Le ministre de l’Agriculture et du Développement rural (MINADER), Henri Eyébé Ayissi, a procédé le 10 mars 2017 au lancement officiel de la campagne agricole 2017 au Cameroun
L’objectif du gouvernement est de booster la production agricole. Or, la place accordée aux intrants (engrais, plants, semences améliorées, etc.) est négligeable. En agronomie, la semence est l’intrant le plus important, car d’elle dépend la productivité des exploitations et la compétitivité du secteur.
Comment expliquer le déficit des semences au Cameroun ?
Déjà en 2013, le gouvernement prévoyait dans son plan de relance du secteur cacao d’atteindre 600 000 tonnes à l’horizon 2020 en décalage avec les réalités du terrain. En effet, partir de 200 000 tonnes en 2013 à 600 000 tonnes en 2020 supposait que l’on produise 400 000 tonnes en 6 ans.
Cela supposait la culture de 270 000 hectares (un hectare produit 1,5 tonne) et la disposition de 337,5 millions de plants (un hectare nécessite 1250 plants). Or en 2017, ces plants n’existent toujours pas compte tenu de la faible capacité productive des multiplicateurs que sont l’Institut public IRAD et la société d’Etat SODECAO (capacité de production de seulement 10 millions de plants par an).
En 2017, au lieu de libéraliser la multiplication des semences, le ministre continue de centraliser et/ou de politiser l’activité en faisant des promesses électoralistes de distribution aux producteurs de 5,4 millions de boutures de manioc, 3 millions de plants de bananier-plantain, 1000 tonnes de semences de maïs, 725 000 tonnes de semences de riz, 500 000 tonnes de semences d’ignames.
Or, la demande en semences est grandissante avec une offre qui ne suit pas. Selon l’Association Citoyenne de Défense des Intérêts Collectifs (ACDIC) qui vient de publier une enquête à ce sujet, il faudra mettre environ 132 millions de boutures à la disposition des producteurs pour couvrir les besoins en boutures de manioc dans la seule région du Centre (une région sur dix). Aussi, cette région à elle-seule a besoin de 1 400 tonnes de semences de maïs, de 1 357 tonnes de semences d’arachide et de 25 895 793 de plants de bananier-plantain en 2017.
Au regard de ces besoins réels en matériel végétal, on constate que l’offre centralisée du gouvernement est insolite et que la nationalisation de sa multiplication est inefficace comme l’avait déjà été celle de l’usine à tracteurs d’Ebolowa morte dans l’œuf.
Pis, la qualité des semences et autre matériel végétal distribués pose problème. Les producteurs se plaignent entre autres du taux de germination très faible à cause de l’insuffisance de la recherche sur la date de péremption et l’itinéraire technique de certaines espèces et cultures.
Par exemple, il n’existe pas de structures performantes de multiplication et de distribution de semences d’arachide au Cameroun. Au niveau de l’Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD), aucune étude n’est attestée sur des cultures aussi populaires comme celles de l’arachide ou du macabo/taro, ce qui oblige les producteurs à prélever du semis dans leurs récoltes non-améliorées (sous-productivité).
De plus, certaines variétés mises en place ne sont pas toujours vulgarisées plusieurs années après et certains généticiens désertent les instituts de recherches camerounais jugés non-attractifs. Par exemple, les 5 variétés de semences améliorées de manioc mises au point en 2012 par l’Institut International de l’Agriculture Tropicale (IITA) peine à être vulgarisées. En 2017, la plupart des semences de manioc utilisées sont encore traditionnelles (non-améliorées).
Plus significatif, l’absence de vulgarisation suppose aussi l’absence de libre compétition. Par exemple, le prix de la semence améliorée de maïs oscille entre 600 et 700 FCFA le kilogramme pour le CMS et tourne autour de 2000 FCFA pour les variétés hybrides (PANAR). Or, il faut 20 à 25 kg de semences par hectare, ce qui n’est pas à la portée du petit producteur.
La cartographie du système semencier national fait apparaitre une multitude d’acteurs parmi lesquels : les instituts de recherche, les projets/programmes agricoles (ministères), les multiplicateurs de semences (fonctionnaires véreux), les importateurs et revendeurs de semences, les exploitants agricoles, etc.
Malgré cette forte mobilisation humaine, financière et matérielle, les déficits en semences sont toujours importants. A l’analyse, les goulots d’étranglement potentiels ou réels sont au niveau des financements, du laxisme et du chevauchement entre certains acteurs.
La question des financements se pose à deux niveaux : d’une part l’insuffisance des financements pour booster la recherche et d’autre part, la dilapidation des financements supposés appuyer l’activité semencière.
Le MINADER ne joue pas toujours pleinement son rôle de facilitateur de l’activité semencière. Il se fait toujours maître d’ouvrage et maître d’œuvre. Le suivi n’est pas rigoureux et les brebis galeuses pullulent. Parfois, ce sont les instituts de recherche ayant constaté l’absence de suivi sur le terrain qui se chargent eux-mêmes d’accompagner les producteurs.
En effet, l’on distribue les semences améliorées aux paysans sans leur donner l’itinéraire technique un peu comme si l’on donnait un médicament au malade sans posologie. Pis, des chevauchements apparaissent dans les différents maillons du système. La cupidité dominant, certains agents véreux de l’Etat se substituent aux multiplicateurs en vue de bénéficier des appuis à la production. Par conséquent, la semence est un business que se disputent les instituts de recherches, le MINADER à travers ses projets/programmes et quelques fois le ministère de la recherche scientifique (MINRESI). Dans cet imbroglio, il devient difficile d’évaluer l’efficacité de l’action de chaque acteur à cause des actes de corruption qui entravent les initiatives privées.
Il convient simplement de libéraliser et de débureaucratiser le réseau des multiplicateurs de façon à produire le matériel végétal bord site d’exploitation. Il faudrait surtout renforcer les capacités de ces multiplicateurs relocalisés dans les bassins de production et se rassurer que la multiplication des semences respecte le calendrier agricole des différentes localités du pays où la distribution, même insolite, se fait actuellement à contre-saison.
Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA avec Libre Afrique