On a découvert «Timbuktu» (« Le chagrin des oiseaux»), le cinquième long métrage du réalisateur mauritanien, Abderrahmane Sissako, qui avait signé auparavant «Bamako», en séance spéciale en 2006, et fut l’un des membres du jury du Festival l’année suivante.
Le scénario de ce film à la fois tragique, poétique et poignant, est inspiré de faits réels. Tombouctou, au Mali, surnommée «la perle du désert» a été occupé pendant près d’un an en 2012 par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et Ansar Dine (Défenseurs de l’Islam), qui ont laissé de profondes cicatrices — amputations, coups de fouet aux couples «illégitimes», aux fumeurs, brimades et humiliations — avant d’être délogés par les forces françaises début 2013 avec l »opération Serval. Sissako situe l’action de son film non loin de Tombouctou, tombé sous la coupe des jihadistes.
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Des jihadistes aux règles absurdes
Kidane, sa femme Satima et leurs deux petits enfants Toya et Issan, vivent paisiblement sous une tente, nichés dans les dunes. Mais un événement tragique va les forcer à subir l’islam intransigeant de ces étrangers sans pitié. Leur destin bascule quand un pêcheur voisin tue une des vaches de la famille. Kidane, en colère, commet l’irréparable et tombe entre les mains des jihadistes.
Le réalisateur filme parallèlement les rues couleur ocre de Tombouctou, baignées de la lumière du désert, où des jihadistes armés d’AK-47 et parlant l’arabe font régner la terreur. Ils interdisent de fumer des cigarettes, d’écouter de la musique, de jouer au football, de porter des gants, des chaussettes. Le voile est obligatoires pour les femmes et il y a des mariages forcés.
Le choc est rude pour les habitants, de bons musulmans vivant jusque là en paix. D’autant que les nouvelles règles édictées par ces hommes parlant l’arabe frôlent souvent l’absurde. «Comment veux-tu que j’arrose mes poissons si je porte des gants ? », s’exaspère une commerçante pas impressionnée. D’autres jidahistes, qui parlent entre eux de Zidane et Messi avec passion, condamnent quelques heures plus tard un jeune homme à 20 coups de fouet pour avoir joué au football. Pour les offenses jugées plus graves, c’est la mort.
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Un scénario inspiré de faits rééls
Un fait divers survenu au Mali a poussé Sissako à écrire «Timbuktu», tourné dans la ville-oasis mauritanienne de Oualata, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, et sécurisée en cas d’attaque terroriste. Lors de sa conférence de presse, entouré de tous ses acteurs et actrices, le réalisateur a expliqué que «l’élément déclencheur a été la lapidation d’un couple non marié, père de deux enfants, dans le village de Aguelhok, au nord du Mali». Et il a ajouté : « On n’en a pas parlé, alors que quand un nouveau téléphone sort, la presse le filme. On devient indifférent à l’horreur si on ne fait pas attention».
Autre temps fort de cette conférence de presse : Abderrahmane Sissako a dû s’interrompre un instant, tête entre les mains, voix cassée par l’émotion. «Je pleure à la place de ceux qui ont vécu cette réelle souffrance», s’est-il justifié. «Le vrai courage, c’est ceux qui ont vécu un combat silencieux. Tombouctou n’a pas été libéré par Serval. La vraie libération, c’est ceux qui chantaient au quotidien dans leur tête une musique qu’on leur avait interdite, ceux qui jouaient au foot sans ballon.»
La veille, «Timbuktu»,produit par Sylvie Pialat, la veuve du réalisateur de «A nos amours» et de «Sous le soleil de Satan» ( «L’inconnu du lac» d’Alain Guiraudie, c’était elle l’an dernier) avait été applaudi chaleureusement par les journalistes. Pour eux, ce film coup de poing sur l’extrémisme religieux qui se développe en Afrique avait de bonnes chances de figurer au palmarés de ce 67e Festival de Cannes. Et si l’Afrique décrochait sa première Palme d’or… Ce jeudi, lors de sa projection à 23 h 30, on pouvait s’attendre à ce que les festivaliers applaudissent à leur tour ce formidable «Timbuktu».