En dirigeante accomplie, Betty Mould Iddrisu livre les 10 leçons principales du leadership féminin en Afrique et les difficultés que les femmes doivent surmonter pour atteindre le sommet et y rester.
Il y a une dure réalité attachée au leadership des femmes en Afrique.
J’en ai rêvé et je l’ai vécue. Graduellement, les femmes ont passé outre les barrières historiques qui étaient en place jusqu’à une époque récente, barrières qui limitaient leur ascension vers les plus hauts sommets du pouvoir et du leadership dans des secteurs importants de la société.
D’avoir l’audace d’aspirer à atteindre des sommets que peu de femmes ont atteints peut être satisfaisant, mais aussi être révélateur d’expériences mixtes, de perspectives uniques et à l’occasion de déceptions inexplicables.
1° PAS ASSEZ AU SOMMET AU NIVEAU NATIONAL ET REGIONAL
Même avec la meilleure réussite de tous les temps, avec deux femmes présidentes, une femmes Premier ministre et des femmes qui occupent 19,7% des sièges au parlement sur tout le continent, tout le monde sera d’accord pour dire que ce nombre de femmes dans les échelons supérieures de la politique – symptomatique de la représentation féminine dans d’autres secteurs de la société – est affligeant en terme d’équité et des principes démocratiques de participation. Il n’y a pas de doute qu’il y a eu des moments de succès significatifs dont il y a lieu d’être fier.
Le Rwanda, l’Afrique du Sud et le Mozambique sont parmi les pays qui ont le plus fort pourcentage de femmes au parlement. Toutefois, il reste un long chemin à faire. Plus j’ai grimpé au cours de ma progression dans le leadership et plus dure la réalité est apparue.
Nous devons toujours saluer la valeureuse contribution des échelons moyens et inférieurs, mais nous devons être à la table haute afin de participer, contribuer et partager le pouvoir qui façonne nos destinées nationales et régionales. Peut-être que nous faisons des progrès significatifs, mais je sais avec certitude que le statu quo n’est ni juste ni acceptable.
2° UNE DURE ASCENSION ET LES PLUS GRANDES DIFFICULTES POUR RESTER AU SOMMET
Les femmes africaines souffrent de préjugés systémiques lors de leur cheminement vers le sommet. D’abord on ne nous prend pas au sérieux parce que les hommes sont convaincus que les femmes sont intrinsèquement moins compétentes. Les cas de harcèlement sexuel dans l’éducation et sur le lieu de travail, qui inhibent le progrès des femmes vers le sommet, sont bien documentés. De plus, les devoirs de la maternité peuvent être écrasants s’ils ne sont pas soigneusement gérés.
La plupart des hommes sont convaincus que les femmes doivent prendre la principale responsabilité en ce qui concerne la famille. Il s’en suit que travailler tard le soir, participer à des séminaires le weekend, des voyages d’affaires outre-mer, qui sont autant de contributions pour tout travailleur sur le chemin vers le sommet, s’avèrent souvent très difficiles pour les jeunes épouses et mères qui travaillent. Parvenir au tiers supérieur est rare et lorsque vous y parvenez vous avez à affronter l’hostilité et les doutes quant à vos compétences parce que vous êtes une femme. Une femme au sommet travaille plus durement qu’un homme afin de prouver ses compétences et pourtant elle continue à devoir faire face aux préjugés enracinés et à l’hostilité pour son rôle de patronne et leader dans un environnement de travail largement dominé par les hommes
3° SANS SOUTIEN VOUS NE POUVEZ PAS REUSSIR
La politique, celle des compagnies ou du parti, est cruelle et ne pardonne généralement rien. Ceci n’est nulle part plus évident que pour les femmes en Afrique. Comme il est estimé que le rôle d’une femme consiste à soutenir son mari et sa famille, les coups durs et la politique d’insultes, qui caractérisent généralement le leadership public, ne sont pas acceptables pour la famille d’un politicien et ces femmes sont considérées comme apportant « la honte et l’opprobre » à leur famille.
Les femmes leader et les politiciennes ont besoin du soutien de leurs sœurs, mère, grand’mère, tantes, camarades d’école et ne peuvent progresser sans leur soutien actif et exprimé. Il est généralement considéré que les femmes ne se soutiennent pas les unes les autres et l’expérience de nombreuses femmes confirment cette dure réalité. Cela nécessite beaucoup de force intérieure et une peau de rhinocéros.
4° TROP D’OBSTACLES A SURMONTER EN DEPIT DE PROGRES DANS DIFFERENTS SECTEURS CRUCIAUX
Malgré des progrès remarquables, en dépit des nombreuses percées et d’une prise de conscience croissante et l’acceptation du leadership des femmes en Afrique, il reste bien trop d’obstacles empêchant le leadership des femmes et leur ascension. La société africaine traditionnelle est toujours enfermée dans des myriades de barrières destinées à maintenir les femmes dans un état de subordination dans la société. Des pratiques coutumières, hostiles et cruelles à l’égard des femmes, un accès restrictif aux études qui empêche une petite fille d’aller et de rester à l’école, la pauvreté endémique qui affecte les femmes rurales paysannes sont autant d’obstacles qui contribuent à les maintenir à l’écart du leadership actif sur le continent. La plupart des obstacles légaux empêchant leur progrès ont été surmontés ou abolis sur le continent, en particulier au cours des trente dernières années. Le défi est donc de se défaire des perceptions d’un autre âge du rôle de la femme dans la société et ceci ne peut se produire qu’avec le temps et une attitude positive. Nous allons de l’avant, mais je sais pour sûr qu’il reste de nombreux obstacles à franchir.
5° LES TRADITIONS NE DOIVENT PAS NOUS RETENIR. ELLES PEUVENT SERVIR DE CATALYSEURS
Les traditions ne sont pas supposées être stagnantes. Elles peuvent être utilisées comme instruments du changement. Ce changement est généralement induit par les femmes elles-mêmes. Certains aspects de la tradition africaine tentent de maintenir les femmes silencieuses, subordonnées, des citoyennes de deuxième classe, alors que de nombreuses autres saluent la dignité et le respect sacré de la féminité. Bien que je sois consciente des nombreux aspects délétères de nos traditions, j’ai toujours vu et utilisé la dimension de la culture qui autorise à faire et la tradition comme catalyseur pour un changement positif : autoriser à faire, à légitimer et à promouvoir les femmes africaines dans le rôle de leadership.
La culture peut être utilisée pour nous retenir, mais nous pouvons aussi former les cultures de sorte qu’elles soient libératrices. Toutefois, une bonne partie des traditions africaines, qui ont peut-être leurs racines dans des histoire et cultures glorieuses, ont été récupérées par les hommes pour tendre des embuscades aux femmes, pour les empêcher de réaliser leur plein potentiel de leadership. Mais je sais aussi que nous pouvons trouver la force et les opportunités dans les valeurs et le dynamisme dans nombre de nos cultures.
6° L’EDUCATION, QUOIQUE DESIRABLE, N’EST PAS TOUT
Une éducation supérieure est désirable, mais n’est pas une précondition pour un leadership féminin réussi sur le continent. L’éducation assure une reconnaissance automatique dans la société parce qu’elle permet aux femmes d’avoir un certain cachet. Toutefois, et bien que je ne puisse assez mettre l’accent sur l’importance qu’elle a pour chaque femme leader, je sais aussi qu’une éducation formelle ne suffit pas en elle-même à fournir tous les outils nécessaires à la survie et à la réussite dans les échelons supérieurs de leadership. Surtout l’absence d’éducation ne disqualifie pas une femme et ne l’empêche pas d’exceller.
7° RIEN NE REMPLACE LE DUR LABEUR, LE COURAGE INTERIEUR ET LA DETERMINATION
Compte tenu du scepticisme intrinsèque concernant les capacités des femmes à réussir en Afrique, cela signifie simplement que les femmes leader doivent travailler deux fois plus durement.
Le chemin vers la réussite est parsemé d’embûches qui requièrent une énorme somme de courage et de détermination pour ne pas dévier. Je sais avec certitude, qu’avec ou sans défi particulier, un dur labeur est un impératif inévitable pour un leadership réussi.
Au vu des défis spécifiques, de préjugés et de scepticisme à l’encontre des femmes dirigeantes, la femme leader africaine n’a aucun choix hormis de travailler durement et avec détermination.
Peu importe ses qualifications ou son charme, son degré de motivation ou sa spiritualité, une femme dirigeante en Afrique doit travailler plus durement que ses collègues masculins, si elle veut compter un tant soit peu.
8° CRUCIAL LE RESEAU
Les plaintes abondent dans toute l’Afrique que les femmes dirigeantes ne contribuent pas à améliorer le statut des femmes dans la société. Mais seule une femme qui a été au sommet et a fait de son mieux pour faire une différence peut véritablement comprendre les difficultés qu’il y a à être la seule de son espèce au sommet.
Les femmes dirigeantes ont besoin et doivent élaborer leurs réseaux et leurs alliances avec la base et la société civile afin de pouvoir répondre aux besoins des femmes à la base et du leadership. On est tellement solitaire au sommet de l’échelle, mais je sais que des réseaux plus larges et plus solides de la base, des professionnelles et des alliés de la société civile fournissent une force puissante sur laquelle sûrement s’appuyer.
9° PEU IMPORTE VOS COMPETENCES, VOTRE EXPERIENCE ET VOTRE POUVOIR, IL Y A DES DEFIS PARTICULIERS QUI VOUS CONFRONTENT
Vous êtes toujours vue comme une « femme dirigeante » et non comme juste un « leader ». Vous êtes une Africaine, une citoyenne et un leader, votre « féminité » reste la mesure prédéfinie de la société quant à votre leadership.
Par conséquent, le défi d’être une femme leader est multiplié parce que vous êtes une femme africaine. Mais les dures réalités du leadership féminin en Afrique sont innombrables : la sous représentation des femmes en politique et parmi les dirigeants à tous les niveaux, des pratiques traditionnelles et culturelles négatives et cruelles, le statut subalterne des femmes, le manque d’éducation et le degré de pauvreté sont autant de défis à surmonter pour atteindre le leadership.
10° OUI ! LES FEMMES AFRICAINE PEUVENT !
S’il est une chose que j’ai apprise et que je crois sans le moindre doute, c’est la capacité des femmes de diriger dans n’importe quel secteur et à tous les niveaux. Nous pouvons continuer à exceller au même titre que les hommes. Nous pouvons continuer à trébucher le long du chemin tout comme les hommes. Nous pouvons même échouer de temps en temps, tout comme les hommes ont échoué dans l’histoire. Mais je sais avec certitude que nous sommes capables, nous avons le droit et nous pouvons certainement conduire ce continent. Oui nous pouvons !
Thierry Barbaut
www.info-afrique.com