pourquoi ne pas fédérer d’autres artistes à ce projet ?
Tiken Jah Fakoly : Moi je suis prêt, mais les autres artistes doivent jouer le jeu, il faut qu’ils soient prêt et faire ce sacrifice, jouer bénévolement, si c’est le cas alors oui nous pourrions nous rassembler.
Pour moi c’est facile, c’est mon combat, je suis un homme de conviction. Je sais que mes amis qui ne sont pas allés à l’école aujourd’hui quand je retourne dans les villages je vois leurs situation et moi je veux que ça change.
L’école m’a ouvert les portes, certains artistes même ne se rendent pas compte de l’importance. Pour vous situer, un artiste Africain a même chanté une chanson en parlant de libérer Nelson Mandela, et quand un journaliste lui a demandé qui était Nelson Mandela il a répondu « Nelson Mandela » c’est un « blanc qui aime les noirs et qui se bat pour eux »… C’est un Ivoirien qui a dit ça… C’est pour vous dire l’importance de l’éducation !
Et je vous avoue que même aujourd’hui mon fils qui veut faire de la musique je suis très dur avec lui, mais moi je veux qu’il réussisse ses diplômes et qu’il étudie d’abord, ensuite la musique, vous vous rencontrerez en chemin.
TB : Il reçoit le message ?
Tiken Jah Fakoly : Je pense que oui, ce n’est pas facile, il pense que son père chante alors ce doit être facile, mais moi je ne vois pas les choses de la même manière.
TB : Tiken, sans « langue de bois », si votre plus grand rêve devait se réaliser, quel serait-il ?
Tiken Jah Fakoly : Sans hésitation je réponds : Que les états d’Afrique arrivent à se fédérer, à s’écouter, à travailler ensemble et à avancer, que nous soyons fier d’être Africain, et je répète que cela passe inévitablement par l’éducation. QUE NOUS SOYONS UNIS.
TB : Et comment faire ? Concrètement, comment fédérer des pays si différents, si éloignés, dans un environnement économique, politique et social si complexe ?
Tiken Jah Fakoly : Si une personne, comme vous citiez Sankara, Lumumba, un président, ou un autre dans un pays y arrive, et donne l’exemple, et que ce pays soit un modèle, il pourra alors s’associer à un pays voisin, puis a un autre et ainsi commencera à se former cet unions dont je rêve, dont les Africains rêvent, dont nous rêvons tous.
Thierry Barbaut : Merci Tiken d’avoir répondu, bon voyage et bons concerts.
Tiken Jah Fakoly en concert a Niamey le 9 Juin 2012
La page Facebook de Tiken Jah Fakoly
Le site officiel de Tiken
Le site de l’association « un concert une école »
La page Facebook de l’association
Le dernier album de Tiken « African Revolution » en vente en ligne.
Thierry Barbaut Directeur, info-afrique.com,
Interview réalisé a Paris le 1er Juin 2012, cliquer ici pour contacter la rédaction d’info-afrique.com
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