Au Bénin, l’espace public est anarchiquement occupé par le commerce, mais aussi par la foi. Prenant ses responsabilités, l’Etat a décidé de mettre fin au désordre
Si le déguerpissement des commerces a été opéré, ça tarde au niveau des confessions religieuses, surtout les musulmans qui dénoncent une violation des libertés de culte.
Tout est parti de la dispersion brutale, par le Préfet du département du Littoral, des musulmans en pleine prière du vendredi le 20 janvier 2017.
Des fidèles étaient obligés d’occuper la rue contiguë à la mosquée centrale de Cadjèhoun qui ne disposait plus de place suffisante à l’intérieur. C’est de cette manière brutale que les musulmans ont appris qu’ils ne pouvaient plus prier sur les espaces publics. Visiblement, la décision n’avait pas été communiquée avant. L’Etat se défend en brandissant le principe de laïcité et pour cela, les autorités se réfèrent à l’article 23 de la Constitution : « (…) L’exercice du culte et l’expression des croyances s’effectuent dans le respect de la laïcité de l’État.(.…) » et à l’article 25 stipulant que « L’État reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation».
Quant aux représentants religieux, ils dénoncent une approche cavalière et contraire à la liberté constitutionnelle de culte. Comment alors, parvenir à concilier la liberté d’aller et venir, droit de tous les citoyens et la liberté de cortège et de manifestation à laquelle se réfère les musulmans et les autres confessions religieuses?
A court terme, et pour ne pas nourrir une tension sociale inutile, la meilleure solution serait de suspendre l’interdiction. Certes, l’occupation des rues à l’heure de la prière du vendredi entraverait la fluidité du trafic mais elle ne dure qu’une heure. Généralement, quelques minutes avant la prière, des barrières sont érigées de part et d’autre des rues réservant l’espace ponctuellement ; quelques personnes régulent la circulation alentour; d’autres aident les fidèles à bien garer leurs véhicules ; et ceci, jusqu’à la fin du culte.
Bien évidemment, les autorités ont le droit de demander davantage de rigueur aux musulmans pour réduire l’impact de leur activité religieuse sur la vie des populations béninoises.
Toutefois, à moyen et à long terme, il est impératif pour la communauté musulmane de sortir de cette impasse. Car il faudrait le rappeler, les musulmans ne prient pas dans la rue par plaisir, surtout en temps d’intempéries ou de canicules. Il s’agit d’un choix par défaut. C’est la raison pour laquelle, il est étonnant de voir l’approche des autorités sans réfléchir aux racines du mal.
Ce qui est en jeu ici est la très faible capacité d’accueil des lieux de prière du vendredi. La preuve en est que pour les cinq prières quotidiennes, le problème ne s’est jamais posé car l’affluence demeure faible le reste de la semaine et les petites mosquées contiennent sans débordement les fidèles. Le nœud du problème réside dans le fait que de grandes mosquées accueillant les prières des vendredis ne disposent pas d’assez de place et sont peu nombreuses. D’où la nécessité de se pencher sur le déficit structurel de disponibilité des lieux de culte.
Les premiers responsables sont bien sûr les musulmans eux-mêmes. Première religion du Bénin, l’Islam (+ 27% de musulmans, INSAE, RGPH4, 2013) regorge de beaucoup de fidèles ayant un poids économique et financier important. Autrement dit, la capacité pour certains de fournir des espaces et pour d’autres de financer la construction de grandes Mosquées. C’est aussi ça le sens du Djihad.
Et la hardiesse du gouvernement ne devrait pas les dédouaner de leur (les musulmans) fuite de responsabilité. Même les soutiens de quelques politiques ne devraient pas les conforter dans leur position.
Toutefois, il ne faudrait pas oublier de mentionner les obstacles que rencontrent les associations musulmanes, au-delà de la collecte des fonds. En effet, l’accès au foncier nécessaire pour bâtir ces lieux de culte n’est pas toujours facile, sans parler de la lenteur et de l’inertie de la bureaucratie.
L’absence d’une véritable stratégie de régulation du foncier a créé une sorte de rareté artificielle du foncier laquelle se traduit par sa cherté. Cela complique la tâche d’accès au foncier pour la construction des mosquées. Si le chef de l’Etat s’est engagé à aider la communauté musulmane à se doter de spacieuses infrastructures[1], la meilleure approche est de se pencher sur l’absence de réserve (terres/domaines) dans la ville de Cotonou. Un problème qui est partagé par tous les béninois indépendamment de leurs confessions. L’amélioration de la politique d’urbanisation qui conditionne le zonage et donc la répartition du foncier disponible entre les différents usages alternatifs, sera primordiale pour garantir la laïcité de l’espace public.
D’aucuns évoquent la possibilité pour les associations musulmanes de prospecter les pays du Golf pour lever des fonds. Si la tentation est grande, il n’en demeure pas moins qu’il existe un gros risque associé à la volonté de contrôle qu’exercent ces pays sur la nature du discours prêché lors des prières du vendredi.
Le risque de propagation de certaines doctrines extrémistes, en provenance de ces pays, est à prendre en considération. Dès lors, si le gouvernement venait à ouvrir cette fenêtre de soutien financier, il devrait en outre redoubler de vigilance afin de prévenir l’infiltration des idées extrémistes éventuelles dans les mosquées béninoises.
Pour une question de foi, il est difficile de parvenir à une parfaite adéquation entre la démographie et les infrastructures de culte. L’Etat étant garant des libertés, dont celle de culte, il lui appartient d’en garantir la sécurité.
Toutefois, pour une laïcité intelligente, il ne peut pas faire l’économie, ni de la pédagogie, ni de l’aplanissement des difficultés liées aux dysfonctionnements de ses différentes administrations. Ceci étant, c’est aux musulmans de montrer désormais plus d’implication et d’organisation afin de résorber le problème de quantité et d’exiguïté des lieux de prière.
Sams-Dine Adamou, écrivain béninois.