Alors que la 22e Conférence des parties sur le climat (COP 22) vient de s’achever à Marrakech, les initiatives pour sauver la planète, elles, continuent de fuser sur le continent.
En Côte d’Ivoire par exemple, on parle de bio charbon, une alternative à la destruction de la forêt
A 150 kilomètres au nord d’Abidjan, Affery. Une commune à mi-chemin entre ville et village. Ici, depuis toujours, l’on a recours au bois comme source d’énergie, pour la cuisine notamment. Un tour dans la ville suffit à convaincre le plus sceptique. Devant chaque maison, sont superposés sur plusieurs mètres des troncs d’arbre séchés qui serviront de bois de chauffe.
La seule source d’approvisionnement : la forêt, bien présente dans la région.
La conséquence directe de cette sollicitation quasi-constante de la forêt est son recul. Et il s’agit là d’un phénomène qui concerne le pays tout entier.
En effet, de 16 millions d’hectares à l’indépendance, le couvert forestier ivoirien ne tient plus aujourd’hui qu’à 2 millions d’hectares.
Pour tenter à son niveau d’inverser la tendance, une ONG verte, l’APFNP, l’Association des propriétaires de forêts naturelles et plantations expérimente depuis bientôt 2 ans quelque chose de particulier à Affery : un charbon issu de résidus alimentaires et agricoles, le Affery Mboby. En Attié, la langue locale, “Mboby“ signifie “charbon“.
L’objectif est d’amener les populations à adopter des comportements plus respectueux de la forêt.
Tout part d’un documentaire suivi à la télévision nationale. Naît ensuite une idée, qui se concrétisera deux ans plus tard, non sans difficultés comme nous l’explique Coné Gaoussou, le coordonnateur de l’APFNP.
« Après le documentaire, on était tous très motivés mais hélas la motivation seule ne suffit pas. Il nous fallait acquérir la méthodologie. Dans ce sens, on a fait des recherches sur internet, déjà, pour voir comment on procédait ailleurs, au Sénégal notamment, comme indiqué dans le documentaire. Une fois qu’on a su comment ça se faisait là-bas, on a essayé de l’adapter à ce que nous avons ici sur le terrain. On a donc commencé avec des peaux d’igname, de bananes et des bagasses de maïs (tiges principales du maïs, celles qui portent les grains) ramassées çà et là.
Mon adjoint et moi, on les a réduites en poudre par la force des bras, en les pilant au mortier. Il faut reconnaître qu’on ne savait pas trop ce qu’on faisait, on voulait juste pour avoir quelque chose. Et cette chose on l’a eue. Notre premier bio charbon. Pas aussi élaboré que ce que nous avons aujourd’hui, mais on en était très fiers. Il émettait beaucoup de fumée mais nous a quand même permis de cuire un kilo de riz. »
Et le coordonnateur de poursuivre : « On s’est donc mis à chercher le moyen de réduire la fumée. De fil en aiguille, on en arrive à la construction d’un four. Notre référence même dans ce projet, c’est le charbon de bois. Pour l’obtenir, il faut faire un four, alors on en a nous aussi fait un ».
Ce four, encore appelé réacteur de pyrolyse, a une forme cylindrique. Il s’agit en fait d’une barrique métallique surmontée d’un couvercle amovible et percé de trois ouvertures au bas. Le couvercle a une sorte de cheminée longue. Quant aux ouvertures au bas de la barrique, l’une d’elles est une entrée d’air et les deux autres servent à recueillir la matière une fois carbonisée.
Avant sa carbonisation, cette matière pourrait être n’importe quel résidu : de la sciure de bois, des épluchures d’igname, de manioc, de la peau de banane mais également des coques de riz (communément appelées paddy), de café, des cabosses de cacao et des bagasses de maïs.
Une fois les résidus carbonisés, ils sont mélangés à un liant dont la formule est gardée secrète par l’APFNP. Le tout est ensuite passé dans une presse puis séché. (Voir image)
Le Affery Mboby se présente actuellement sous forme de boules d’environ 5 centimètres de diamètre.
Pour son utilisation, un fourneau spécial a été conçu (avec du matériel de récupération). Il s’agit du fourneau Ndabo, du nom de la montagne qui surplombe la ville, une montagne plutôt particulière. Elle est recouverte d’arbres bien que faite de pierres.
A ce jour, cent femmes se sont vu offrir le fourneau Ndabo et le bio-charbon. Elles sont unanimes, le bio charbon d’Affery est de loin meilleur que le bois de chauffe ou le charbon de bois. Et elles ne s’arrêtent pas là, de vrais torrents d’éloges. Morceaux choisis : « Il n’a pas d’odeur », « Il ne produit presque pas de fumée », « Il n’est pas salissant », « On a presque l’impression d’utiliser du gaz. Une fois allumé, on n’a plus besoin de souffler », « Il est économique. A quantité égale, on peut cuire deux fois plus de choses qu’avec le charbon traditionnel ».
Les utilisatrices affirment que le bio-charbon garde les mêmes propriétés quel que soit le résidu dont il est issu.
Toutefois, pour les scientifiques, les résidus n’ont pas le même pouvoir calorifique, c’est-à-dire qu’ils ne dégagent pas tous la même quantité de chaleur quand ils brûlent. Les résidus de café ayant un pouvoir calorifique plus élevé que ceux de la banane, par exemple.
Quant au fourneau Ndabo, même avec le charbon ordinaire, il permettrait de faire des économies, toujours selon les ménagères qui ont pu l’essayer.
Parlant d’économies, le Affery Mboby, nous a appris Coné Gaoussou, sera vendu à 100F CFA le kilogramme. 40 Francs CFA moins cher que le charbon de bois.
En effet des études menées à Abidjan et à Affery, ont montré que 400 à 700 grammes de charbon de bois se vendent actuellement à 100F CFA.
Outre les économies, utiliser le bio-charbon d’Affery reviendrait à participer à la fois à la conservation de la forêt ivoirienne et à la création d’emplois.
Une unité de production de bio charbon mobilise en moyenne une vingtaine de personnes de la fabrication du matériel de production à l’obtention du bio-charbon.
A terme, il est prévu l’expansion de la production à tout le pays et la mise sur pied d’un réseau de commercialisation. De plus, une partie des bénéfices servira au reboisement. Pour Coné Gaoussou, une augmentation du couvert forestier ivoirien permettra de capter plus de dioxyde de carbone (composant essentiel des gaz à effet de serre) et comme il le dit « la planète ne s’en portera que mieux ».
En attendant, ne bénéficiant d’aucun financement, l’APFNP n’a que sa volonté, ses projets et des moyens de production artisanaux.