L’agriculture éthiopienne a connu une révolution majeure en 2008 avec la création de la bourse de matières premières d’Éthiopie
Cette bourse a été créée pour faire face aux nombreux dysfonctionnements du marché des matières premières. Alors comment cette solution basée sur l’amélioration du fonctionnement du marché a-t-elle pu servir plus efficacement les intérêts des agriculteurs éthiopiens?
Des agriculteurs pénalisés par l’absence du marché
Pour faire face aux entraves au bon fonctionnement du marché, le gouvernement éthiopien a créé une bourse de matières premières qui est vu aujourd’hui comme un exemple de réussite totale. Avant la création de l’ECX, le marché des matières premières était caractérisé par la faiblesse des prix aux producteurs. Les études estimaient à 38 % la part du prix qui revenait aux producteurs.
A cela il faut ajouter que les marchés agricoles éthiopiens étaient fragmentés et caractérisés par des coûts de transaction élevés et un risque excessif: risque de défaillance de la contrepartie, mauvaise qualité de certains produits et offres incohérentes. Le marché des produits agricoles en Éthiopie était aussi marqué par une surproduction dans certaines régions et une pénurie dans d’autres. Ceci a amené l’économiste indien, Amartya Sen, à affirmer que la famine n’est pas tant une question de disponibilité de nourriture, mais plutôt de capacité à acquérir ou à se donner le droit d’accéder à cette nourriture via le marché.
Une solution-marché inclusive et contextualisée
La bourse doit son succès en partie à son fonctionnement. Cette bourse est le fruit d’un partenariat public-privé réussi. Initiée par le gouvernement, la bourse de matières premières éthiopienne est dirigée conjointement par des membres issus du secteur privé et du secteur public. Ce partenariat public-privé inclut tous les acteurs qui ont leurs rôles clairement identifiés. Cette approche intégrée a permis la création d’un écosystème tout entier qui a été un facteur clé du succès de la bourse de matières premières.
Dans le but de s’adapter à la réalité du terrain, l’ECX a débuté avec un système d’échanges commerciaux sous forme d’une criée ouverte. Le pays ne disposant pas d’infrastructures pour appliquer un système complètement électronique. Par conséquent, des centres terminaux offrant des informations en temps réel sur le marché ont été créés. Ainsi, les paysans et les petits marchands se rendent dans ces centres sans qu’ils n’aient à acheter un ordinateur ou qu’ils ne maitrisent le fonctionnement des outils informatiques. Ils suivent le déroulement des transactions à la bourse d’Addis Abeba. La mauvaise qualité des infrastructures n’est donc pas un frein à la mise en place d’un marché formel de produits agricoles dans les pays africains.
La valorisation des droits de propriété pour générer du financement
Le développement de la bourse s’est appuyé sur la création d’entrepôts fiables qui ont permis d’accroître la qualité des produits. Le mécanisme mis en place par l’ECX permet d’évaluer (grâce à un laboratoire) la qualité et la quantité des produits lorsqu’ils entrent en entrepôt où une certification de qualité est donnée et des reçus d’entrée en stocks sont délivrés. La bourse est donc basée sur un système de récépissé d’entreposage. En effet, en stockant leurs marchandises dans un entrepôt fiable, les producteurs et marchands de produits agricoles peuvent utiliser les reçus d’entreposage qui sont émis comme garantie de prêt et accéder ainsi au financement sans vendre leurs marchandises. Ce système de reçus d’entreposage qui est une reconnaissance des droits de propriété des détenteurs a permis de combler le gap de financement de l’agriculture.
Elargissement des débouchés pour profiter des économies d’échelle
La création de la bourse a entrainé des améliorations considérables du fonctionnement du marché des céréales (café, sésame, haricots blancs et maïs). D’abord la bourse a réduit les coûts de transaction en facilitant les contacts entre acheteurs et vendeurs, permettant une évaluation rigoureuse de la qualité des produits, s’assurant que les contrats soient exécutoires, fournissant les informations sur les prix et les volumes, simplifiant les transactions avec des contrats standards et transmettant des informations sur les prix et les volumes.
Ensuite, la baisse des coûts de transaction a été répercutée sur les acteurs du marché qui bénéficient directement d’une part plus importante du prix final. En effet, avant la création de la bourse, la multiplication des intermédiaires dans le marché informel augmentait les coûts de transactions et réduisait les gains des paysans. Cette situation a été corrigée par la création de la bourse. Par exemple avec la création de la bourse la part du prix FOB qui revient aux producteurs est désormais de 65 %, voire de 70 %, pour les caféiculteurs éthiopiens.
En outre, la bourse de matières premières a permis d’augmenter le volume du marché, la liquidité et a contribué à réduire le risque. La mise en place de l’ECX a permis la réduction des risques à travers la formalisation et la traçabilité des opérations, la disponibilité de l’information, l’instauration du contrôle qualité dans les entrepôts, l’identification des acteurs, la mise en place des règles protégeant les acteurs et l’utilisation des services bancaires pour les paiements.
Par ailleurs, l’amélioration des conditions du marché génère à son tour des incitations à l’augmentation du volume des transactions et incite à une participation accrue sur le marché. Cette expansion des échanges occasionnée par la bourse a permis de profiter des économies d’échelle et de favoriser l’investissement des producteurs. Le volume des échanges sur la bourse d’Éthiopie ne cesse de croitre depuis sa création. Par exemple le volume de café et de sésame échangé est passé de 138 000 tonnes en 2008 à 715 000 tonnes en 2015-2016[2]. La création de l’ECX a aussi permis de régler certains risques comme la volatilité élevée des prix des récoltes alimentaires.
Somme toute, la création de cette bourse a permis la formalisation du secteur d’intermédiation qui était informel, ce qui est en train de permettre la sortie de milliers d’agriculteurs de la précarité. L’ECX pourrait servir d’exemple, à condition que les autres pays retiennent deux leçons: d’une part, que les solutions-marché, quand elles sont implémentées dans les règles de l’art, pourraient être au service des pauvres. Et d’autre part, quelle que soit le succès d’une expérience, il ne saurait nous exempter de l’effort de l’adaptation aux réalités du terrain.
KRAMO Germain, analyste économiste.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique