On s’inquiète souvent de relations dramatiques entre la Chine et les pays africains. Les jugements sur la Chine oscillent entre le paria et le sauveur.
Dans le cadre de l’aide publique au développement, on accuse les Chinois de renverser le pouvoir des donateurs habituels de l’Afrique, ce qui laisse au continent une plus grande liberté dans le choix de ses donateurs.
Ces affirmations sont-elles réellement fondées ? La Chine est-elle initiatrice d’une « révolution silencieuse » en Afrique ?
Réalité versus rhétorique
Les estimations sur l’aide de la Chine sont exagérées d’autant que ce pays ne rend pas public les chiffres sur ses finances officielles. Par conséquent, les estimations reposent sur les rapports des médias incluant des promesses d’aide non concrétisée. L’investissement direct étranger est souvent confondu avec les finances publiques. Une chose est certaine : l’aide chinoise à destination de l’Afrique est en croissance.
Pour savoir si l’arrivée de la Chine dans les bailleurs potentiels fragilisait la position des donateurs traditionnels, j’ai réalisé une enquête. J’ai d’abord interrogé 49 hauts fonctionnaires travaillant pour 23 agences donatrices différentes dans 15 pays africains.
Lorsqu’on leur a demandé si la Chine diminue le pouvoir de négociation de ces agences, la majorité ont répondu « non» (47%), et seulement 20% ont répondu «oui», tandis que les 33% restants n’étaient «pas sûrs». Encore plus révélatrices étaient les réponses aux questions sur l’importance que leurs agences accordaient au poids de la Chine dans plusieurs domaines différents. Les enquêtés ont déclaré ne donner que peu de considération à la Chine dans:
– leurs négociations d’aide avec le gouvernement bénéficiaire,
– la rédaction de leur stratégie de pays,
– leurs décisions concernant les futures allocations d’aide,
-leurs décisions concernant la coopération au développement dans le secteur des ressources minières ou des ressources naturelles.
Les donateurs habituels ont été également invités à évaluer l’impact de l’aide chinoise sur une échelle allant de zéro («pas d’importance») jusqu’à dix («importance majeure»). Les valeurs moyennes des évaluations pour tous les domaines tournaient autour de trois. Les bailleurs de fonds ont déclaré n’accorder qu’une importance minime à la Chine.
Je voulais alors savoir pourquoi les réponses des donateurs habituels contrastaient avec les déclarations sur la montée de la Chine et son impact sur les donateurs traditionnels. J’ai donc examiné les types de projets que la Chine finance actuellement dans trois pays africains: le Ghana, la Tanzanie et l’Ouganda.
Ce que j’ai trouvé, c’est que, dans la pratique, la Chine rivalise rarement avec les donateurs traditionnels. Le financement officiel chinois va presque exclusivement aux entreprises chinoises d’Etat.
Il est fortement concentré dans les secteurs des infrastructures, de l’agriculture et des mines. En revanche, les donateurs traditionnels financent les secteurs sociaux tels que la santé et l’éducation. L’argent est également plus susceptible de se retrouver dans les comptes bancaires des gouvernements bénéficiaires.
Ainsi, bien que plusieurs dirigeants africains aimeraient prendre leurs distances avec les donateurs traditionnels, la percée chinoise n’est pas, au moins à ce jour, une alternative directe à l’aide offerte par les donateurs traditionnels. Les responsables gouvernementaux chargés du budget national – ou les responsables des secteurs dépendants du financement traditionnel des donateurs (tels que la santé et l’éducation), ne peuvent pas se permettre d’écarter les donateurs traditionnels.
Pourtant la percée de la Chine mérite notre attention
Mes conclusions ne vont pas dans le sens de minimiser la place de la Chine en Afrique. Bien au contraire, je soutiens que dans certains domaines la Chine est en concurrence directe avec les autres donateurs et est en train de gagner du terrain. Dans les grands projets d’infrastructure, les gouvernements africains préfèrent souvent le financement chinois parce qu’il est généralement plus rapide, moins bureaucratique et moins contraignant. Le projet de barrage de Bui au Ghana, par exemple, a longtemps traîné quand il était piloté par la Banque mondiale, mais a avancé plus rapidement une fois que les Chinois l’ont repris.
La Chine investit massivement dans des pays comme le Ghana qui sont de moins en moins dépendants de l’aide des donateurs traditionnels.
L’aide étrangère en tant que part du revenu national brut du Ghana (RNB) est passée de plus de 12% en 2000 à moins de 3% en 2013.
Il peut y avoir une corrélation avec une présence chinoise accrue et une baisse du pouvoir de négociation des donateurs traditionnels. Néanmoins, les résultats sont à contraster. Il ne faut pas surestimer les enveloppes d’aide de la Chine mais il est cependant difficile de faire un lien direct entre les financements chinois croissants et une perte de vitesse des donateurs traditionnels.
Haley J. Swedlund, Professeur Assistant au Centre international d’analyse et de gestion des conflits, Université Radboud