Par Stephen Hammer Conseiller, Partenariats mondiaux et stratégie – Stéphane Hallegatte Économiste principal, Groupe sur le changement climatique et Ferzina Banaji Chargée de communication pour le changement climatique de La Banque Mondiale
2020 s’annonçait comme une grande année pour l’action climatique : elle marquait le point de départ d’une révision à la hausse des ambitions des pays et on attendait beaucoup de la COP26 (prévue en novembre à Glasgow), en espérant des résultats aussi substantiels que ceux de l’accord de Paris de 2015. La réunion mondiale sur le climat a maintenant été reportée à 2021, car la planète est aujourd’hui aux prises avec la crise sanitaire et financière provoquée par la pandémie de coronavirus. Cependant, et à mesure que les préoccupations sanitaires s’atténueront, les pays devront se concentrer sur des mesures de relance pour endiguer les impacts économiques. Il sera alors capital de les aider à jeter les bases d’un avenir plus résilient, plus durable et plus prospère.
« À mesure que les préoccupations sanitaires s’atténueront, les pays devront se concentrer sur des mesures de relance pour endiguer les impacts économiques. Il sera alors capital de les aider à jeter les bases d’un avenir plus résilient, plus durable et plus prospère. »
Les contributions déterminées au niveau national sont plus importantes que jamais
Aux termes de l’accord de Paris, chaque partie signataire devait introduire ou actualiser, par cycle de cinq ans, des contributions déterminées au niveau national (CDN). Les contributions devaient être soumises bien avant Glasgow, mais la crise du coronavirus a mis à mal ce processus pour de nombreux pays. Non seulement beaucoup de responsables gouvernementaux ayant participé à la préparation des CDN se consacrent désormais à la gestion de la pandémie, mais nombre des hypothèses sur lesquelles reposent ces contributions sont remises en question : disponibilité des ressources budgétaires nationales, marge d’emprunt ou accès au financement international de la lutte contre le changement climatique, croissance économique, trajectoires d’émissions… En outre, au vu de la nature jusqu’ici inconnue du virus, on ne sait pas non plus à quelle vitesse les choses reviendront à la normale, ni même à quoi ressemblera cette nouvelle normalité et comment elle pourra modifier le degré d’ambition climatique d’un pays.
Malgré toutes ces incertitudes, nous pensons que les CDN et, plus largement, les stratégies nationales de développement et les plans directeurs ou plans d’adaptation des pays méritent une place de premier plan dans les discussions sur les politiques de relance. En effet, ces orientations donnent souvent une idée de la façon dont un gouvernement envisage les secteurs de croissance économique et de transformation technologique à venir, deux aspects qui ont des liens évidents avec la création d’emplois. Elles doivent souvent rendre compte de problématiques complexes pour lesquelles des progrès peuvent être source de bénéfices multiples : réduction de la pauvreté, renforcement de la compétitivité, amélioration de la santé publique et de la qualité de vie des populations, biens publics mondiaux.
Des travaux supplémentaires seront certainement nécessaires pour traduire les CDN en portefeuilles de projets prêts à être lancés, étant donné que la plupart des pays manquent de visibilité sur le lieu précis et les avantages connexes attendus (ou les risques associés) de chaque intervention proposée. Nous savons par ailleurs qu’à elles seules, les contributions actuelles ne suffisent pas pour décarboner entièrement l’économie mondiale et éviter le pire de la crise climatique. Néanmoins, pour la plupart des pays, les CDN constituent la manifestation publique la plus importante de leur engagement en faveur du climat. Elles représentent donc une base extraordinairement utile pour les efforts visant à promouvoir une reprise économique durable post-COVID-19.
Obtenir le feu vert
Les ministères chargés de la préparation des CDN sont probablement les mieux placés pour superviser le processus qui transformera ces contributions en options réalisables de relance ou d’investissement . Il faudra pour cela une étroite collaboration avec le ministère des finances ou tout autre ministère qui aura la mainmise sur le plan de redressement final.
La mise en pratique devra ensuite être répartie entre les ministères responsables des différentes actions sectorielles (transports, énergie, eau, agriculture, environnement, etc.) pour faciliter l’enrichissement et l’évaluation des interventions en fonction de leur pertinence pour la relance, en vue de déterminer la vitesse de leur mise en œuvre et leur degré d’utilité par rapport à des critères clés.
Notre grille d’évaluation de la durabilité fournit des informations plus précises sur les critères à l’aune desquels les pouvoirs publics pourront définir leur plan de relance global. Parmi ces critères, on trouve évidemment des éléments tels que la répartition géographique des interventions de relance et leur capacité à répondre aux enjeux de l’inclusion ou à améliorer les compétences et la productivité de la main-d’œuvre locale. Cette grille souligne également la nécessité de comprendre quels types de changements indirects institutionnels ou politiques seraient nécessaires pour garantir le succès de chaque intervention proposée, afin de pouvoir les prendre en compte en amont.
Dès que les informations seront suffisantes pour inscrire une initiative sur la liste des mesures de relance, il faudra prendre une décision. La façon de le faire variera en fonction des circonstances locales, mais une option consiste à mettre en place un processus régulier de mise à jour de la liste, à quelques semaines d’intervalle (voir le schéma ci-dessous). Ainsi, quel que soit le moment où le plan de relance sera prêt (ou si celui-ci fait l’objet de discussions avec la Banque mondiale ou d’autres institutions financières), les mesures de relance reflétant les objectifs des CDN seront toujours à portée de main.
L’une des principales difficultés consistera à prendre en compte le coût des travaux préparatoires qui seront nécessaires pour les interventions plus importantes et complexes. Structurer le portefeuille de projets nécessitera peut-être de faire appel à des ingénieurs, des juristes ou des consultants, un coût risquant d’excéder les ressources budgétaires disponibles. Pour y remédier, il pourra être utile d’accéder à des subventions en mobilisant les mécanismes de préparation de projet ou les différents fonds nationaux ou internationaux pour le climat.
Les prochaines étapes
Pour créer une passerelle entre les CDN et une reprise durable, il faudra une coordination poussée, à la fois entre les ministères de chaque pays et avec les partenaires extérieurs, y compris les institutions internationales. Les différentes parties prenantes peuvent faire progresser cette entreprise par des moyens différents :
- Les gouvernements : mettre en place un mécanisme de coordination commun aux ministères qui supervisent les CDN et une relance durable, afin de piloter le processus d’examen des projets et de tenir à jour une liste d’interventions.
- Les acteurs du financement de l’action climatique : analyser et structurer des moyens de mettre à disposition des aides à la préparation des projets, en mettant l’accent sur la traduction des engagements des CDN en projets réalisables, à même de peser dans les discussions sur la relance. Beaucoup d’acteurs y réfléchissent déjà — notamment les Fonds d’investissement climatiques, le Fonds vert pour le climat et d’autres —, mais il sera essentiel d’intensifier ces efforts.
- Les acteurs du processus officiel de lutte contre le changement climatique : promouvoir l’inclusion d’une liste actualisée des projets dans les prochaines CDN, afin de renforcer la coopération et de faciliter l’accès aux ressources. Le fonds de soutien à la mise en œuvre des CDN de la Banque mondiale étudie déjà comment son dispositif d’analyse approfondie — une démarche interministérielle actuellement mise en œuvre dans cinq pays et à l’échelle régionale dans les Caraïbes — pourrait être adapté de manière à englober les besoins liés à une relance durable.
- Les institutions financières et de prêt : considérer la liste de projets actualisée comme le relevé des priorités d’un gouvernement client et lui apporter leur soutien au travers d’une assistance technique et financière.
Au cours des mois et des années passées, les pays du monde entier ont consacré beaucoup de temps et de moyens à la préparation de nouvelles contributions déterminées au niveau national qui dessinent un avenir plus sûr et plus durable pour leurs concitoyens. En les prenant en compte dès à présent pour planifier la relance, nous pouvons tous contribuer à mieux reconstruire la planète après la crise que nous traversons.