Du 17 janvier au 8 février, la Guinée Équatoriale va accueillir les phases finales de la CAN 2015.
Il faut rappeler que le Maroc a décliné l’organisation de cette CAN à cause de la menace Ebola. Une menace qui n’a pas empêché ni la Guinée Equatoriale ni le Qatar, qui n’est même pas un pays africain, de se porter volontaires. Alors le jeu en vaut-il vraiment la chandelle?
Les partisans irréductibles de l’organisation de la CAN soutiennent qu’elle présente plusieurs avantages tant sur le plan économique que social. Sur le plan économique, ils pensent que l’organisation de la CAN stimule la croissance économique à travers l’investissement en infrastructures de toutes sortes et la promotion du tourisme. Par exemple, les chantiers de la CAN 2012 ont permis au Gabon de réaliser un taux de croissance de 6,7% en 2010 et 7,1% en 2011. L’organisation de la CAN 2013 a permis à la fédération sud africaine de football de réaliser un bénéfice de 360.000 dollars après l’organisation de la CAN 2013. Toujours suivant ces partisans, ces investissements permettent non seulement d’améliorer les infrastructures existantes, mais d’en construire de nouvelles (gares, aéroports, lignes ferroviaires, autoroutes, etc.). La construction de ces infrastructures a un impact sur la croissance économique car cela fournit des commandes aux entreprises de différents secteurs économiques pour créer de la valeur ajoutée.
Par ailleurs, l’organisation d’une compétition de dimension internationale comme la CAN constitue une bonne publicité pour le pays organisateur. La CAN est l’événement sportif le plus suivi du continent. En 2013 par exemple, le secteur touristique sud africain a connu une hausse de 3,9%. L’organisation de la CAN 2013 a contribué à la hausse des voyageurs étrangers vers ce pays. Ce qui se traduit en principe par plus de chiffre d’affaires pour les hôtels, les restaurants et les cafés.
Sur le plan social, l’organisation de la CAN est supposée contribuer à la création d’emplois, la mobilisation populaire sans l’impact psychologique et social en cas de victoire. Après la victoire, les rues ont été prises d’assaut par les supporteurs qui manifestaient leur joie. C’est le moment d’oublier les soucis et les problèmes de la vie quotidienne. Les victoires ont donc un impact psychologique important. L’organisation de la CAN peut être un puissant moyen de cohésion sociale, du moins momentanément, dans les pays en crise ou qui sortent de crise car le sport est un puissant facteur de rassemblement au-delà des clivages politiques, ethniques et sociaux. Au lendemain des récentes manifestations politiques, comme un seul homme, les Burkinabés sont allés à l’aéroport pour accueillir leurs joueurs après la qualification du pays à la CAN 2015.
Bien que l’organisation de la CAN semble avoir théoriquement des avantages, néanmoins ces effets semblent hypothétiques. Son impact sur la croissance économique est faible et éphémère car il est lié à la durée limitée des chantiers de la coupe. L’effet s’estompe immédiatement. Les investissements dans ce genre d’infrastructure ne s’insèrent pas toujours dans une vision de développement de long terme. De plus, les investissements en infrastructures sont effectués uniquement dans un nombre limité de villes qui accueillent la compétition. La majorité du pays n’en bénéficie pas. En outre, concernant l’impact touristique, il n’est pas toujours garanti car l’affluence n’est pas toujours au rendez-vous. Par exemple, lors de la CAN 2012 les fans de foot africain et donc les touristes n’ont pas afflué vers la Guinée Equatoriale et le Gabon.
Par ailleurs, les projets d’infrastructure sont souvent surdimensionnés par rapport aux besoins locaux. Les stades sont souvent calibrés pour accueillir un certain nombre de spectateurs dépassant celui des supporters des équipes locales du pays d’accueil. Ils se transforment souvent en « éléphants blancs ».
De plus, leur attribution fait souvent l’objet de corruption et de rente sans parler du coût d’entretien qui grève les budgets des collectivités locales. En Afrique du Sud plusieurs soupçons de corruption ont porté sur l’attribution des marchés publics pour la construction de stades. De plus, le coût de l’entretien du stade de Polokwane d’Afrique du Sud est de 2,4 millions d’euros soit environ 1,57 milliards de FCFA. Il est certes vrai que ces investissements en infrastructures sont créateurs d’emplois. Mais les emplois créés sont de type saisonnier et détruits à la fin de la construction des infrastructures. Donc la probabilité que ces emplois tirent les gens de la pauvreté est mince.
En somme, s’il est fort probable que les pays organisateurs tirent profit de la CAN, il est plus sûr que la CAF, les lobbies des entreprises, notamment étrangères, et des sponsors (équipementiers sportifs, marques de soda, les annonceurs, les médias, etc.) en sont les plus grands bénéficiaires. En effet, la CAF est le plus grand gagnant en droits de retransmission et de sponsoring. Par exemple, le groupe Canal de Vivendi a obtenu la diffusion des CAN 2013 et 2015 pour un contrat de 2,7 millions d’euros par édition soit environ 1,8 milliard de FCFA.
De plus, en 2004, la société de téléphonie mobile MTN a conclu avec la CAF un contrat de 25 millions d’euros pour être le sponsor principal de la CAF pour 4 ans. A côté de la CAF il y a les medias qui revendent les droits de retransmissions à prix exorbitants. Au vu des montants des contrats signés par les équipementiers avec les sélections nationales nous pouvons dire aussi qu’ils profitent énormément de l’organisation de la CAN. Par exemple, l’équipementier des lions indomptables a signé un contrat de plus de 15 millions d’euros soit 10 milliards de FCFA avec la fédération camerounaise de football.
Bref, l’organisation de la CAN n’est pas une panacée en soi. Son impact dépendra de l’attractivité du pays, de sa compétitivité, de la qualité de ses institutions et de son capital humain. Ce n’est que sous de telles conditions, que l’on peut espérer avoir des effets bénéfiques d’un tel événement. En conséquence, les pays africains doivent songer à investir au préalable dans les réformes structurelles avant les stades pour espérer bonifier les investissements liés à l’organisation de la CAN.
Germain KRAMO, chercheur au Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (CIRES) –