Nombreux sont les articles mettant en avant la digitalisation de l’Afrique. Ils insistent tous sur le fameux « leapfrog » ou saut technologique permettant aux économies Africaines de sauter une étape technologique pour passer directement au niveau le plus avancé.
En effet, les moyens de ce saut sont bien là : qualité de l’accès à internet, ventes de smartphones, adoption des réseaux sociaux, investissements massifs et prévisions de croissance agressives pour le continent.
Lors de sa visite Africaine de l’année dernière, Mark Zukerberg a décrit l’Afrique comme « là où le futur serait construit »
Tous ces faits sont des indicateurs que l’Afrique est au bord d’une révolution digitale. Mais est-ce vraiment le cas ? Quelle est la taille réelle du e-business en Afrique ? Peu de donnée est disponible et elle n’est jamais facile d’accès.
Le poids d’internet dans l’économie
L’indice iGDP montre le poids d’internet dans l’économie d’un pays. L’Afrique en général est à la traîne avec un iGDP de 1.1% comparé à 3.7% de moyenne pour les économies « développées ». Mais la situation varie fortement en fonction des pays : le Sénégal, le Kenya et le Maroc sont fortement en avance avec un iGDP supérieur à 2%. Plus impressionnant encore, le Sénégal a déjà atteint un poids d’internet dans l’économie supérieur à la France et l’Allemagne !
Les résultats du e-commerce sont encourageants mais encore loin de leur plein potentiel
Quand on regarde la taille des deux géants e-commerce du continent, il est clair que malgré une réelle croissance et un changement significatif des habitudes d’achat, le saut technologique n’a pas encore eu lieu.
Konga, le e-commerçant Nigérian a annoncé un nombre de 184,000 clients actifs au Nigéria (pour une population de 180 millions et 90 millions de personnes connectées).
Sur la même note, le groupe Jumia (présent dans 23 pays Africains) a annoncé 2.6 millions de transactions au premier semestre 2017 et 1.8 millions de clients actifs en Afrique ne touchant encore que 0.5% des 390 millions d’Africains en ligne.
Si l’on regarde le volume d’affaire (Gross Merchandise Value), Jumia a publié une croissance modérée de 16% annuelle pour atteindre €138 million pour le premier semestre 2017. Comparé à Amazon et ses $225 milliards de volume d’affaire annuel, il est clair que le chemin est encore long pour atteindre les 10% de pénétration du e-commerce dans le commerce global prévus par McKinsey pour 2025 (devant représenter $75 milliards).
Les services de mobilité confirment ces disparités
Uber a dévoilé la semaine dernière ses principaux indicateurs de performance pour l’Afrique. Ils ont annoncé un total de 1.8 millions de clients actifs pour l’Afrique sub-saharienne (ne prenant pas en compte leur plus gros marché Africain : l’Egypte).
En termes d’utilisateurs, l’Afrique du Sud est le premier marché sub-saharien avec 969,000 utilisateurs actifs suivi par le Kenya (363,000 utilisateurs) et Nigéria (267,000). Trouver le Kenya devant le Nigéria est une surprise sachant que la population du Kenya est 4 fois inférieure à celle du Nigéria et montre l’ouverture du Kenya aux possibilités offertes par les nouvelles technologies.
Aucune donnée n’est disponible pour le pays le plus avancé, l’Egypte, où Uber et Careem se battent pour la placer de leader. Le nombre des 30,000 coursiers Uber au Caire en dit long, surtout comparé aux 12,000 coursiers d’Afrique du Sud. Des sources internes décrivent même le Caire comme l’aspirant second dans l’ensemble des villes de Uber dans le monde, juste après New-York. Tout cela doit en plus être mis dans le contexte d’une part de marché de Uber légèrement sous la barre de 50%. Le Caire est donc de toutes évidence un des pilliers de la digitalisation du continent Africain.
Le paiement mobile au Kenya est l’illustration du « Leapfrog »
Le succès de M-Pesa est le parfait exemple du possible miracle Africain.
Le service M-Pesa permet aux Kényans de transférer de l’argent grâce à leur téléphone mobile. Cette innovation a initié une réelle révolution : 10 ans après son lancement, M-Pesa compte 24 millions d’utilisateurs (50% de la population du Kenya) et une valeur transactionnelle de 43 milliards d’euros représentant en 2015 44% du PIB du Kenya!
Quelle est la raison de ce succès particulier ? Beaucoup pointeront du doigt la flexibilité des régulateurs mais en réalité, M-Pesa a résolu un problème : En 2017, lors du lancement de M-Pesa, la distance moyenne à la banque la plus proche au Kenya était de 9.2km. En 2015, la distance moyenne au plus proche agent M-Pesa est de 1.4km. Plus encore, M-Pesa a apporté aux Kényans une solution de paiement et de transfert d’argent considérée par beaucoup comme plus sûre que les banques.
Au Nigéria, les choses changent aussi, mais à une échelle moindre. L’opérateur de paiements mobiles Paga compte désormais 7 millions d’utilisateurs, principalement utilisé pour transférer de l’argent et payer des factures. Plus de 2.4 milliards de dollars ont déjà été échangés à travers la plateforme.
Dire que le saut technologique Africain est en train d’avoir lieu est prématuré pour l’instant, mais il est évident que ses conditions sont maintenant réunies. L’intérêt est croissant, les investissements augmentent et plusieurs succès permettent de voir l’impact en marche de la digitalisation en Afrique. Il semblerait que pour l’Afrique, le futur commence maintenant.