Le jour se lève à peine dans le quartier d’Abobo, mais à CoqIvoire, on s’agite déjà depuis longtemps. Une cohorte d’employés en blouse blanche s’active pour charger des cartons sur des dizaines de camions frigorifiques. Chaque jour, ces poids lourds parcourent des centaines de kilomètres pour livrer de la viande et des produits de volaille dans les grandes surfaces d’Abidjan et aux quatre coins de la Côte d’Ivoire. « Nos produits sont appréciés dans tout le pays pour leur qualité parce que nous veillons au strict respect de la chaîne du froid », confie Florent Nguessan, directeur d’exploitation de CoqIvoire.
Pour cette filiale du groupe SIPRA, 1e accouveur d’Afrique de l’Ouest, impossible de se passer d’une électricité fiable et abordable. « Dans le froid, une heure de coupure de courant, c’est la catastrophe. » Florent est trop jeune pour s’en souvenir, mais ses collègues lui ont souvent parlé des moments de galère dans les années 1990 où les heures de coupures intempestives les obligeaient à dépenser des fortunes en fioul pour alimenter leur groupe électrogène. « Sans compter les quantités de produits qu’il fallait souvent jeter. »
Ces années difficiles auront pourtant donné l’occasion à la Côte d’Ivoire de trouver une solution énergétique unique et novatrice qui lui permet de posséder le troisième plus grand système de production électrique du continent et d’être l’un des principaux exportateurs d’électricité en Afrique de l’Ouest.
Avec une puissance installée de près de 2 230 mégawatts, la Côte d’Ivoire couvre entièrement sa demande intérieure et dégage un excédent d’environ 10 % qu’elle exporte dans la sous-région. Alors qu’en 2013, seuls 34 % de la population avait accès à l’électricité, la crise post-électorale ayant provoqué une chute de 40 %, près de 94 % des Ivoiriens sont aujourd’hui raccordés au réseau et les abonnés les plus précaires bénéficient d’un tarif social.
« Dès que le Groupe de la Banque mondiale est là, les investisseurs ont confiance. »Jacques Kouassidirecteur technique d’Azito
Chaque jour, des dizaines de poids lourds de CoqIvoire parcourent des centaines de kilomètres pour livrer de la viande et des produits de volaille dans les grandes surfaces d’Abidjan et aux quatre coins de la Côte d’Ivoire. © Erick Kaglan, Banque mondiale
Une révolution énergétique public-privé
« Tout a commencé en 1993, lorsque le gouvernement de l’époque a décidé d’ouvrir le marché de l’énergie au secteur privé pour éviter de revivre la grosse crise de délestage de 1984 », explique Gérard Bile Tanoé, secrétaire général de CI- Energies. Une première en Afrique. L’idée derrière cette décision ? Accroître et améliorer l’accès à l’électricité afin de répondre aux besoins croissants, tout en limitant l’impact sur les finances publiques. Deux consortiums internationaux se lancent dans l’aventure et décident d’investir. Le premier construit la centrale de CIPREL qui commence à produire de l’électricité dès 1995.
Tout au bout de la commune de Youpougon célèbre pour ses commerces et restaurants, dans le village d’Azito, le second investisseur construit et commence à faire fonctionner la centrale thermique du même nom en 1999. « Au début, la centrale produisait 140 mégawatts, nous nous sommes développés depuis 20 ans pour tripler notre capacité qui atteint aujourd’hui 480 mégawatts », précise Jacques Kouassi, directeur technique d’Azito. Un chiffre qui augmentera encore à 700 mégawatts d’ici 2022 avec la quatrième extension en cours de construction.
Si les autorités ivoiriennes ont été visionnaires en décidant de privatiser le secteur, la confiance des investisseurs privés aura été déterminante pour la concrétisation et la réussite de cette vision.
« Différentes institutions du Groupe de la Banque mondiale ont apporté leur soutien dès le début », explique Olivier Buyoya, représentant de la Société financière internationale (IFC) pour la Côte d’Ivoire. Entre 2010 et 2019, IFC, filiale du groupe dédiée au développement du secteur privé, a investi plus de 400 millions de dollars dans la construction et les extensions d’Azito et CIPREL « mais surtout, IFC a réussi à mobiliser d’autres partenaires. » Elle a ainsi pu lever 1,1 milliard de dollars supplémentaire auprès de plusieurs institutions internationales de financement du développement, telles que la AfDB et l’AFD.
De son côté, l’Association internationale de développement (IDA), le fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres, a accordé 30 millions de dollars de garanties afin d’attirer d’autres investisseurs privés et a aidé le gouvernement à structurer le secteur et à faire les réformes nécessaires pour le rendre viable.
Après la crise de 2011, ces deux institutions ont renouvelé leur soutien lorsque Azito a dû augmenter ses capacités pour soutenir la relance économique. À cette époque, l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), est intervenue en apportant une garantie de 116 millions de dollars pour assurer les investisseurs contre les risques politiques. « Dès que le Groupe de la Banque mondiale est là, les investisseurs ont confiance », confie Jacques Kouassi.
Le résultat le plus notable aura été la résilience et l’efficacité opérationnelle du secteur : « Azito n’a jamais cessé de fonctionner », insiste Jacques Kouassi « Même au plus fort de la crise postélectorale de 2010-2011, il y avait toujours de l’électricité, malgré des coupures. »
Les employés du poste de contrôle de la centrale se relaient 24h sur 24 pour s’assurer du bon fonctionnement de la production. © Erick Kaglan, Banque mondiale
De l’électricité pour tous et 42 % d’électricité renouvelable d’ici 2035
Parallèlement à l’augmentation de la capacité de production, le groupe de la Banque mondiale a soutenu la transition vers des énergies plus propres en Côte d’Ivoire. Notamment lorsqu’Azito a investi dans de nouvelles turbines à vapeur en 2013, faisant de la Côte d’Ivoire le 1er pays d’Afrique à adopter le cycle combiné. Une technologie moins polluante qui permet de fournir une électricité bon marché, produite en plus grande quantité et en réutilisant les émanations de gaz. Elle permet aussi de faire face à la baisse de capacité de production des barrages hydroélectriques depuis les années 2010, causée par la diminution des ressources en eau, conséquence du changement climatique.
La même année, afin de faire face à une demande croissante en énergie (de 8 % par an) et de délaisser le fioul au profit du gaz naturel, la Côte d’Ivoire a décidé d’investir dans l’extension de ses champs de gaz naturel réalisée par l’entreprise Foxtrot. IDA et MIGA ont une fois de plus apporté leur soutien avec un financement de 60 millions dollars et une garantie de 437 millions de dollars.
En 2018, le Groupe est encore intervenu pour soutenir à la fois les acteurs publics et privés du secteur : « avec une garantie partielle de 240 millions de dollars d’IDA qui a aidé l’opérateur public CI-Energies à faire face à des difficultés financières, liées à plusieurs facteurs externes tels que la baisse des cours internationaux du gaz, tout en évitant un sauvetage par l’État qui aurait été coûteux pour les finances publiques », souligne Olivier Buyoya. CI-Energies a ainsi pu restructurer sa dette et lever 445 millions d’euros sur les marchés financiers.
Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, l’énergie est produite à 70 % et distribuée à 100 % par des opérateurs privés. Le réseau devrait couvrir 99 % de la population d’ici 2035 et 42 % de l’énergie produite sera renouvelable. De quoi rassurer CoqIvoire.