Trait d’union entre « l’Afrique musulmane » et » l’Afrique chrétienne et animiste », la RCA souffre depuis son accession à l’indépendance de plusieurs crises politico-militaires.
Depuis 2013 et l’arrivée au pouvoir de la coalition Seleka menée par Michel Djotodia, les affrontements entre différentes parties ont rapproché le pays d’un phénomène qu’on pourrait qualifier de génocide. Ces massacres qui ont fait plus de 3000 morts sont souvent perçus comme des affrontements entre musulmans et chrétiens, donc une crise d’ordre confessionnel. Qu’en est-il réellement ?
Des puissances régionales et occidentales jouant au pompier pyromane
Cinq, c’est le nombre de coups d’Etat francs qui ont installé au pouvoir cinq présidents sur neuf en Centrafrique depuis 1960. Ces alternances violentes sont le résultat de plusieurs facteurs internes et externes qui ont plongé ce peuple dans le chaos depuis des décennies. Le premier coup d’Etat qui a renversé David Dacko en 1965 a été signé par Bokassa avec l’aide de la France à travers l’opération « Barracuda » de l’armée française pilotée depuis la capitale tchadienne. Face à Dacko qui se tourne vers la Chine, nouvelle économie montante de l’époque, il s’agit pour la France, d’avoir un homme qui puisse garantir sa mainmise sur les richesses naturelles, notamment l’uranium pour l’approvisionnement des centrales nucléaires. L’autre cas, le plus récent d’ailleurs est celui de Bozizé qui, aidé par le Tchad et la France, à sa prise de pouvoir s’est détourné peu à peu du régime de Deby mais aussi de la France et les Etats-Unis pour pactiser avec l’Afrique du Sud et l’Ouganda, qui visent l’or et le diamant centrafricains. Connaissant le Tchad et la France, Bozizé cherche d’autres alliés. Résultat, il est renversé par la Seleka, soutenue en hommes et matériels par le Tchad et la France.
Il apparaît à travers ces exemples que l’absence d’alternance pacifique a instauré une course au pouvoir sanglante qui a distillé les germes de la violence politique. Les puissances régionales et étrangères, cherchant à faire avancer leurs pions, se sont souvent ingérées d’abord en attisant le feu, et ensuite l’éteindre pour se faire passer pour des sauveurs. Cette stratégie leur a permis d’avoir un accès privilégié aux ressources et de s’accaparer les contrats juteux à travers des accords de coopération douteux.
L’exclusion et l’absence d’état de droit ont fait le lit de la violence
Les différents régimes qui se sont succédés à Bangui ont chacun contribué à la genèse de ces crises de violence que vit le pays. C’est le cas de Patassé qui à sa prise de pouvoir par voix démocratique en 1993 a entamé une politique tribaliste en s’entourant des proches de son parti et de son groupe ethnique (les Kaba). Les nominations à des postes de responsabilité se font dans cette sphère privilégiée autour du parti au pouvoir. Les autres partis et leaders politiques sont systématiquement étouffés ou mis en marge de la gestion du pays.
Le Nord Centrafrique abrite la majorité des musulmans du pays qui sont des pasteurs nomades ou semi-nomades originaires du Tchad et du soudan. Les régions de Haute Kotto et le Bamingui Bangoran où vit la majorité de ces nomades musulmans sont abandonnées entre les mains des groupes armés comme la LRA qui organisent des massacres et exploitent illégalement les ressources minières. Selon le Document de Stratégie de la Réduction de la Pauvreté 2011-2015, ces régions, sans structures de base, vivent sous le poids de la pauvreté avec un taux de plus de 84%.
Après Patassé, Bozizé surfe sur la même vague tribaliste pour exclure de sa politique le nord musulman. Les pasteurs musulmans sont désignés comme des étrangers venus détruire les champs et les zones de chasse. Tout le monde s’attendait à ce qu’il y’ait des tracés de couloirs de pâturages pour éviter les affrontements récurrents entre les communautés mais le régime de Bozizé n’a rien fait. L’absence de définition et de protection des droits de propriété de la part de l’Etat et celle d’institutions capables de régler la question des terres ont créé les conditions favorables à l’escalade des violences communautaires.
Face aux cultivateurs et à l’absence de l’état de droit, la minorité musulmane se voit obligée de trouver des moyens de survie. Naissent alors plusieurs mouvements politico-militaires comme le CPJP, UFDR… qui se réunissent en coalition, la Seleka, composée majoritairement des nomades musulmans qui revendiquent de meilleures conditions de vie et à profiter davantage de la redistribution des revenus par l’Etat. Face à une Seleka aidée par des mercenaires tchadiens et soudanais, Bozizé se sent menacé. Il essaie de fédérer le peuple autour de lui en désignant la Seleka comme un mouvement islamiste. C’est l’entrée de la dimension religieuse dans la guerre.
La religion, un prétexte pour se venger de l’autre
Bozizé perd ses alliés sud-africains et ougandais suite aux accords politiques de 2013, il est chassé du pouvoir. La Seleka avec à sa tête Djotodia a pris le pouvoir dans un pays où il n’y a pas l’ordre public, ni ressources nécessaires pour relancer la machine économique. Cherchant à récupérer les armes qui se retrouvent au sein de la population à travers les hommes fidèles à Bozizé, les ex-rebelles, désormais au pouvoir en profitent pour piller, massacrer et commettre des viols. Face à ces hommes qui prennent tout le pays comme butin de guerre, le reste de la population à dominance chrétienne et animiste généralement anciens hommes du régime Bozizé, crée le mouvement d’autodéfense, Antibalaka. Les affrontements et les massacres parfois dans les lieux de culte font revenir dans l’esprit des antibalaka, l’avertissement de Bozizé : la Seleka cherche à persécuter les chrétiens et à instaurer un régime islamique. Dès lors, la religion est devenu l’étendard des conflits politiques et économiques entre différentes franges de la population. Antibalaka ou Seleka, Christianisme ou Islam, la religion n’est qu’un instrument utilisé pour fédérer les troupes des deux camps.
Auparavant en Centrafrique, musulmans et chrétiens vivaient en parfaite harmonie depuis des décennies. La religion, souvent pointée du doigt n’est pas un élément déclencheur de la guerre. Elle n’est qu’un amplificateur des tensions naissant du tribalisme ayant conduit à l’exclusion politique et économique, l’absence de volonté de canaliser les richesses vers toutes les couches de la population, l’absence de l’autorité de l’Etat et surtout l’absence d’un Etat de droit capable de régler les conflits entre éleveurs musulmans et les chrétiens cultivateurs. Les puissances occidentales et régionales ont simplement soufflé sur ces braises pour nourrir le feu et profiter ainsi de l’immense richesse du pays.
OREDJE Narcisse, blogueur tchadien.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.