Un nouveau rapport de l’UNESCO rend compte de la pression exercée par les réfugiés sur les systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne
Le Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2019 met en lumière de nombreuses initiatives innovantes prises par le Tchad, l’Éthiopie, le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda pour l’éducation des réfugiés.
Le nouveau Rapport mondial de suivi de l’éducation (GEM) 2019 de l’UNESCO sur les migrations et les déplacements de personnes décrit les progrès et les défis en matière d’éducation rencontrés par les réfugiés dans le monde. L’Afrique subsaharienne abrite près d’un tiers des réfugiés dans le monde, ainsi que des millions de personnes déplacées, ce qui, selon le Rapport, met à rude épreuve les systèmes éducatifs en difficulté.
Le Rapport GEM, intitulé Bâtir des ponts, pas des murs, souligne la volonté politique de changement telle que définie dans la Déclaration de Djibouti (de la Corne de l’Afrique) et met en lumière de nombreuses initiatives novatrices dans certains pays. L’Éthiopie, le Kenya, le Rwanda, le Tchad, l’Ouganda et le Tchad qui accueillent plus de la moitié des réfugiés de la région et 12 % des réfugiés dans le monde, sont particulièrement reconnus pour leur approche positive en faveur de l’éducation des enfants et des jeunes qui sont déplacés de force. Ils partagent l’ambition de pays comme la Turquie, le Liban et la Jordanie de réunir les réfugiés et les nationaux dans les systèmes éducatifs.
Le Rapport identifie également les pays dans lesquels des efforts plus importants sont nécessaires afin d’intégrer les enfants réfugiés dans les systèmes éducatifs nationaux, comme la République-Unie de Tanzanie. Il est nécessaire que les pays de la CAE (Communauté de l’Afrique de l’Est) partagent des enseignements pour faire en sorte que les réfugiés ne soient pas privés de leur droit à l’éducation.
À leur arrivée dans les pays d’accueil, les réfugiés ont souvent un faible niveau d’instruction et des ressources limitées. Au Tchad, parmi les réfugiés âgés de 6 à 14 ans originaires de la République centrafricaine, du Nigéria et du Soudan, 30 % sont analphabètes. Les réfugiés du Soudan du Sud en Ouganda s’installent dans la sous-région pauvre du Nil occidental, où le taux de fréquentation net du secondaire était de 9 % en 2016, soit moins de la moitié du taux national.
Les déplacements ont un impact important sur la qualité de l’éducation. Dans les camps de réfugiés au Kenya, les écoles doivent respecter les normes et directives minimales du ministère de l’Éducation, mais le ratio élèves / enseignant à Dadaab est en moyenne de 120:1 au préscolaire et de 56:1 au primaire. En moyenne, six élèves partagent un même bureau et quatre élèves partagent un même manuel en anglais, en mathématiques, en sciences et en sciences sociales.
Beaucoup d’enseignants en situation de déplacement manquent de formation formelle. Dans le camp de réfugiés de Dadaab au Kenya, seulement 8 % des enseignants du primaire étaient des enseignants nationaux certifiés et 6 enseignants réfugiés sur 10 n’étaient pas formés. Alors que le Tchad propose des parcours professionnels aux enseignants réfugiés dans ses écoles publiques, les qualifications de ces enseignants restent souvent méconnues, comme chez les Sud-Soudanais en Ouganda. La formation est également cruciale pour aider les enseignants à gérer des classes multilingues. En Ouganda, le contenu pédagogique est traduit en classe, ce qui ralentit le processus d’enseignement.
Les pays doivent améliorer la formation des réfugiés en matière de langue ; sans cette formation, les élèves peuvent être placés dans des niveaux inférieurs, ce qui accentue la pression sur les enseignants et crée un surpeuplement dans les classes, comme c’est le cas pour les réfugiés burundais au Rwanda. Les différences linguistiques rendent également les relations sociales plus difficiles et peuvent conduire à la discrimination, entraînant l’abandon scolaire et le rattachement d’enfants à des gangs, ce qui est constaté chez les adolescents réfugiés congolais et somaliens en Ouganda.
Des enseignants supplémentaires sont requis, vu les flux de réfugiés. En Ouganda, 7 000 enseignants supplémentaires sont nécessaires au primaire pour l’éducation des réfugiés ; le coût des salaires des enseignants au primaire dans les zones d’installation de réfugiés est estimé à 15 millions de dollars américains pour les trois prochaines années.
« Les grands mouvements de population ont des conséquences énormes sur les systèmes éducatifs », a déclaré Manos Antoninis, directeur du Rapport GEM. « De nombreux pays d’Afrique subsaharienne sont des chefs de file dans le domaine. D’autres pays ont toutefois encore besoin de l’aide internationale pour faire face à ces défis. Des initiatives régionales en vue de favoriser le partage d’exemples positifs sont également nécessaires pour aider les pays qui ont du retard à rattraper en la matière. »
À l’échelle mondiale, seulement un tiers du déficit de financement pour l’éducation des réfugiés a été comblé. Au niveau national, seuls 4 % de l’appel humanitaire nécessaire en faveur de l’éducation sont actuellement financés au Burundi, 3 % au Tchad, 6 % au Cameroun et 10 % en République centrafricaine et en Éthiopie. Le Rapport souligne que l’aide humanitaire ne suffira jamais à combler l’écart et cite l’Ouganda comme un exemple à suivre ; ce pays a rassemblé divers partenaires humanitaires et de développement pour financer son plan d’éducation, qui porte notamment sur l’éducation des réfugiés.
Les plans d’aide humanitaire et d’aide aux réfugiés ne reflètent pas avec précision certaines priorités fondamentales en matière d’éducation. Bien qu’une personne déplacée sur six ait moins de cinq ans, les programmes au Burkina Faso, au Sénégal, en Somalie et en Éthiopie ne font pas mention de l’éducation de la petite enfance.
Recommandations:
- Protéger le droit à l’éducation des migrants et des personnes déplacées
- Inclure les migrants et les personnes déplacées dans le système éducatif national
- Comprendre les besoins en éducation des migrants et des personnes déplacées et axer la planification sur ces besoins
- Représenter avec précision les antécédents de migration et de déplacement des migrants et des personnes déplacées afin de combattre les préjugés
- Préparer les enseignants qui interviennent auprès de migrants et de réfugiés à faire face à la diversité et aux difficultés
- Mettre à contribution le potentiel des migrants et des personnes déplacées grâce à la reconnaissance des compétences et des qualifications
- Répondre aux besoins des migrants et des personnes déplacées en matière d’aide humanitaire et de développement.
Visitez la page de la campagne #EducationOnTheMove pour voir en temps réel les histoires de migrants et de réfugiés. Cette campagne rend compte des défis et des succès de ces derniers en matière d’accès à une éducation inclusive.
Consultez le dossier de presse électronique du Rapport ; il contient le Rapport et du matériel multimédia.
Le Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2019 étudie l’impact des migrations et des déplacements de populations (qu’il s’agisse de mouvements de population volontaires ou forcés, à l’intérieur ou au-delà des frontières) sur l’emploi et l’éducation. Il passe également en revue les progrès réalisés en matière d’éducation dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030.
Compte tenu de la diversité croissante, le Rapport analyse comment l’éducation contribue à la fois à construire des sociétés inclusives, à aider les gens à dépasser la tolérance, et à apprendre à ces derniers à mieux vivre ensemble. L’éducation contribue également à bâtir des ponts ; un accès inégal à l’éducation élève quant à lui des murs entre les migrants et les réfugiés par rapport à leurs communautés d’accueil.
Deux nouveaux Pactes mondiaux sur les migrants et les réfugiés reconnaissent le rôle de l’éducation et fixent des objectifs conformes à l’engagement mondial pris de ne laisser personne pour compte. Dans cette optique, ce Rapport constitue une boîte à outils incontournable pour ces deux pactes. Il couvre les questions politiques concernant les migrants saisonniers, la fusion des écoles rurales, les programmes interculturels, l’inclusion des réfugiés dans les systèmes éducatifs nationaux et l’élimination de la ségrégation, la reconnaissance des qualifications, le financement des écoles, l’aide à l’éducation humanitaire et la formation des enseignants pour l’enseignement interculturel et en contexte d’urgence prolongée.
Le Rapport appelle les pays à considérer l’éducation comme un outil de gestion de la migration et des déplacements et comme une opportunité pour aider les migrants et les réfugiés.
EXEMPLES DE PAYS :
L’Ouganda, qui compte le plus grand nombre de réfugiés dans la région, est considéré comme un modèle en matière de bonnes pratiques ; le pays est parvenu à réunir des partenaires du développement et de l’aide humanitaire autour d’une même table en vue de la réalisation de son plan d’éducation en 2018. Ce plan vise à rejoindre 675 000 étudiants réfugiés et de la société d’accueil de 12 districts par année. Alors que près de la moitié des 26 plans d’action en faveur des réfugiés et de l’aide humanitaire dans le monde ne font aucune mention des besoins en éducation de la petite enfance, l’Ouganda a augmenté le nombre d’assistants et de centres agréés.
Le Rapport GEM 2019 félicite le Tchad d’avoir été le premier pays à inclure les réfugiés dans un plan d’éducation temporaire, tout en mettant à jour son plan d’éducation principal pour l’inclure dans le système éducatif national. Ce pays a effectué une évaluation approfondie dans 12 camps pour alimenter son plan d’éducation ; cela a permis d’accéder à un financement et de convertir 108 écoles situées dans 19 camps et sites de réfugiés en des écoles publiques ordinaires en 2018. Le Tchad veille à ce que les écoles de réfugiés suivent un programme d’enseignement tchadien ; il s’assure également que davantage d’enseignants tchadiens soient affectés dans les camps de réfugiés pour enseigner le français, l’éducation civique et la géographie, afin d’aider les élèves à intégrer le système national.
Le Rapport souligne l’approche exemplaire adoptée par le Tchad pour collecter des données sur l’éducation des réfugiés, collecter ces informations dans chaque camp et couvrir les programmes d’enseignement et les programmes d’alphabétisation non formels. Alors que la plupart des pays du monde ne recrutent pas d’enseignants réfugiés, le Tchad met en place des parcours professionnels pour les enseignants réfugiés, ce qui améliore leurs qualifications afin qu’ils aient la possibilité de travailler dans les écoles publiques tchadiennes.
Au Kenya, les écoles des deux plus grands camps de réfugiés sont enregistrées auprès du ministère de l’Éducation, même si l’éloignement de ces écoles fait en sorte qu’il y a peu ou pas d’élèves sur place.
L’Éthiopie gère des écoles de réfugiés parallèles, qui suivent le programme national à partir de la 5e année, et les réfugiés légaux peuvent accéder aux écoles nationales et accueillir les enfants dans les écoles de réfugiés. Trois enfants réfugiés âgés de 3 à 6 ans sur cinq sont pris en charge dans 80 centres d’accueil et d’éducation de la petite enfance dans des camps de réfugiés et dans 150 jardins d’enfants privés et publics à Addis-Abeba.
Le Rwanda s’est également engagé en 2016 à inclure 18 000 enfants réfugiés dans ses écoles primaires et 35 000 adolescents dans ses écoles secondaires, éliminant ainsi la nécessité d’une offre parallèle dans les camps ; le taux d’inscription des réfugiés est passé de 54 % à 80 % au primaire et de 34 % à 73 % au secondaire en un an seulement.