Le groupe Wendel élargit ses investissements à l’international avec un premier pas en Afrique en devenant le principal actionnaire d’IHS, gestionnaire indépendant de tours de télécommunications pour un montant de 125 millions de dollars. Il confirme que ce premier pas pourrait être suivi d’autres sur le continent.
Le groupe Wendel se définit de lui-même comme un investisseur de long terme : l’entreprise familiale exerce le métier d’actionnaire et d’investisseur professionnel et accompagne le développement à long terme d’entreprises leaders dans leur secteur. Le modèle d’entreprise du groupe Wendel réunit la passion d’entreprendre, héritage d’une longue tradition familiale, et la culture de la performance et de la responsabilité.
Chez info-afrique, nous étions extrêmement curieux de comprendre la stratégie du reconnu groupe Wendel en Afrique : quelles perspectives, quelle vision d’avenir et surtout à quel degré d’implication ? Participation à des entreprises locales ? Développement durable ?
Stéphane Bacquaert, Directeur Associé nous a reçus dans les locaux de Wendel à Paris :
Stéphane Bacquaert : Wendel est une holding familiale cotée en bourse sur la place de Paris. Groupe industriel du secteur de la sidérurgie pendant près de 300 ans, Wendel exerce dans le monde de l’investissement depuis la fin des années 70. Dans l’esprit de l’action d’Ernest-Antoine Seillière, artisan de la réorientation de Wendel comme actionnaire de référence et investisseur professionnel il y a près de 35 ans, notre équipe gère aujourd’hui une dizaine de participations dans des sociétés de croissance internationale, afin de les accompagner dans leurs développements. C’est par exemple dans cet esprit, que nous avons investi dans Bureau Veritas il y a 18 ans, et chez Legrand, il y a 10 ans …
Thierry Barbaut : Qu’entendez-vous par « actionnaire de référence » ?
Stéphane Bacquaert : Nous souhaitons être soit majoritaire au capital de l’entreprise soit premier actionnaire. Notre objectif est de jouer le rôle d’un actionnaire actif et impliqué, c’est un des fondements de notre stratégie d’investissement. Nous restons prioritairement intéressés par des investissements en Europe et en Amérique du Nord dans des sociétés non cotées, internationales et très exposées aux marchés émergents. Parmi nos sociétés en portefeuille, Bureau Veritas réalise 18% de son chiffre d’affaires en France et 54% dans les marchés émergents. Mais nous avons aussi créé notre entité Oranje-Nassau Développement pour des investissements de croissance et d’innovations, dans toutes les zones du monde. .
Thierry Barbaut : Donc promouvoir une communication mais aussi un développement et une stratégie à l’international ?
Stéphane Bacquaert : Absolument. Nous visons bien sûr les zones émergentes, et ce, depuis longtemps indirectement au travers des entreprises dont nous sommes actionnaires.
Et il y a un an, nous en sommes venus à la réflexion suivante : ne pourrions-nous pas investir directement dans les zones émergentes pour en capter le potentiel ?
Thierry Barbaut : C’est donc par cette réflexion stratégique que vous avez été amené à investir en Afrique qui, je crois, est une première pour le groupe Wendel ?
Stéphane Bacquaert : Exactement. Les indicateurs sont au vert partout sur le continent africain. Les perspectives de développement sont gigantesques avec une croissance démographique forte et une population jeune. Nous avions conscience du formidable essor de l’Afrique au travers des sociétés dans lesquelles nous sommes actionnaires, qui sont présentes sur le continent et capables de nous donner des signaux fiables sur les tendances des marchés. Cela n’a fait que renforcer notre désir d’investir d’une manière plus directe.
Je vous cite deux exemples. Bureau Veritas, qui est en contrat avec le gouvernement ivoirien pour l’inspection des marchandises importées arrivant au port d’Abidjan, est présent dans 46 pays d’Afrique avec 3 000 employés ! Et Mecatherm, leader mondial des équipements de boulangerie industrielle, a installé 16 lignes de production de pains en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, en RDC ou en Guinée. Les gouvernements, en partenariat avec des entreprises privées, investissent aussi dans des unités de production industrielle afin d’accompagner la demande en pain des populations. Mecatherm a des projets au Mozambique, en Angola et au Nigéria dont la seule capitale, Lagos, rassemble 21 millions d’habitants, imaginez la production nécessaire pour répondre aux besoins !
Thierry Barbaut : Et donc quelle est votre stratégie en Afrique ?
Stéphane Bacquaert : Nous avons une stratégie adaptée à ce continent nouveau pour Wendel. Nous pourrions investir pour des montants unitaires jusqu’à 200 M€ en fonds propres, prioritairement dans des sociétés de croissance panafricaines qui ne dépendent pas d’un seul pays. Nous souhaitons aussi nous allier à des partenaires de référence, déjà engagés en Afrique, comme la Société Financière Internationale (Groupe de la Banque mondiale) dans le cas d’IHS. Enfin, nous souhaitons exercer un rôle actif avec une influence forte dans la gouvernance des sociétés.
IHS & Le Groupe Wendel
Thierry Barbaut : Donc en 2012 cap sur l’Afrique avec le début de l’aventure avec IHS ?
Stéphane Bacquaert : Oui, IHS remplissait tous les critères d’investissement que je viens de vous énumérer. Et avant d’investir, nous avons aussi pu récolter de nombreux éléments sur le secteur et leurs acteurs, grâce en particulier à Bureau Veritas qui certifie la conformité de tours de télécommunication en Afrique de l’Ouest.
Thierry Barbaut : IHS s’est d’abord implanté au Nigéria qui devrait s’imposer comme un des leaders économiques du continent Africain. Nous évoquions dans Info-Afrique.com le développement démographique de ce pays qui passerait de 170 millions d’habitants aujourd’hui à 400 millions en 2050, devenant ainsi un des pays les plus peuplés au monde.
Stéphane Bacquaert : Les défis sont, en effet, importants dans ce pays, il va falloir nourrir, aménager et développer le pays, et bien sûr le connecter. Nous avions étudié de nombreuses possibilités d’investissements comme en Afrique du Sud mais ce pays est déjà très avancé et notre choix stratégique s’est porté sur une entreprise implantée en Afrique sub-saharienne, région dont le potentiel nous a été confirmé par les analystes. Au Nigéria plus particulièrement, le potentiel est considérable et le droit des affaires, qui est d’inspiration anglaise, est très apprécié. Et n’oublions pas que c’est le premier marché télécom en Afrique et que c’est le seul pays africain où il y a 5 opérateurs internationaux.
Thierry Barbaut : Vous avez donc investi dans une société leader au Nigéria ?
Stéphane Bacquaert : Oui mais ce qui nous a vraiment séduits dans IHS, c’est de pouvoir l’accompagner dans sa stratégie panafricaine. Elle a d’ailleurs récemment racheté près de 1800 tours au plus grand opérateur télécom panafricain MTN au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, IHS gère près de 6000 tours dans 5 pays d’Afrique.
Thierry Barbaut : Pouvez-vous nous parler de l’historique d’IHS ?
Stéphane Bacquaert : IHS est une entreprise qui a réuni un père et son fils, le père est un spécialiste de la construction et le fils est ingénieur télécom. Ils ont décidé d’allier leurs compétences respectives afin de conquérir le marché des tours télécoms.
La proximité du fils avec les acteurs des télécoms leur a permis de s’imposer rapidement comme constructeur de tours télécoms, avec de très nombreuses installations et dans de nombreux pays entre 2001 et 2008.
Un virage s’amorce en 2009 avec une nouvelle stratégie : investir dans les sites géographiques, dans le matériel, et ne plus construire seulement des tours pour le compte des opérateurs, mais aussi et surtout pour IHS en propre et ensuite proposer des formes de « concessions » aux différents opérateurs afin qu’ils puissent y installer leurs antennes. Les tours sont devenues disponibles à la location, avec de multiples opérateurs par tours. C’est un nouveau modèle économique avec des loyers garantis sur 15 ans indexés sur l’inflation.
Ce métier de « towerco » nécessite un vrai savoir-faire local : acquisitions des sites, installations électriques (groupes électrogènes ou systèmes solaires), sécurité des tours, logistique … Ce foisonnement de savoir-faire fait que IHS dispose d’une expertise unique, alors que les opérateurs télécoms ne sont pas experts dans ce domaine et se concentrent sur les services à délivrer à leurs clients utilisateurs. Ils sont donc plus soucieux d’accéder à un service « clef en main » afin de se connecter et de couvrir la zone désirée. IHS a su se placer comme un acteur majeur au service des opérateurs.
Thierry Barbaut : Donc les opérateurs peuvent s’appuyer sur une structure locale et se concentrer sur les développements de leurs offres comme la 3G ou la 4G et non sur les investissements et services des infrastructures physiques.
Stéphane Bacquaert : Et s’assurer une qualité de services garantie et optimale auprès d’un expert reconnu.
Thierry Barbaut : Et quand on connait le potentiel de développement du mobile en Afrique, ou le filaire n’existe pas, c’est proposer à des millions de gens d’accéder au téléphone mobile, de communiquer et d’avoir l’ensemble des services associés, données, images etc… Les applications sont nombreuses et plébiscitées par les populations.
Stéphane Bacquaert : Oui, même si la téléphonie fixe ou la fibre existent, c’est uniquement dans certaines capitales que l’offre est disponible. La pénétration du mobile reste faible et nous voyons que le marché se développe chaque jour avec un potentiel énorme. Nous savons bien que quelle que soit la technologie, il faudra des tours pour diffuser les ondes. Même si un système novateur arrivait, il serait dépendant des ondes et donc des tours telecoms, encore pour de nombreuses années…
Thierry Barbaut : Quel est le coût moyen d’une tour ?
Stéphane Bacquaert : Il faut compter 200 000 dollars. Alors, certes, les pays sont extrêmement contrôlés, et il faut absolument respecter les normes. Gérer aussi les impacts environnementaux dus aux groupes électrogènes et faire en sorte que le développement des infrastructures ne se transforme pas en nuisances. La régulation est différente de celle en Europe mais tout aussi sévère.
C’est aussi ce qui pousse le régulateur à imposer progressivement le partage des tours télécoms entre les différents opérateurs. Ce qui est, bien sûr, très favorable au modèle économique d’IHS.
Un autre phénomène se produit, un opérateur ne souhaitera probablement pas louer un espace sur la tour de l’un de ses concurrents et vice-versa. C’est la possibilité pour IHS de se démarquer en tant qu’acteur indépendant, offrant un service avec un loyer au cours du marché. IHS se place en quelque sorte en intermédiaire, expert et indépendant, pour offrir un service de location sur des tours télécom.
Thierry Barbaut : Justement ce marché que représente t’il concrètement pour IHS et donc Wendel en matière de développement ?
Stéphane Bacquaert : Aujourd’hui il y a 170 000 tours sur le continent africain, tous les analystes s’accordent à dire qu’il en faudra au minimum 300 000. Le besoin en tours est dicté par la demande, que ce soit en zone urbaine ou rurale, de se connecter aux réseaux mobile, avec, comme nous l’avons déjà évoqué, la possibilité ensuite d’accéder au réseau 3G et 4G et de gérer de la donnée.
Thierry Barbaut : Comment sont composées les équipes d’IHS ?
Stéphane Bacquaert : C’est un véritable melting-pot de compétences, de cultures, et de nationalités. Parmi les dirigeants d’IHS, on compte des Libanais, Nigérians, Kenyans, Indiens, Anglais et Français… Bien évidemment, les acquisitions au Cameroun et en Côte d’Ivoire vont conduire IHS à renforcer ses équipes par des équipes locales dans ces deux pays.
Thierry Barbaut : IHS prend en charge 100% des travaux ? De l’achat des terrains aux matériaux jusqu’à la livraison clef en main de la structure ? Cela nécessite une parfaite connaissance non seulement du terrain mais aussi de la culture et des règles d’implantations selon les zones géographiques. Selon les régions les cultures changent et les règles aussi !
Stéphane Bacquaert : Exactement, ils sont capables de le prendre en charge et de le gérer très efficacement, grâce à leur expérience et à leurs réseaux dans les pays où la société opère. IHS est capable de trouver les terrains à l’achat ou en location dans des zones d’implantation qui sont étudiées afin de répondre aux demandes des opérateurs pour leurs couvertures réseaux tout en minimisant la gêne pour les populations ou villages alentours. IHS est depuis longtemps au Nigéria et par son expérience dans ce pays, nous savons que ses dirigeants sont très sensibles à la culture et aux traditions des communautés du pays et respectent les populations, les cultures et l’environnement.
Thierry Barbaut : Entre les constructeurs de tours comme IHS, et les opérateurs qui se livrent une bataille sans merci pour conquérir le marché colossal du mobile, comment se développent les rapports, ne sont t-ils pas concurrentiels ?
Stéphane Bacquaert : Ils sont plutôt partenaires ! Comme je vous l’expliquais, les opérateurs télécoms préfèrent se concentrer sur leur cœur de métier et dédier leurs investissements à l’acquisition de licences 3G ou 4G. C’est bien pour cela que certains opérateurs mettent en vente aujourd’hui leurs propres tours. IHS se développe donc soit en construisant de nouvelles tours, comme au Nigéria, soit en rachetant des portefeuilles de tours comme ce qui vient d’être fait avec MTN en Côte d’Ivoire et au Cameroun.
C’est là que Wendel intervient en apportant son support stratégique et des capitaux propres qui vont permettre à IHS de développer son parc de tours dans plusieurs pays en Afrique.
A plus long terme, notre conviction est que IHS dispose d’une valeur stratégique très importante car la société possède fondamentalement des milliers de sites en Afrique avec un accès à l’électricité et une connectivité voix/données. L’avenir nous montrera quel peut-être le potentiel de ces sites au-delà des télécoms et pour d’autres types de services.
Les choses vont vite en Afrique, et nous suivons de près le développement de cet incroyable continent.
Le site web de Wendel
Le site d’IHS
Thierry Barbaut
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