Le paradoxe mondial de la sécurité alimentaire est triste car d’un coté, il y a plus de nourriture que nécessaire pour nourrir les sept milliards d’habitants de la planète…
De l’autre, un trop grand nombre de personnes vit dans une grande fragilité alimentaire. L’autre ambivalence est quel’Afrique dispose de 60% des terres arables non cultivées dans le monde tout en abritant la plus grande population de personnes souffrant de faim chronique et de malnutrition.
En Afrique, la migration des zones rurales vers les villes se fait à un rythme très rapide. Pour lutterefficacement contre ce problème, il faut le comprendre. La réponse est simple. Les gens recherchent avant tout des opportunités d’emplois. La migration urbaine en Afrique, en particulier chez les jeunes, s’expliquepar la stagnation de l’économie rurale. Il est important de comprendre que ces jeunes gens ne fuient pas lemonde agricole mais fuient plutôt la pauvreté.
L’agriculture semble avoir échoué à enrichir une génération entière. Trop de jeunes Africains ont grandi en voyant leurs parents travailler toute leur vie pour assurer difficilement leur subsistance! Ainsi, les agriculteurs africains ne récoltent qu’un cinquième de ce que les agriculteurs américains pourraient récolter sur le même hectare de terre.
Il est donc urgent de s’occuper de ce secteur. La bonne nouvelle est que c’est possible grâce à l’africapitalisme, concept selon lequel le secteur privé s’implique dans la promotion du développement. L’africapitalisme encourage les investissements à long terme dans des secteurs stratégiques qui offrent des dividendes économiques et sociaux. L’agriculture est sans doute le secteur le plus stratégique, parce qu’il permet un retour sur investissement de l’ordre de 2 à 3. Elle représente 32% du PIB de l’Afrique, et emploie 65% de la population active. Plus important encore, elle est le secteur qui permet aux plus pauvres de se nourrir dignement. Ainsi, tout programme ou initiative visant à éliminer ou atténuer la pauvreté , à stimuler la création d’emplois ou à faciliter l’autonomisation des femmes, doit s’attaquer au secteur de l’agriculture.
Fondamentalement, toute transformation du secteur agricole peut conduire à un progrès radical du continent africain. Cependant l’agriculture est intimement aux autres secteurs stratégiques du transport et de l’énergie. Les secteurs économiques sont en effet interdépendants les uns des autres. Pour stimuler le secteur de l’agriculture, il faut investir dans les routes pour faciliter le transport de la récolte et des produits finis des zones rurales vers les marchés. Il faut également investir dans l’énergie pour le traitement et la conservation des denrées, en particulier pour respecter la chaîne du froid nécessaire pour répondre aux nouvelles exigences alimentaires des consommateurs urbains. Des financements seront nécessaires pour répondre à l’ensemble de ces besoins en infrastructures.
Les gouvernements africains ne disposent pas du capital nécessaire pour satisfaire tous ces besoins en infrastructures. Toutefois, le secteur privé a et peut accéder au capital, dispose de l’expertise nécessaire pour aider à relever ces défis. L’africapitalisme offre la solution, puisqu’il exige que les gouvernements et le secteur privé travaillent ensemble pour atteindre un «objectif commun», celui de la « prospérité partagée », où tous les acteurs et secteurs économiques participent et en même temps profitent des fruits de la croissance économique.
Les gouvernements africains commencent à comprendre cela et mettent en place des partenariats public-privé (PPP) pour construire des routes qui désenclavent les zones rurales de manière à faciliter l’acheminement des produits agricoles vers les marchés. Ces voies permettent aussi d’accroître les échanges avec les pays voisins.
Par exemple, entre 2010-2014, la Banque africaine de développement, en partenariat avec les gouvernements africains et le secteur privé, ont financé la construction et la réhabilitation de 230.000 kilomètres d’échangeurs permettant à 563 000 personnes de bénéficier d’un meilleur accès au transport. Dans le secteur de l’énergie, en collaboration avec les gouvernements africains et les dirigeants du secteur privé, l’Initiative Africa Power, lancée par le président Obama, est en train de relever audacieusement le défi d’améliorer l’accès à l’électricité, ce qui favorisera la croissance dans d’innombrables autres secteurs. A travers Africa Power, le gouvernement américain a réuni 120 partenaires des secteurs public et privé, et mobilisé 43 milliards de dollars pour créer 60 millions de nouvelles connexions électriques.
Ainsi dans le domaine agricole, des PPP permettraient de mobiliser les connaissances et la main-d’œuvre nécessaires à l’essor du secteur, réduisant ainsi l’exode rurale. Les jeunes pourraient alors gagner leur vie et faire prospérer leurs entreprises là où ils sont nés et ont grandi.
Transformer en priorité l’agriculture en Afrique est un impératif moral et une stratégie intelligente pouvant sauver des vies, créer les emplois, et booster la croissance des économies. Investir dans l’agriculture permettrait d’atteindre le second des Objectifs de Développement Durable (SGD), à savoir la «lutte contre la faim». En découle la réalisation d’autres objectifs tels que la bonne santé, la croissance économique et l’amélioration des infrastructures, transformant ainsi le continent. Tout le monde – secteurs public et privé, scientifiques, universitaires, médias, secteurs à but non lucratif – a un rôle à jouer. Et nous devons travailler à réaliser cet « l’objectif partagé » et terriblement stimulant compte tenu de son fort impact.
Tony O. Elumelu, Président du Heirs Holdings et de la United Bank for Africa, et fondateur de la Fondation Tony Elumelu