Hushpuppy, 6 ans, vit dans le bayou avec son père. Brusquement, la nature s’emballe, la température monte, les glaciers fondent, libérant une armée d’aurochs. Avec la montée des eaux, l’irruption des aurochs et la santé de son père qui décline, Hushpuppy décide de partir à la recherche de sa mère disparue.
POUR
Depuis sa présentation à Cannes, où il a obtenu la Caméra d’or (meilleur premier long métrage), Les Bêtes du Sud sauvage est devenu un phénomène. C’est le film que Barack Obama en personne a recommandé à l’animatrice vedette de la télé américaine, Oprah Winfrey. C’est une bête à concours, et sa moisson de prix n’est pas finie. On parle d’un oscar pour son interprète principale, une débutante de 6 ans nommée Quvenzhané Wallis.
Mais si phénomène il y a, il est d’abord sous nos yeux. Voici un univers de cinéma radicalement original, porté par une envie de raconter des choses fabuleuses. Comme le titre l’indique.
Les bêtes ne sont d’abord que des poules et des poussins, un cochon, un chien. La petite ménagerie d’un capharnaüm de bidonville aux airs d’arche de Noé : voilà la tanière de la petite Hushpuppy, gamine noire qui vit avec son père au milieu de l’eau, en marge du « monde sec », dans le bayou, en Louisiane. Les bêtes sont aussi les êtres humains.
Hushpuppy partage ce qu’elle mange avec le chien, et le jour où on lui donnera un crabe pour un dîner de fête, il faudra qu’elle le dévore en le mettant en pièces à grands coups de mâchoire, férocement. Mais cette enfant solitaire sait aussi écouter battre le coeur des animaux et entendre, sous la sauvagerie et la misère, la beauté du pouls de la vie, le mystère de l’univers. Puis la tempête se lève et s’abat sur la Louisiane.
Tout ça fait bien autre chose qu’un simple scénario. Plutôt un poème ou un conte. A l’origine du film, il y a en fait une pièce de théâtre, apparemment très atypique. Le réalisateur, Benh Zeitlin, l’est aussi. Il s’empare de cet imaginaire homérique pour le mettre en images sans beaucoup de moyens mais avec un appétit d’ogre.
Tout en montrant une Amérique aussi vraie que celle de l’ouragan Katrina, il transfigure cette réalité et lui insuffle une magie inédite. Elle naît des mots, des soliloques de la petite Hushpuppy, beaux comme des prières ou des prophéties. Elle naît aussi d’une mise en scène pleine de spontanéité et de fougue, qui crée un élan, une folie, une envie de transcendance. Egalement musicien, Benh Zeitlin utilise le cinéma comme un instrument : aussi simplement qu’en grattant une guitare, il libère une énergie et la fait retentir à travers la nature déchaînée.
Les Bêtes du Sud sauvage est un hymne, une symphonie qui veut embrasser le monde. Ce verbe embrasser, il faut l’entendre aussi comme le père de Hushpuppy, s’écriant en pleine inondation : « Quand l’eau sera repartie, je roulerai un patin à la terre ! » C’est l’amour pour le bayou que célèbre le film, dans toute son étrangeté : un amour au-delà de la peine et du malheur, au-delà des apparences dévastées, un amour qui se veut force pure, émerveillement contre vents et marées. Il y a là un lien précieux avec l’enfance, dont l’interprétation de l’incroyable Quvenzhané Wallis montre toutes les nuances. Il y a là aussi beaucoup d’idéalisme. Mais c’est ça qui nous permet de vivre, nous dit Benh Zeitlin.
— Frédéric Strauss
CONTRE
Qu’elle est forte, qu’elle est courageuse, cette petite héroïne aux pieds sales ! Qu’elle est tête à claques, aussi — avec sa mimique systématique de taurillon têtu, fronçant les sourcils, cherchant à nous épater du coin de l’oeil ! Ce n’est pas sa faute, à la gamine, elle suit à la lettre les consignes du jeune cinéaste, plus malin que prodige. En voilà un qui sait parfaitement attendrir le spectateur, avec son lyrisme débridé à deux sous. Face à cette sauvageonne du bayou donc, un univers de misère, contrebalancé par une poésie hypercalorique. Le film déborde de vitalité forcée.
Bon nombre de pistes intéressantes sont abandonnées en chemin, et les bonnes idées, souvent sabotées par des effets superflus. Un film sur la survie, sur la capacité de résilience ? Un ragoût plein de coquetteries et de calcul, plutôt, qui passe du chantage à l’émotion à la parade démagogique sur l’élan de solidarité entre pauvres. Benh Zeitlin a peut-être du talent, mais il faudra qu’il s’obstine moins à se regarder filmer.
— Jacques Morice