Ces dernières années, le déficit budgétaire du Togo ne cesse de se creuser
Pour financer ce déficit, l’Etat togolais a recours à l’emprunt bancaire. La preuve en est que les concours des banques Togolaises à l’Etat Togolais ne cessent d’augmenter. Ils sont passés de 237,8 milliards de FCFA à fin décembre 2015 à 283,9 milliards de FCFA à fin septembre 2016. Le financement du déficit budgétaire par les banques contribue à accroitre leur surexposition aux risques souverains et aux créances douteuses. Alors comment juguler un tel risque?
Avant de proposer le remède, il faudrait bien identifier la racine du mal, à savoir l’envolée du déficit budgétaire, lequel est le fruit d’une politique budgétaire expansionniste (dégradation du solde public par une hausse des dépenses et/ou une baisse des recettes). En effet, il y a eu une augmentation significative des dépenses publiques au cours des dernières années. A titre d’illustration : les dépenses totales et prêts nets sont passés de 18,2% du PIB en 2007 à 30,2% du PIB en 2016. Sur les trois dernières années, le déficit budgétaire s’est creusé pour aggraver la dette qui est passée de 48,6% du PIB en 2011 à 80,8% du PIB en en 2016, selon le FMI. Une dette publique qui est composé à 56,4% de dette intérieure et à 43,6% de dette extérieure en 2015. Cette part importante de la dette intérieure est due à l’émission des bons et obligations du Trésor. Autrement dit, l’épargne intérieure est « détournée » pour financer le déficit public au détriment des besoins des ménages et des entreprises. L’Etat togolais semble avoir conclu un accord tacite avec les banques togolaises dans la mesure où il offre donc de l’argent facile aux banques (facilités de refinancement), et en échange les banques achètent des bons et obligations étatiques, finançant ainsi le déficit public.
Le financement des déficits publics essentiellement par l’emprunt bancaire est malsain dans la mesure où les banques censées financer la consommation des ménages et l’investissement des entreprises, se trouvent en train de financer le déficit budgétaire. D’où l’effet d’éviction de l’investissement privé, indispensable pour la croissance et l’emploi. L’intrusion de l’Etat sur le marché de crédit, raréfie l’offre de crédit disponible par rapport à la demande qui devient excédentaire, ce qui explique la hausse des taux d’intérêt. A titre d’illustration, le taux débiteur au Togo qui était de 7,73% fin 2016 est supérieur au taux moyen de l’UEMOA qui est de 6,93%. Bref, le financement des déficits par l’emprunt bancaire crée un cercle vicieux car l’effet d’éviction engendre une chute des investissements qui à leur tour entrainent une faible croissance créant le déficit public et in fine à nouveau nourrit l’endettement. Par ailleurs, le financement du déficit par emprunt est un fardeau pour les générations futures car les dettes d’aujourd’hui sont les impôts de demain. Ceci va hypothéquer la croissance économique et le niveau de vie des générations futures, surtout dans un pays réputé être le troisième ayant la pression fiscale la plus élevée. Alors que faire?
La responsabilité de l’Etat est de rompre avec le laxisme budgétaire. Cela implique qu’il se recentre sur ses fonctions régaliennes pour rationaliser ses dépenses. Il s’agit de revoir la division du travail entre, d’une part, l’Etat et les structures locales en appliquant le principe de subsidiarité impliquant la délégation de toutes les responsabilités administratives pouvant être accomplies par l’échelon local ; et d’autre part, entre secteur public et secteur privé en renonçant aux activités qui pourraient être mieux assurées par le marché. Avec moins de tâches, l’Etat dépensera moins, donc taxera moins. Aussi, le retrait de l’Etat des activités du système bancaire est souhaitable ! Il doit céder ses actifs pour éviter que ces banques publiques soient soumises aux caprices du gouvernement qui leur exige une contribution pour le financement du budget de l’Etat. De plus, l’Etat togolais doit orienter le financement des infrastructures vers le partenariat public privé qui demeure le financement alternatif le plus efficace dans le domaine des infrastructures.
Parallèlement à la rationalisation des dépenses, l’Etat togolais devrait optimiser également les recettes fiscales en offrant un environnement d’investissement propice pour à la fois attirer des investisseurs étrangers, mais aussi aider le secteur informel à se restructurer pour une économie plus compétitive et productive, ce qui se traduira in fine par plus de recettes fiscales pour le Trésor public.
Concernant le volet bancaire, il est d’abord impératif de faire en sorte que le laxisme budgétaire ne soit pas couvert par son pendant le laxisme monétaire. En d’autres termes, il est important de réformer la BCEAO dans le sens de plus d’indépendance par rapport aux pesanteurs de la sphère politique que représente l’ensemble des gouvernements des États de l’Union, et auxquels est associé le gouvernement français. Ceci passe par l’instauration de nouvelles règles du jeu, avec force d’application, favorisant la rigueur budgétaire et limitant le financement du déficit budgétaire par les banques. La constitutionnalisation de l’indépendance des banques centrales dans les pays membres sera également une initiative non négligeable pour consolider la nouvelle culture de séparation du politique et du monétaire.
Par ailleurs, le comité de politique monétaire de la BCEAO doit porter quelques réformes afin d’inciter les banques à financer en priorité les ménages et les entreprises au lieu de l’Etat. Il s’agit de rendre opérationnel les bureaux d’information sur le crédit pour permettre aux banques de collecter des informations sur la solvabilité des clients. Il est aussi indispensable de réformer le cadre juridique pour une meilleure protection des créanciers afin de réduire le risque de défaut et inciter les banques à prêter plus aux ménages et entreprises. Avec la baisse du risque financier et juridique, les banques non seulement seront plus enclines à prêter, mais le loyer de l’argent sera moins cher. Et si l’Etat togolais s’engage à garantir une ouverture plus grande du secteur bancaire à tous les investisseurs, il y aura plus de concurrence, ce qui ne pourrait qu’être qu’un grand pas vers la démocratisation du financement pour l’ensemble des Togolais.
Somme toute, sans une réforme globale allant de l’Etat jusqu’au secteur bancaire en passant par la BCEAO, le gouvernement togolais risque de courir derrière les prêts et les dons pour équilibrer une économie mal en point. Sans rompre avec le laxisme budgétaire et monétaire, le gouvernement togolais est en train d’hypothéquer la souveraineté du pays. Si les réformes sont inévitables, autant les faire avant de se retrouver au pied du mur !
Dr Kramo Germain, analyste économiste.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique