Dans un récent rapport intitulé “Africa’s Pulse” publié en avril 2023, la Banque mondiale souligne la nécessité pour les gouvernements africains d’investir davantage dans le capital humain, plus particulièrement dans l’éducation, afin de faire face à l’augmentation de la démographie qui sera inévitablement confrontée à la digitalisation de l’économie[1]. Cependant, les politiques publiques et les investissements actuels en faveur de l’éducation ne suffisent pas à adapter parfaitement la formation aux besoins réels et changeants des économies africaines. Pour guider le continent africain vers un développement socio-économique plus inclusif, la coopération en matière de formation entre les secteurs privés et publics, mais également entre les États africains – mais pas seulement – semble être une voie à emprunter.
Un système de formation existant mais inadéquat au regard des besoins du continent
Le nombre d’apprenants sur le continent africain connaît une croissance fulgurante depuis plusieurs années, atteignant même des chiffres records dans certains pays. Au Niger, par exemple, le nombre d’apprenants dans les établissements d’EFTP (Enseignement et Formation Techniques et Professionnels) a augmenté de 385 % entre 2013 et 2017, passant ainsi de 68 486 à 332 025. Cependant, malgré cette forte demande en formation, le système éducatif africain peine à l’absorber totalement[2].
De plus, comme souligné dans un rapport de 2019, une baisse de la qualité de la formation a été notifiée dans 24 des 54 pays africains concernés par l’étude menée entre 2014 et 2017[3]. Les diplômés africains sont également confrontés à un décalage entre leur formation et les besoins du marché du travail, plus précisément dans le secteur privé. En effet, la formation ne pousserait pas assez les jeunes Africains vers l’entrepreneuriat et entraînerait souvent un écart important entre la théorie et la pratique dans de nombreux secteurs. Afin de répondre aux besoins grandissants de nombreux secteurs, des premières pistes suggèrent la nécessité d’une collaboration coordonnée des acteurs privés, des gouvernements, des institutions financières et des centres de formation afin d’aligner la demande en formation avec les besoins réels de l’économie[4].
Les systèmes de formation africains doivent donc faire l’objet d’une réforme structurelle afin de répondre aux exigences de l’économie. Pour y parvenir, la coopération internationale dans la formation des jeunes talents est fondamentale pour pallier les besoins grandissants de nombreux secteurs et à différents niveaux. Depuis 2019, le gouvernement français a initié le Fonds de solidarité pour les projets innovants, les sociétés civiles, la francophonie et le développement humain (FSPI), qui permet via plus de 40 projets de structurer l’offre de formation et de renforcer les capacités des établissements de formation. En outre, depuis 2021, l’Agence Française de Développement (AFD) a lancé son programme “Partenariats avec l’enseignement supérieur africain”, qui vise à développer des filières de formation prioritaires pour le développement durable[5].
Les pays africains sont également à l’origine de cet élan en faveur d’une coopération multilatérale profitant aux apprenants et correspondant aux besoins de la société. La Banque africaine de développement a récemment approuvé la création d’une académie virtuelle pour renforcer les capacités de gestion des finances publiques dans les pays africains. Cette académie offrira une assistance technique par le biais de formations structurées, ciblées, dédiées et locales ainsi que par le biais d’un dialogue politique.
L’Afrique emprunte de manière significative la voie de la Quatrième Révolution industrielle, poussant ainsi l’économie du continent à se digitaliser de plus en plus. Dès lors, l’enjeu de la formation, notamment dans les nouvelles technologies, est plus que crucial. En effet, la population étant amenée à augmenter de manière considérable d’ici 2050, l’éducation et l’apprentissage seront joueront un rôle clé permettant aux populations de bénéficier des apports socio-économiques qui découleront de cette numérisation croissante de l’économie. Selon les prévisions, cette digitalisation massive et multisectorielle pèsera 712 milliards de dollars en 2050 contre 180 milliards d’ici 2025. La priorité doit donc être donnée à la formation numérique pour en faire bénéficier 650 millions d’Africains d’ici 2030.[6]
Cependant, ces initiatives demeurent malheureusement insuffisantes compte tenu de la forme actuelle que prend la formation en Afrique et des particularités socio-économiques du continent. Dans un contexte de développement économique, de transition démographique, de digitalisation et de dérèglement climatique, la formation catalyse les espoirs de faire concorder l’éducation des plus jeunes aux besoins de la société. Toutefois, l’instabilité politique et les conflits qui gangrènent l’Afrique sont des facteurs qui rendent difficile l’établissement de la sécurité de la formation pour tous. En ce sens, la coopération internationale en matière de formation se pose comme un vecteur de développement socio-économique, à condition qu’elle soit menée avec efficacité.
La coopération internationale en matière de formation – au numérique – pour préparer l’Afrique au monde de demain
En 2023, l’École Normale Supérieure (ENS) a lancé un nouveau partenariat avec deux universités du Sénégal et d’Afrique du Sud. Le programme de formation intitulé « Nouvelles compréhensions du monde », se concentre sur les défis et crises posés par les transformations actuelles telles que la Covid-19 et le dérèglement climatique et vise à encourager les étudiants à réfléchir à leur place et à leur rôle dans la construction du monde de demain. Ces formations, bien que récentes, préparent les apprenants à penser des solutions innovantes permettant de répondre aux besoins actuels et futurs de l’Afrique.
La formation proposée par l’ENS n’est pas un exemple isolé. Dès 2017, l’UNESCO organisait au Zimbabwe une formation pour les dirigeants de centres de formation afin de leur permettre d’adapter leurs méthodes aux objectifs de développement et aux enjeux contemporains. L’un des modules intitulé “Transition to green economies and digital societies” appuyait le besoin de les adapter aux impératifs environnementaux, sociaux, économiques et politiques et à verdir le secteur de l’enseignement pour qu’il réponde aux préoccupations croissantes liées aux bouleversements climatiques et numériques[7]. Cette coopération entre une institution internationale et des dirigeants de centres éducatifs soulignait déjà la volonté de rendre la formation utile au bon développement socio-économique.
Cependant, en dépit des efforts menés pour transformer la forme et le fond des systèmes de formation africains, le défi premier demeure celui de l’absorption de la demande par les centres. C’est d’ailleurs ce pour quoi l’UNESCO a organisé en février 2023 une réunion avec ses partenaires afin de définir un plan d’action ayant pour objectif l’accès de 10 millions d’apprenants à la formation d’ici 2029. Ce plan, tourné à la fois vers l’inclusion et la demande du marché du travail, témoigne du double défi quantitatif et qualitatif que pose la formation en Afrique.[8]
De plus en plus, des initiatives voient le jour afin de rendre la formation plus en adéquation avec le développement social et économique de l’Afrique. Cette année, Google a lancé un programme pour soutenir les start-ups technologiques africaines dirigées par des femmes et destiné à aider les fondatrices à répondre aux défis liés à la collecte de fonds, au recrutement et à la création de produits. L’entreprise Huawei est également très investie dans ce secteur. La compagnie a en effet développé de nombreux programmes à destination des étudiants pour les former aux nouvelles technologies. Parmi ceux-ci, le programme Seeds for the Future et son concours Tech4Good. Le 5 janvier 2023, l’équipe algérienne SevenG a par ailleurs remporté le second prix de cette compétition mondiale grâce à sa solution FarmAI d’autonomisation de l’agriculture grâce à l’intelligence artificielle. A cet effet, l’équipe s’est envolée en Chine courant avril, aux côtés des équipes irlandaises et italiennes également finalistes de ce concours, ce voyage venant compléter leur formation avancée en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC). L’ensemble de ces initiatives a pour objectif commun de donner à la formation le pouvoir d’avoir un impact concret sur le développement socio-économique des populations africaines.
En somme, le système éducatif africain, bien que connaissant une croissance importante en nombre d’apprenants, peine actuellement à répondre aux besoins de l’économie et de la société en matière de formation. Des réformes structurelles sont nécessaires pour aligner l’offre sur les besoins du marché du travail, et une coopération internationale est indispensable pour renforcer les capacités des établissements et offrir des formations adaptées aux particularités socio-économiques du continent. La digitalisation massive et multisectorielle qui s’accélère renforce l’importance de la formation numérique pour bénéficier pleinement de ses apports socio-économiques. Les initiatives actuelles provenant des secteurs publics et privés ainsi que d’organisations internationales témoignent d’un engagement commun pour améliorer la qualité et l’inclusivité mais demeurent encore trop peu nombreuses pour faire pleinement de la formation un vecteur du développement socio-économique de l’Afrique.
[1] “Africa’s Pulse”, Groupe Banque Mondiale, avril 2023.
[2] “The Paradox of technical and vocational education in Africa”, African Center for Economic Transformation, octobre 2022.
[3] “African Governance Report 2019”, Mo Ibrahim Foundation, octobre 2019.
[4] “Youth Entrepreneurial Ecosystem for Sustainable Development in Sub-Saharan Africa”, Alliance for African Partnership, avril 2022.
[5] “La coopération universitaire et scientifique en Afrique”, France Diplomatie, août 2022.
[6] “Numérique en Afrique : l’urgence de la formation”, Le Point Afrique, décembre 2022.
[7] “UNEVOC TVET Leadership Programme for Southern and Eastern Africa”, UNESCO, octobre 2017.
[8] “UNESCO’s Global Skills Academy convenes partners to set up action plan to support 10 million learners by 2029”, UNESCO, février 2023.