La saison des pluies est de retour. Cette année, elle affiche un bilan très lourd: plus de 20 morts, des éboulements de routes et de maisons. Dans ce chaos, les mêmes questions reviennent : Pourquoi chaque année, l’on assiste au même scénario dramatique? Qui en est le responsable ?
A l’origine le déficit d’offre
Il n’est un secret pour personne que le pays connaît un déficit de logements. En effet, selon une étude réalisée, l’an dernier, par l’union nationale des fonctionnaires, il faut plus de 600.000 logements pour satisfaire une demande de plus en plus pressante. Pour y arriver, il est besoin de construire en moyenne 25.000 logements par an. Malheureusement, le gouvernement ivoirien n’a pas anticipé cette demande.
D’aucuns estimeront que c’est le manque de planification par le gouvernement ivoirien qui est à l’origine de ce déficit. Bien au contraire, c’est la planification centralisée avec ses limites dans la collection des informations et sa faible réactivité, qui expliquent que les bureaucrates dans l’administration centrales sont incapables de répondre aux vrais besoins des populations, encore moins à les prévoir.
A titre d’illustration, les plans de zonage déterminant l’allocation du foncier entre les différents usages (résidentiel, commercial, industriel, etc.) ne correspondent pas toujours à la réalité du terrain, et sont décidées souvent en dehors de toute logique économique. Cette allocation bureaucratique du foncier se traduit par l’imposition des restrictions sur des terres disponibles. D’où la rareté des terres constructibles entraînant la flambée des prix et du coût de revient des logements. A Abidjan, le prix moyen mensuel du loyer d’un studio dans la commune de Cocody gravite autour de 70 000 francs CFA et 40 000 dans la commune de Yopougon alors que le SMIG est de 60 000 francs CFA. Ces prix n’étant pas accessibles à tous, une partie de la demande s’en trouve exclue, ce qui explique l’installation de populations à faible revenu dans des bidonvilles ou sur des sites à risques.
Des réglementations incitant à l’incivisme et à la corruption
Le processus d’acquisition d’un permis de construire présente des dysfonctionnements favorisant la corruption et l’incivisme. Ainsi, les personnes physiques doivent débourser la somme de 50 mille francs CFA contre 100 mille pour les opérations immobilières pour obtenir en 31 jours (chiffre officiel) le permis de construire de la mairie. Ce délai s’allonge à 41 jours pour le permis de construire ministériel et un coût annexe de l’arrêté de concession définitive variant en 81 mille et 101 mille francs CFA.
Dès lors, le processus d’obtention du permis de construire devient long et compliqué. Selon le dernier classement Doing Business qui enregistre les procédures, le temps et les coûts qui sont nécessaires à la construction d’un entrepôt, le pays occupe le 152ème rang mondial (162 jours et 4,5 % du coût de l’entrepôt) contre 134 jours et 6,2% au Mali (124ème) et 110 jours et 18,5% au Nigéria (147ème).
Aussi, certaines règles encadrant les conditions requises à chaque étape du processus d’obtention du permis laissent un pouvoir discrétionnaire aux agents de l’administration, notamment les servitudes de salubrité, de sécurité publique, de caractère architectural et de conservation des sites. Usant de ce pouvoir discrétionnaire, ils peuvent extorquer des pots-de-vin aux usagers.
Les inondations ont aussi révélées des constructions sur des voies d’écoulement des eaux en violation des normes
Comment les propriétaires de cet immeuble ont pu obtenir le permis de construire? Le non respect du plan directeur de la ville d’Abidjan est monnaie courante en raison de la corruption des responsables censés veiller sur le respect des normes.
Des quartiers ont été construits sans un réseau d’évacuation d’eau efficace. Ainsi, les ordures sont constamment déversées dans les caniveaux empêchant les eaux de ruisseler normalement. C’est le cas du quartier Riviera Bonoumin de la commune de Cocody où 22 villas ont été détruites à cause d’un immeuble (Immeuble Bahia) de 7 étages construit sur les voies d’évacuation des eaux et bouchant les canalisations. Les eaux ont envahi et détruit ces villas.
La nécessité d’une approche décentralisée favorable à l’entrepreneur
Les gouvernements successifs semblent agir chaque année dans l’urgence sans un plan global pour sortir du gouffre des inondations. Pour être efficace, ce plan ne devrait pas être confiné à l’assainissement mais prendre en compte tous les autres aspects connexes. Ainsi, le plan d’aménagement du territoire national devrait être adapté aux réalités locales à travers une approche décentralisée impliquant les populations à la base.
Il faudrait intégrer la gouvernance électronique dans le processus d’obtention du permis de construire
La prise en compte des réalités de chaque région pourrait réduire les conflits fonciers récurrents. En mai dernier, l’ex ministre de la construction, du logement et de l’urbanisme, Claude Isaac Dé avait suspendu la délivrance des ACD : 5 000 litiges fonciers ont été enregistrés à Abidjan et Grand-Bassam.
Ensuite, il faudrait intégrer la gouvernance électronique dans le processus d’obtention du permis de construire à toutes les étapes de sorte à réduire le contact entre les agents de l’administration et les usagers. Il est besoin également de réduire et harmoniser les délais et les coûts d’obtention du permis de construction délivré par les mairies et le ministère en précisant les règles afin de limiter le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires.
Par ailleurs, une plus grande implication du secteur privé contribuerait à relever le double défi de financement des projets immobiliers et de gestion des logements. Un allègement des conditions de création et d’exploitation d’entreprises immobilières renforcerait le professionnalisme et réduirait la part de l’informel. Et ainsi engendrer une saine concurrence susceptible de faire baisser les prix et démocratiser l’accès au logement pour les populations à faible revenu. Pour ce faire l’amélioration continue de l’environnement des affaires et un allègement fiscal attractif sont incontournables pour accroître les investissements et donc l’offre de logements ainsi que leurs coûts sur le marché.
Enfin, la mise en œuvre du schéma directeur d’assainissement et de drainage du District autonome d’Abidjan (530 milliards de francs CFA sur la période 2018 à 2033), adopté, le 16 mai dernier, devra prendre en compte un volet d’éducation des populations à la culture de la salubrité en impliquant les collectivités territoriales.
Prévenir efficacement les inondations dans l’avenir nécessite un plan global intégrant des alternatives aux différents déterminants. Pour y arriver, le gouvernement se doit d’assumer ses responsabilités en offrant un cadre incitatif et responsabilisant aux entrepreneurs pour qu’ils répondent aux besoins des Ivoiriens.
FANGNARIGA YEO, activiste des droits de l’homme et blogueur. Le 13 août 2018.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique