Entretien avec Juliana Rotich, une étoile montante dans le domaine de l’informatique
Ayant passé une grande partie de sa jeunesse au Kenya, Juliana Rotich a refusé de suivre un chemin tout tracé.
La plupart des jeunes étudiantes de son âge se résignaient déjà au mariage dès l’obtention de leurs diplômes.
Avec ses grosses lunettes et sa passion pour les sciences et la technologie, Juliana était souvent incomprise et vivait en marge de la société. Malgré cela, elle a tenu bon et a pu réaliser ses ambitions. Aujourd’hui elle est à la tête d’une entreprise africaine d’informatique appelée Ushahidi, qui veut dire témoignage en Swahili. Cette organisation à but non lucratif développe des logiciels qui aident à la collecte et à la diffusion d’informations par SMS, courriel, des formulaires web et twitter.
Depuis sa création, Ushahidi aide à gérer des crises en temps réel en rendant ces informations accessibles à travers une carte interactive. Au Kenya, le logiciel a permis de repérer les zones de conflits après une élection présidentielle controversée en 2008. En Haïti, le logiciel a pu localiser et sauver des gens ensevelis sous les décombres pendant le tremblement de terre en 2010.
Aujourd’hui Madame Rotich essaye d’encourager les jeunes filles à embrasser une carrière en sciences et en technologies de pointe. Elle explique à Jocelyne Sambira, journaliste à Afrique Renouveau, pourquoi il est important pour le monde, et l’Afrique en particulier, d’avoir plus de femmes dans son métier.
Avoir plus de femmes dans le métier de l’informatique et technologie est important car ce domaine demeure largement une affaire d’hommes. Donc, on doit non seulement se soutenir entre femmes, mais aussi faciliter l’émergence d’une nouvelle génération de technocrates. J’ai eu la chance d’avoir l’appui des autres et j’aimerais faire de même pour ces jeunes filles. Je pense qu’il est essentiel pour elles d’oser rêver, d’avoir de grandes ambitions. Et si leur passion est dans les sciences et la technologie, pourquoi pas?
Avez-vous l’impression que les jeunes filles évitent les sciences et l’entreprenariat parce qu’elles pensent que c’est un domaine réservé aux hommes ?
Bien sûr! Il est extrêmement difficile de percer dans ce métier. Les filles de ma génération se résignaient déjà à suivre la tradition, c’est-à-dire se marier et fonder une famille dès la sortie de l’école. Tu devenais la « femme » de quelqu’un et la « maman » des enfants. La route était déjà tracée pour toi. Mais je n’étais pas du même avis. Je pense qu’il est important d’avoir de l’ambition. Je me rappelle la première fois où j’ai lu l’histoire de Mae Jemison, la première femme astronaute afro-américaine.
C’était tellement surréel! Elle était vraiment une source d’inspiration pour moi. Cette femme a été sur la lune ! Il est impératif que des jeunes filles soient exposées dès leur jeune âge aux sciences pour qu’elles sachent que ce n’est pas une chasse gardée des hommes. En Afrique on pourrait faire plus pour encourager les jeunes filles à entrer dans les domaines scientifiques. Des débats en maths et en sciences font rage dans le monde entier mais quelle est notre contribution dans tout cela?
Pensez-vous que l’intégration des femmes en sciences et en technologie peut aider l’Afrique? De quelle manière?
Il y a eu des recherches sur les différentes modes de pensées entre l’homme et la femme. J’ai un ami qui n’y croit pas et qui pense qu’il n’y a pas de distinction entre le cerveau masculin et féminin. Mais un groupe des chercheurs insistent que les femmes ont un raisonnement intégrateur. Cela dit, je pense que les femmes jouent un rôle important dans l’avenir de la technologie. Par exemple, [Augusta] Ada Lovelace fut la première mathématicienne informaticienne à développer ce qu’on appelle aujourd’hui un langage informatique. Ceci est notre histoire, c’est notre héritage. Nous devons continuer dans ce sens. Quant à accroitre le nombre de femmes technologues, je pense que ça nous aiderait dans la vie de tous les jours. Par exemple, au Kenya nous avions beaucoup d’associations locales qu’on appelle des chamas où les femmes se mettent ensemble pour collecter des fonds et monter des petits projets communautaires. Avec l’aide d’une informaticienne ou technologue chaque chama pourrait développer des logiciels pour faciliter le travail. Nous avons de grands défis que la science et la technologie de pointe peuvent nous aider à relever. C’est aussi une façon d’appuyer la nouvelle tendance de chercher des « solutions locales aux problèmes africains ». C’est là ou repose l’avenir du continent.
Pouvez-vous citer quelques femmes scientifiques africaines qui vous inspirent?
Sans hésiter, je peux citer mes collègues Linda Kamau et Angela Odour qui sont les fondatrices d’un projet nommé AkiraChix. J’admire ces femmes car elles sont des technologues d’origine africaine qui font tout pour faciliter l’entrée d’autres jeunes filles dans les sciences.
A peine sortie de l’université, elles ont consacré leur temps libre pour offrir leurs services et leurs expériences aux jeunes filles qui ont voulu suivre le même chemin. Elles font la tournée des écoles et universités pour encadrer ces filles. Elles y vont aussi pour répondre aux questions, donner des conseils et aider ces jeunes filles à résoudre des problèmes épineux d’ordre technique. Je trouve cela épatant.
Thierry Barbaut avec Afrique Renouveau