Près de vingt ans après le génocide rwandais, l’ancien chef des casques bleus dans ce pays, le général Dallaire, s’est donné une nouvelle mission : mettre fin à l’utilisation des enfants-soldats.
Un documentaire vient juste de sortir pour illustrer son travail, il est intitulé Se battre comme des soldats, mourir comme des enfants. On voit le général Dallaire au Rwanda, en République démocratique du Congo (RDC) et au Soudan du Sud. Il est à la rencontre d’anciens enfants-soldats, mais aussi de commandants avec lesquels il essaie de discuter.
Neuf pilules, 13 ans de thérapie : le général Roméo Dallaire, ancien chef des casques bleus au Rwanda, ne prend pas de gants. Pour croire encore en l’être humain, pour ne pas être aigri, il avale des cachets et surtout, il s’est donné une nouvelle mission : mettre fin à l’utilisation des enfants soldats. Plus de 300 000 garçons et filles se battent dans plus de 30 pays en guerre.
Roméo Dallaire se souvient d’un regard croisé au Rwanda avec un enfant soldat : « Je pouvais voir dans ses yeux, la colère, l’horreur, la peur… et l’excitation », le doigt sur la gâchette. Près de vingt ans après le génocide rwandais, les images se bousculent toujours dans la tête du général canadien à la retraite. Il est persuadé et s’accroche à croire que « si on pouvait faire à nouveau pleurer cet enfant une fois, alors il quitterait son habit de soldat », pour redevenir un enfant.
« Se battre comme des soldats, mourir comme des enfants »
Le 7 juin, un documentaire sort dans les salles pour illustrer son travail : Se battre comme des soldats, mourir comme des enfants, du réalisateur Patrick Reed. A la première, à Montréal, Roméo Dallaire, en complet, a l’air un peu fatigué, mais il répond en français et en anglais au public. Dans sa poche gauche de veston, des pièces de monnaie qu’il va souvent manipuler nerveusement, comme pour se calmer. Il revient sur la mission de maintien de la paix des Nations unies au Rwanda durant le génocide de 1994, lui témoin impuissant qui a fait le constat que « ce n’était pas dans l’intérêt des grandes puissances » que d’intervenir au Rwanda.
Puis il attaque le sujet du jour. Pour le documentaire, il est retourné encore une fois « en enfer », au Rwanda, mais aussi en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. « La difficulté n’était pas que logistique, explique le réalisateur Patrick Reed, c’était un lieu rempli d’émotion et de psychologie pour le général Dallaire ». Le documentaire fait la part belle à Roméo Dallaire, il montre aussi des enfants soldats, des personnes qui essaient de les démobiliser, et un commandant.
« Sur le terrain, on essaie d’influencer les chefs et les familles donc on utilise toutes sortes de méthodes : radio, communications, discussions », explique le général Dallaire. Dans une scène, il se retrouve face à un commandant d’une milice et discute stratégie militaire au début, avant de lui poser des questions plus directes sur les enfants soldats. L’homme, très éduqué et au fait des lois internationales, réplique qu’il n’en a pas dans ses troupes. On voit le général Dallaire s’interroger, mais ne rien dire. Puis dans une interview plus tard, il raconte qu’il avait envie de lui crier : « Ecoute, salaud, on le sait que tu utilises des enfants-soldats. Mais il ne l’a pas hurlé, car une option, c’est d’avoir un pistolet dans ma poche et de le descendre, mais il y en aura un autre pour le remplacer. Mon option c’est de le miner et le traiter comme un minable : comment n’es-tu pas capable de convaincre des adultes pour te battre ? ».
Car les enfants, comme le résume Roméo Dallaire à l’assemblée pendue à ses lèvres, sont disponibles en nombre, faciles à recruter et à contrôler par les drogues, les abus, la peur. Puis ça ne coûte pas cher et ça ne pose pas de question. Et quand l’un d’eux est blessé ou malade, « on s’en débarrasse et on le remplace ».
À un ancien commandant, reconverti comme aide dans un camp pour réhabiliter les enfants soldats, le général canadien demande dans le documentaire pourquoi avoir besoin d’aller chercher des enfants ? Comment n’arrivait-il pas à recruter des adultes si la cause était noble ? L’homme tranche, en lui lançant un regard lourd : « Il n’y a pas de cause noble aujourd’hui. Ces groupes armés n’ont pas de raison d’être, ni de raison de recruter des petits ».
« Cet enfant pris dans un génocide est -il moins enfant que les nôtres ? »
Autre scène, dans un centre pour anciens enfants-soldats, des jeunes garçons rappent une chanson sur leur sort. Roméo Dallaire sourit. Il les voit comme des enfants et non plus des soldats. Comme pour le conflit au Rwanda, il dénonce l’inaction de la communauté internationale.
« On est prêt à laisser perpétuer des conflits sur le dos des enfants, pas sur le dos des adultes. Et ça ne nous crée pas un besoin d’intervenir. On a peur des armes nucléaires, mais on n’a pas peur que des enfants soient utilisés », rage l’ancien soldat. Puis il poursuit, conscient que ses mots peuvent porter : « Est-ce que cet enfant pris dans un génocide est moins enfant, moins humain que les nôtres ? On semble dire qu’ils ne comptent peut-être pas autant… comment peut-on dire une chose semblable ? ».
Pour changer les choses, il demande à ce que tout le monde harcèle les politiciens pour que cet enjeu entre dans leur calendrier. Puis il se raccroche à la jeunesse du monde. Selon lui, les jeunes vont de plus en plus voyager dans les pays en développement et « c’est magnifique, c’est là où est le reste de l’humanité, c’est là qu’on peut ultimement influencer, il faut aller sur le terrain ».
Dans le documentaire est évoquée la rencontre entre un casque bleu et un enfant soldat, l’adulte fait feu. Peu avant la fin du film, le réalisateur demande au général Dallaire s’il est ce casque bleu qui a tiré sur l’enfant soldat. L’ancien commandant prend une longue pause avant de laisser comprendre qu’il ne répondra pas à cette question. La fin aurait pu se trouver ici. Patrick Reed explique qu’il y a songé : « C’est un moment puissant du film, mais il ne pouvait pas en être la fin, car ce n’est pas que son histoire, c’est l’histoire de cette région, de son engagement, de lui rencontrant d’autres ».
Deux mots ne devraient jamais aller ensemble : enfant et soldat. C’est ainsi que Roméo Dallaire parle de son Initiative Enfants soldats. Mais il sait que ces deux mots vont rester accolés encore de nombreuses années. « À la fin du film, on dit que ça prend 45 ans pour résoudre ce problème. Si on résout quelque chose dans 45 ans, c’est tout à fait raisonnable. Mais les pays développés sont souvent impatients, ils ne sont pas capables de voir aussi loin et c’est pour cela que beaucoup de problèmes empirent. Le vrai engagement, c’est à long terme ».
Thierry Barbaut