Congo Business Network a organisé un événement sur l’écosystème numérique congolais le 26 juillet 2019 à Kinshasa. Cette conférence a réuni les professionnels du numérique, notamment les ingénieurs, les entrepreneurs de commerce en ligne, les incubateurs, quelques responsables des banques et des sociétés de télécommunications, les start-ups tech, ainsi que la Présidence de la République qui a été représenté par le Cabinet du Conseiller Spécial sur le Numérique. Congo Digital reçoit dans cette interview Noel K. Tshiani, fondateur de Congo Business Network et Bonny Maya, directeur général de Tinda et eMart.cd. Ces deux personnes principales ont travaillé sur ce premier événement du réseau en République démocratique du Congo.
Noel K. Tshiani, parlez-nous de votre parcours et présentez-vous à nos lecteurs s’il vous plaît.
Noel K. Tshiani : Je suis originaire de la République démocratique du Congo, et j’ai vécu aux États-Unis depuis 1996, ce qui va faire 23 ans à la fin de cette année.
Concernant mes études académiques, j’ai trois diplômes de licence en finance, en marketing et en science politique. De plus, j’ai suivi une formation des cadres sur les marchés financiers et la gestion efficace des entreprises à la Wharton School en Philadelphie. J’ai également suivi une autre formation en entrepreneuriat à la Kauffman Foundation à New York.
Je suis actuellement président de Agere Global, une société de conseil en investissement et stratégie commerciale basée à New York.
Aussi, je suis le fondateur de Congo Business Network, un réseau international des professionnels et des entrepreneurs congolais. Sa mission est de connecter les entrepreneurs de la diaspora au monde des affaires au Congo.
Basé aux États-Unis depuis des années, que pouvez-vous nous dire de l’écosystème numérique en Amérique ?
Noel K. Tshiani : L’écosystème numérique en Amérique est composé de 5 acteurs majeurs : les start-ups, les fournisseurs de services Internet, les espaces de travail en commun, les incubateurs et les politiques publiques qui encouragent les initiatives entrepreneuriales.
Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ne pourraient pas exister aujourd’hui sans un écosystème numérique qui fonctionne aux États-Unis, surtout à San Francisco et à New York, les deux villes principales au cœur de l’innovation et la tech en Amérique. La compétitivité numérique des États-Unis est le résultat de start-ups tech qui émergent dans un environnement florissant et qui sont capables de se développer en grandes entreprises dans un marché très concurrentiel (qui exige la démonstration d’une expertise pointue dans un secteur où dans une niche quelconque).
Les espaces de travail en commun ont rendu le coût de démarrage d’une start-up aujourd’hui en Amérique beaucoup plus abordable parce que les entrepreneurs n’ont pas à payer le coût de loyers élevés afin d’avoir un bureau juste pour commencer un business.
La République démocratique du Congo se trouve dans l’écosystème numérique avec plusieurs projets, connaissez-vous quelques acteurs tech qui font bouger cet espace au pays ?
Noel K. Tshiani : Il y a aujourd’hui plusieurs start-ups au Congo dans différents secteurs. On peut facilement trouver des start-ups à travers le pays (à Kinshasa, à Goma, et à Lubumbashi).MaxiCash, MEDpay, Eteyelo, Tinda et Ebutelo font partie des start-ups prometteuses.
MaxiCash s’impose comme une solution de paiement pour les transactions financières. MEDpaysimplifie les paiements des soins de santé pour les membres de la famille. Tinda s’est spécialisédans le service de livraison de produits à domicile. Eteyelo a choisi de moderniser le secteur de l’éducation sur l’étendu du pays. Ebutelo est un logiciel de gestion intégré pour différents types d’entreprises en ligne comme les hôtels, les restaurants et le commerce de détail.
Avec une connaissance des entrepreneurs congolais ainsi que leurs projets dans le numérique, quelles sont les priorités pour vous afin de permettre la croissance des start-ups congolaises ?
Noel K. Tshiani : En tant que fondateur de Congo Business Network, je travaille avec de nombreuses start-ups et je parle avec leurs fondateurs pratiquement tous les jours. Ayant vécu et travaillé aux États-Unis pendant près de 23 ans, lorsque j’analyse l’écosystème start-up au Congo aujourd’hui, je conclus qu’il est au début dans presque tous les domaines.
La priorité pour les entrepreneurs devrait se concentrer sur une formation appropriée en entrepreneuriat, la mise en place de plateformes professionnelles de base telles que les sites Internet, les brochures, la création de pages d’entreprise sur les réseaux sociaux et l’utilisation d’adresses électroniques professionnelles. Ces domaines fondamentaux constitueront une bonne base pour passer à des sujets avancés en entrepreneuriat.
J’ai également observé que la majorité d’entrepreneurs sont très faibles en stratégie commerciale, notamment en compétence marketing, surtout en marketing digital qui nécessite des techniques sophistiquées de micro-ciblage et de segmentation de la clientèle basée sur des traits spécifiques.
Le monde est devenu très globalisé quand il s’agit des activités commerciales dans le numérique. Apprendre l’anglais de base est également une nécessité pour aller loin dans le business car la majorité d’informations sur Internet aujourd’hui sont en anglais, et non en français.
Vous êtes initiateur de plusieurs évènements qui « booste » l’écosystème start-up au Congo. Comment arrivez-vous à organiser ces évènements et surtout celui qui s’est déroulé à Kinshasa le 26 juillet 2019 ?
Noel K. Tshiani : Le premier objectif de nos événements c’est de créer un environnement dans lequel les professionnels et les entrepreneurs dans le réseau peuvent se rencontrer pour discuter un sujet économique clé et, en même temps, proposer des solutions qui contribuent au développement économique du pays.
Le deuxième but de nos conférences c’est de favoriser les opportunités de réseautage pour les adhérents et d’autres participants afin que les entrepreneurs trouvent l’expertise dont l’on a besoin pour travailler sur un projet dans le monde de business. Dans le monde des affaires, les relations sont un atout le plus important qu’un entrepreneur peut avoir, que ce soit avec des investisseurs, des clients, des fournisseurs ou des collaborateurs.
Nous avons organisé de nombreux événements en ligne avec Cisco WebEx et LinkedIn Events, un système pour organiser des événements professionnels, sur de thèmes différents, allant de la solution digitale à la blockchain, et aussi sur l’importance d’appartenir à un réseau d’affairs. Un événement en personne comme celui du 26 juillet 2019 sur l’écosystème numérique a été organisé en collaboration avec plusieurs personnes à travers le monde, l’équipe de base était en Amérique, à Kinshasa et à Brazzaville.
Bonny Maya, parlez-nous de votre parcours et présentez-vous à nos lecteurs s’il vous plaît.
Bonny Maya : Je suis originaire de la République démocratique du Congo, où je vis depuis ma naissance avec ma famille.
J’ai suivi un cursus d’Ingénieur en radio transmission et en développement logiciel que j’ai débuté au pays à l’Institut Supérieur des Techniques Appliquées, et que j’ai approfondi ensuite avec des cours en ligne.
Concernant mon expérience professionnelle, j’ai occupé des postes en Monétique à la Banque Internationale pour l’Afrique au Congo ; d’Administrateur système à l’Office Congolais de Contrôle et des Consultants en développement web et marketing digital dans plusieurs entreprises et organisations en RDC.
En 2013, je me suis mis sur mon propre compte en créant ma première entreprise, une agence web à l’époque, qui développait des solutions web sur mesure. Et 3 ans plus tard, en 2016 je fondaiseMart.cd, une plateforme de vente en ligne des provisions alimentaires et qui sert des passerelles de vente pour les producteurs congolais en quête de nouveaux débouchés.
Ensuite en 2018 j’ai lancé Tinda, un service de livraison à domicile pour les vendeurs en ligne et tous les socials sellers, les vendeurs sur Facebook et WhatsApp qui n’ont pas le temps ni les moyens d’assurer les livraisons aux domiciles de leurs clients de tous les produits qu’ils vendent. Et je suis actuellement membre du réseau d’affaires Congo Business Network.
Acteur majeur de l’écosystème numérique congolais que vous êtes, quelles devraient être les priorités du gouvernement pour soutenir les entrepreneurs locaux pour développer les vraies solutions numériques ?
Bonny Maya : À ce jour nous ne pouvons pas parler de développement du pays sans développement de l’écosystème numérique.
Le développement du pays est intrinsèquement lié à celui de l’écosystème numérique. Il est donc primordial aux décideurs politiques de prendre conscience de l’apport du secteur numérique dans le développement de notre pays et de prendre des mesures adéquates.
Nous vivons dans un pays où les megabytes d’Internet est encore un luxe pour bon nombre de personnes, alors que l’accès à Internet fait partie des droits de l’homme. Avoir accès à Internet à un coût abordable comme dans d’autres pays africains relèvera notre écosystème et, de file en aiguille, notre Produit Intérieur Brut.
Cet écosystème utilise des services et des solutions exigeantes en énergie électrique permanente. Comment un Congolais vivant 2 semaines par mois sans électricité pourrait-il espérer rivaliser un jeune d’un autre pays qui ne connaît presque pas de coupure électrique ?
Les droits de douanes pour importer des ordinateurs devraient être revus à la baisse comme le font les autres pays émergents.
L’amélioration de la prise en main des outils technologiques par la formation et l’initiation à l’informatique et aux autres outils technologiques dès les niveaux les plus élémentaires de notre système d’éducation fait partie des piliers majeurs de ce développement. Les enfants tout comme les adultes congolais devraient être initiés à la manipulation des outils informatiques. Et cette stratégie devra être quantifiée, suivie et mesurée par des indicateurs de suivi de performance.
Quelques exemples de ces indicateurs seraient : le nombre d’élèves ayant accès aux outils informatiques dans les écoles ; le nombre d’ordinateurs disponibles par école ; le nombre de centres d’apprentissage à l’informatique disponible par commune ; et le nombre d’élèves ayant suivi les cours d’informatiques pratiques par année.
Avec un nombre des prospects important maîtrisant l’outil technologique, avec une énergie électrique permanente, avec un coût d’Internet au plus bas et avec des droits de douanes des outils informatiques réfléchis, les entrepreneurs locaux peuvent aisément développer des vraies solutions numériques sans rêver d’une manne financière.
Après le premier événement de Congo Business Network le 26 juillet 2019 à Kinshasa sur l’écosystème numérique, quelles étaient vos attentes et êtes-vous certains que vous avez atteint les objectifs de cette conférence au niveau local ?
Bonny Maya : Concernant le premier événement du réseau du 26 juillet 2019 à Kinshasa, il était question d’identifier les priorités pour faire émerger la tech congolaise ensemble avec les acteurs de l’écosystème qui étaient présents. Chose qui a été faite avec brio au vu de la qualité et de la diversité de l’auditoire et des échanges tenues.
Je suis sûr que l’objectif a été largement atteint car une vraie identification des priorités a été faite par tous. Et chaque acteur majeur du numérique en RDC a saisi l’occasion pour comprendre quel serait son rôle dans la construction de cet écosystème en résolvant la part des priorités qui lui incombent.
Et à la surprise générale, c’est durant cet événement du réseau que les Représentants du Conseiller Spécial sur le Numérique ont annoncé le lancement du Forum sur la validation du Plan National du Numérique prévu pour septembre 2019. Ce plan contiendrait beaucoup d’éléments émanant de nos discussions lors de l’événement.
D’après votre expérience en tant que fondateur de Tinda et eMart.cd vivant en RDC, quels sont les besoins prioritaires des entrepreneurs comme vous pour réussir dans vos activités ?
Bonny Maya : Pour un entrepreneur comme moi, vivant en RDC, les besoins prioritaires pour réussir dans mes activités sont :
- Un nombre important des prospects ayant accès à Internet ;
- Un profil fiscal et douanier adapté à ma start-up ;
- Une existence de business angels et de capital-risque dans le pays ;
- Une disponibilité des profils d’informaticiens expérimentés dans des domaines avancés (data analystes et data ingénieurs) ; et
- Une prise de conscience des décideurs politiques portant sur la valeur d’avoir des champions locaux à promouvoir et à sécuriser en vue de faire face à la guerre des données, comme le Kenya le fait pour le M-Pesa, le Nigéria pour Jumia ou Iroko.
Vous êtes membre de Congo Business Network. Quels sont les avantages majeurs d’appartenir à ce réseau international des professionnels et des entrepreneurs congolais ?
Bonny Maya :
Être membre de Congo Business Network me permet d’entrer en contact avec des dizaines d’experts congolais dans des domaines variés : propriété intellectuelle, intelligence financière, investissements, fintech et la stratégie commerciale dans les villes principales comme New York, Montréal, Hong Kong, Paris et Johannesburg.
Le réseau me permet de participer à des rencontres de haut niveau dans le domaine de la tech à travers le monde.
Un autre avantage, c’est de bénéficier d’un carnet d’adresses riche afin de bâtir de nouvelles relations d’affaires.
Ensuite, en tant que membre, je suis connecté à des sources d’informations importantes dans mon secteur et dans le monde de business en RDC et en Afrique.
Et finalement, être membre du réseau me donne la capacité de découvrir des opportunités d’affaires grâce aux relations avec d’autres entrepreneurs en Asie, en Amérique et en Europe.
Interview réalisée par Restra Poaty.