L’aide publique au développement : un pilier stratégique à préserver face aux défis globaux

financer l'aide publique au développement
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Face aux réductions budgétaires drastiques (-20 % en 2025 selon les dernières annonces gouvernementales), la France risque de sacrifier un instrument géopolitique majeur.

Avec 13,9 milliards d’euros d’aide publique au développement (APD) en 2023, soit 6,7 % du total mondial, l’Hexagone dispose d’un levier unique pour concilier solidarité internationale, sécurité collective et influence diplomatique. Les coupes envisagées – ramenant le budget à 10 milliards en 2025 – compromettent non seulement l’Agenda 2030 mais aussi les intérêts nationaux dans un contexte de crises interconnectées.

Une diplomatie de la réciprocité structurée par les Objectifs de Développement Durable

L’APD comme architecture normative

La loi du 4 août 2021 inscrit l’APD française dans un cadre multilatéral contraignant : 30 références explicites aux Objectifs de Développement Durable (ODD), alignement sur l’Accord de Paris et le programme d’Addis-Abeba. Ce dispositif juridique transforme chaque euro investi en norme internationale vivante. Par exemple, les 1,4 milliards d’euros alloués à l’éducation en 2019 matérialisent l’ODD 4 tout en consolidant la francophonie – 300 millions de locuteurs visés d’ici 2050.

Un outil de maillage institutionnel

Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), réunissant 14 ministères et 24 programmes budgétaires, incarne cette transversalité stratégique. Sa fonction consultative permet d’articuler les 65 % d’aide bilatérale avec les priorités des 50 pays les moins avancés (PMA). Ce dispositif explique pourquoi la France conserve son rang de 5e contributeur mondial en volume, malgré un ratio APD/RNB stagnants à 0,53 %.

La sécurité collective par le développement : une équation rentable

Prévention des conflits et réforme des systèmes sécuritaires

La Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) illustre cette approche intégrée : 739 drones livrés à l’armée de Terre en 2021, combinés à des programmes de formation aux droits humains dans les PMA. Ce double volet – équipement et gouvernance – réduit de 40 % les risques de conflits selon les études du CAD. L’ODD 16 sur les sociétés pacifiques devient ainsi un multiplicateur de force : chaque million investi dans la justice transitionnelle génère 8,3 millions d’euros de stabilisation régionale.

Complémentarité défense-développement : l’exemple sahélo-saharien

Alors que le budget défense atteint 39,2 milliards d’euros en 2021, l’APD joue un rôle de « soft power armé ». Les 740 millions d’euros de coupes en février 2024 ont immédiatement impacté les opérations Barkhane : -15 % de programmes civils parallèles aux actions militaires selon l’IRIS. Cette synergie explique pourquoi 68 % des dépenses d’APD dans la zone prioritaire africaine sont cofinancées par le ministère des Armées.

L’urgence d’un new deal solidaire face aux fractures mondiales

Un impératif moral chiffré

Avec 1,3 milliard d’euros supprimés sur le Fonds mondial contre le sida, la France renonce à son leadership historique : 12 % des contributions totales depuis 2002. Pourtant, chaque euro investi dans la santé globale génère 20 euros de retombées économiques via la main-d’œuvre préservée. Le mécanisme COVAX, dont la France est le 3e contributeur européen, a montré cette rentabilité sociale durant la pandémie.

La bombe climatique et alimentaire

Le « cœur de l’aide » consacré au climat atteint 2,9 milliards en 2023 (+17 % vs 2022), mais les coupes 2025 annulent ces gains. Or, l’Agence française de développement (AFD) estime que 1 euro pour l’adaptation climatique évite 7 euros de pertes agricoles. Avec 216 millions de personnes menacées par la faim en 2025 selon la FAO, cette régression budgétaire équivaut à abandonner 3,2 millions de paysans africains.

Effondrement de l’influence multilatérale

La contribution à l’APD européenne (45 % du total français) risque de chuter sous les 30 %, remettant en cause le leadership au sein du Conseil de l’UE. La taxe sur les transactions financières, auparavant affectée à 0,5 % du RNB, illustre ce recul : son intégration au budget général la rend vulnérable aux arbitrages politiques.

Perte de marchés stratégiques

Les 6,9 milliards d’euros d’aide bilatérale en 2022 généraient 14,3 milliards de contrats pour les entreprises françaises selon Business France. Le secteur éducatif en témoigne : 78 % des infrastructures scolaires en Afrique francophone utilisent des normes françaises, créant un marché captif pour nos groupes BTP.

Face à ces enjeux, la réduction de l’APD à 10 milliards en 2025 apparaît comme une triple erreur : géopolitique, en abandonnant l’Agenda 2030 ; sécuritaire, en dégradant notre capacité à prévenir les crises ; économique, en sacrifiant des relais de croissance futurs. La France doit au contraire sanctuariser les 0,7 % du RNB prévus par l’ONU, en réaffectant notamment 10 % du budget défense à cette priorité transversale. C’est le prix à payer pour rester une puissance solidaire – et donc influente – dans le monde post-COVID.

Enfin, pour continuer cette lecture vous pouvez lire l’article de l’auteur « Stratégies innovantes pour optimiser et amplifier l’aide européenne au développement » sur son Blog.

Thierry BARBAUT
Thierry Barbaut - Spécialiste Afrique en nouvelles technologies, numérique et intelligence artificielle. Montage de programmes et de projets à impact ou les technologies et l'innovation agissent en levier : santé, éducation, agriculture, énergie, eau, entrepreneuriat, villes durables et protection de l'environnement.