En janvier dernier, Yahya Jammeh, le Président autocratique qui a régné en maître absolu sur la Gambie pendant 22 ans, a fini par concéder le pouvoir après 6 semaines d’incertitudes, de volte-face, de bras de fer, de pression militaire et de pourparlers.
Sans heurt, la Gambie a réussi une transition démocratique historique après plus de deux décennies de dictature épouvantable, mais à quel prix ?
Une mobilisation des citoyens et une opposition unifiée
Si l’heureux aboutissement de ce bras de fer qui a duré six semaines résulte de l’effort conjugué de plusieurs acteurs, rien de ce qui est arrivé aujourd’hui en Gambie n’aurait été possible sans l’expression de la volonté populaire. D’abord, le désir de changement véhiculé à travers les urnes ainsi qu’une élection crédible et transparente ont été des facteurs déterminants.
En effet, dans bien des pays en Afrique, les populations, à tort ou à raison croient en l’élection truquée (jouée d’avance) et se complaisent dans un attentisme ou un boycott. Pire, les leaders de l’opposition partent en rangs dispersés ou se tirent dans les pattes. Dans le cas gambien, l’unanimité des partis d’opposition s’est faite autour d’Adama Barrow, bien que ce dernier n’était qu’une alternative suite à l’incarcération par le régime Jammeh du candidat originel.
Une coalition qui a mené le combat à travers le vote citoyen. Pour faire respecter cette volonté populaire jusqu’au bout, il aura fallu les pressions concertées et insistantes des pays de la sous-région et la menace d’une intervention militaire de la CEDEAO afin de forcer Jammeh à lâcher le pouvoir.
Une communauté régionale et internationale concernées
La solidarité internationale et le prompt engagement de la CEDEAO, appuyés par l’Union Africaine (UA) et l’ONU ont été déterminants dans la résolution de la crise. La communauté Ouest-Africaine a su allier les missions de bons auspices, les persuasions, la pression militaire sans jamais vaciller de position. La CEDEAO donne ainsi un bel exemple d’efficacité à ses analogues qui semblent impuissants, ou peu disposés à fustiger des dirigeants qui s’éternisent au pouvoir malgré le verdict des urnes.
En Afrique francophone et anglophone, les mauvais exemples sont légion. En 2015, face au Président burundais, Pierre Nkurunziza qui s’est accroché au pouvoir après l’expiration de son mandat, la Communauté d’Afrique de l’Est n’a esquissé qu’une condamnation du bout des lèvres. Plus regrettable encore, l’UA a fait marche arrière sur le projet d’envoi de 5000 soldats pour pacifier le pays alors que, plus de 250.000 personnes ont dû trouver refuge dans les pays voisins.
En 2008, la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) n’avait pas produit un résultat probant dans la résolution de la crise post-électorale au Zimbabwe. Récemment encore, les Gabonais fatigués d’un pouvoir héréditaire qui dure depuis 50 ans, ont été laissés seuls face à leur sort.
Les Etats membres de la Communauté Économique et Monétaire des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC), ont une fois encore confirmé la maxime africaine qui prétend que « Entre musaraigne on ne peut s’insulter l’odeur ». Dans la crise gambienne, si la renonciation des caciques du régime et le déclanchement d’une intervention militaire aux frontières gambiennes ont eu l’effet escompté, il ne faudrait pas ignorer les capacités de persuasion des Présidents guinéen et mauritanien à l’ultime moment sans qu’on ait eu besoin de tirer un seul coup de feu.
Une prime pour les dictateurs ?
Bien évidement, des promesses ont été faites au dictateur. Des assurances qui sonnent comme une prime à l’autocratie et à la dictature. Sans trop s’épancher sur le cas de Blaise Compaoré, qui était revêtu d’une certaine discrétion en 2015, celui de Jammeh, insolent et ostentatoire, sonne comme une insulte à l’endroit du peuple gambien opprimé.
Il est évident que pour aider à la mise en place d’une transition pacifique, il fallait coûte que coûte trouver les voies et moyens pour amener Jammeh à un accord et préserver les vies humaines. Cependant, la CEDEAO, l’UA et l’ONU en ont remis plusieurs couches. Quelques morceaux choisis : La CEDEAO, l’UA et l’ONU se sont engagés à empêcher la saisie des biens et propriétés appartenant légalement à l’ancien Président Jammeh ou à sa famille et à ceux de ses membres du Cabinet, de ses fonctionnaires et de ses partisans garantis. Ceux-ci, en complicité, se sont à leur tour engagés à travailler pour le Gouvernement de la Gambie afin d’assurer la dignité, la sécurité et les droits de la famille immédiate du Président Jammeh, des responsables de la sécurité, partisans et loyalistes du parti.
En l’état, le document rendu public par les trois organisations est dépourvu de toute valeur juridique. Toutefois, s’il advenait que cet accord soit mis en œuvre, ce serait une entrave grave à la justice et à la manifestation de la vérité. Car, en plus d’offrir un exil doré, on prend en charge le train de vie du dictateur exilé, voiture de luxe, ressources du trésor public et autres biens embarqués pour Malabo. L’accord lui donne même un bonus avec la promesse d’une impunité pour lui et toute la cour des laudateurs et zélateurs.
Même si pour l’instant, la priorité doit être donnée à la paix et la relance économique, tôt ou tard, la justice devra se pencher sur les nombreux crimes commis par le régime Jammeh. Cela relève d’une action thérapeutique pour les victimes qui ont souffert dans leur chair et dans leur identité. Cette justice participe également à la réconciliation tant souhaitée pour lancer la nouvelle Gambie.
Et puis, pour un Jammeh détracteur historique de la Cour Pénale Internationale, la justice gambienne devrait être une alternative crédible. Pour autant, les nouveaux maîtres de Banjul doivent garder à l’esprit que la prison ou les poursuites judiciaires n’ont presque jamais réglé des conflits dans le monde depuis des lustres. Ce sont juste des moyens de maintien de l’ordre sans rendre justice.
Kassim HASSANI, journaliste béninois.