Les sept Français enlevés en février dans le nord du Cameroun sont libres !
« Ils sont tous sains et saufs », a dit Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence camerounaise, ajoutant que les sept membres de la famille avaient été remis aux autorités camerounaises hier soir. L’annonce a été confirmée par le président Biya à la radio nationale.
L’Élysée confirme la libération des sept Français enlevés en février au Cameroun par Boko haram. Ils sont « tous en bonne santé ».
Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui est sur place, annonce que la famille sera « le plus vite possible rapatriée en France ».
Il a également déclaré qu’« ils sont extrêmement heureux et en forme ».
Notre envoyé spécial Christian Locka à enquêté sur place:
Du Cameroun au Nigeria, la difficile chasse au Boko Haram
Armes lourdes et légères, check-points, interpellations…après le rapt de sept touristes français par la secte islamiste Boko Haram, les armées nigérianes et camerounaises ont intensifié la croisade contre les terroristes pour protéger les populations et retrouver les otages. Sous équipées et corrompues, elles se heurtent aux populations qui refusent de coopérer par crainte de représailles. Reportage.
Il n’a rien oublié de la scène inhabituelle. «Des hélicoptères de l’armée survolaient le village pendant que les voitures 4X4 allaient dans tous les sens. Parmi les militaires, il y avait des blancs aussi. On fouillait les cars de transport. Des villageois ont été interrogés. Certains se sont enfermés chez eux par crainte. Les plus courageux cherchaient à savoir ce qui n’allait pas», se souvient Simon. Assis dans sa cabine téléphonique de fortune ce 19 février 2013, le bonhomme reçoit dans la foulée une visite surprise. Des militaires fouillent son téléphone portable. Ils sont à la recherche des appels émis vers le Nigeria après l’enlèvement de sept touristes français par la secte islamiste nigériane Boko Haram à Dabanga, une localité de l’extrême-nord du Cameroun. « Ils n’ont rien trouvé», se réjouit-il.
Près de deux mois plus tard. Dabanga, le village natal de Simon, tente de revivre comme auparavant. Il est 18 heures. Les derniers rayons du soleil disparaissent à l’horizon. Des paysans trainent leurs ânes chargés de sacs de mil. Les petits commerçants ruent sur les passagers des cars soumis au contrôle de la Douane. Mais tout cela ne convainc pas encore Abdoulaye, un notable. «Nos mouvements sont discrètement surveillés par les forces de l’ordre. Elles craignent que les malfaiteurs nous infiltrent comme les ravisseurs ont fait avant d’enlever les français. La nuit, il n y a pas de couvre feu mais on dort tôt parce que les militaires peuvent te confondre à un terroriste. On comprend vraiment que rien ne sera plus comme avant », me confie t-il, l’air inquiet.
Abdou a raison. Inquieté pour la première fois par le terrorisme, le Cameroun a lancé la contre-attaque à Dabanga. A la brigade du coin, les gendarmes ne sont plus les seuls occupants. A visages découverts ou cagoulés, des éléments du Bataillon d’intervention rapide(Bir), une force militaire spéciale, armés de fusils mitraillettes, de grenades, de lance-roquettes et des munitions en bandoulière, investissent les lieux. Partis des différentes bases à travers le pays, ces commandos ont la mission de neutraliser les terroristes. A bord des pick-up, ils patrouillent sur le bitume dégarni de l’axe Maroua-Kousseri jusqu’à Amchidé à la frontière nigériane. En chemin, des équipes mixtes constituées de gendarmes et policiers effectuent des contrôles de routine d’identification des passagers. Ici, la fouille est expressément absente pour des raisons de rackets. «Si tu as 1000 f cfa, donne-lui. Sinon, on va passer la nuit ici », lance froidement un passager à un tchadien qu’un policier vient de faire descendre du car pour, dit-il, un sauf conduit illisible. Ainsi dit, ainsi fait.
Des centaines de kilomètres incontrôlés
Après l’enlèvement des touristes français, la sécurité de certains ressortissants de l’hexagone a été renforcée. C’est le cas à l’Alliance Française de Garoua, la capitale de la région du nord, où des gendarmes montent la garde. Il en est de même autour de certains sites touristiques. Mais ces mesures de dissuasion prises à l’intérieur n’effacent pas le souci du contrôle des frontières. Notamment la savane parsemée d’arbustes qui s’étend à perte de vue sur des centaines de kilomètres entre les postes frontières.
Ces zones qui échappent à tout contrôle des forces de sécurité font le bonheur des terroristes et des trafiquants. Inquiétant. «Nous devons travailler nuit et jour avec des hélicoptères, disposer de plus de véhicules, d’hommes et de munitions pour pouvoir contrôler ces étendues inhabitées.
L’Etat ne dispose pas assez de moyens», m’explique, sous anonymat, une source militaire. Qui ajoute « c’est pourquoi nous demandons aux populations de collaborer en dénonçant tout suspect ». L’aveu d’impuissance est à peine voilé. A Doblé, un village camerounais, je tombe sur des motos qui faufilent au quotidien avec des passagers à travers la savane jusqu’à Bama, une localité de l’Etat du Borno au Nigeria, sans être aperçus par les forces de sécurité des deux pays.
Devant les immenses zones poreuses, le Nigeria ne fait pas mieux. A bord d’une Peugeot 504 long châssis, je quitte Banki, premier village nigérian frontalier de l’extrême nord du Cameroun. Sur le chemin de Maiduguri, capitale de l’Etat du Borno, on trouve une dizaine de check-points faits tantôt de sacs ou de fûts bourrés de sable, tantôt de troncs d’arbres secs. Ils sont tenus par des éléments en treillis de la Joint Task Forces (jtf), une force mixte composée de policiers et de militaires. Ces hommes et femmes doivent combattre le terrorisme au nord Nigeria. Casques visées sur la tête, mitraillettes ou kalachnikovs au poing, gilets pare-balles et sacs à dos chargés.
Chaque soldat traine environ 50 kg sur lui. Au dessus des véhicules 4×4 aux vitres fumées, des lance-roquettes et des mitraillettes à la portée des éléments prêts à dégainer. « Il n’est pas bon d’avoir affaire à ces gens. Ils peuvent te tuer si tu ne fait pas ce qu’ils veulent », me conseille le chauffeur. La crainte se justifie. Certaines forces de sécurité exécutent parfois des innocents sans sommation ni procès. Des défenseurs des droits de l’homme et la presse condamnent, le gouvernement fédéral ne bronche pas. Comme au Cameroun, le dispositif sécuritaire se déploie sur les axes. Les zones de savane, elles, restent orphelines.
Une prime de 3200 nairas par soldat
Le contrôle des voitures se déroule en langue Hausa, la plus parlée dans la région. Pour booster le moral des troupes, l’Etat, apprend t-on, verse à chaque soldat au front, une prime quotidienne de 3200 Nairas, soit 10.000 fcfa. Insuffisant pour stopper les rackets. « Bonjour chef », lance le chauffeur au militaire cagoulé en lui tendant de la main gauche un billet de 5O nairas, la devise locale. « Quand ils ont le visage caché, ils ne parlent pas beaucoup. On sait déjà ce qu’il faut faire». Au Nigeria, double champion du monde de la corruption comme le Cameroun, la gangrène est un mode de vie.
Elle est souvent à l’origine des scandales jusqu’au sommet de l’Etat mais continue à se pratiquer à ciel ouvert. Deux heures de route plus tard, nous voici à Maiduguri. Mendicité, promiscuité, sol desséché souvent sans électricité, la ville ne paie pas de mine. Pourtant, elle fait régulièrement l’actualité avec ses attentats, ses enlèvements, ses assassinats.
C’est ici que Muhamed Yusuf, un musulman trentenaire, fonde la secte Boko Haram pour exiger l’application de la charia. Avant sa mort en 2009, la secte est passée de la revendication pacifique à la lutte armée. Plus de 3000 morts dejà malgré le couvre feu entre 21 heures et 5 heures. «On épie tout le monde. Si quelqu’un t’indexe comme un suspect, tu vas certainement mourir », m’explique un étudiant. Dans les quartiers ou en pleine ville, pas un pas sans tomber sur les forces de sécurité en tenue ou en civil.
Début mars, Goodluck Jonathan, président du Nigeria, a effectué sa toute première visite dans la ville sinistrée sous une haute sécurité. Deux semaines sont passées. Des chars de guerre occupent encore les rues. Au Nigeria, l’arsenal contre le terrorisme n’est plus seulement sécuritaire. Le senat fédéral vient de voter une loi condamnant à mort quiconque est jugé coupable d’actes terroristes. Des centaines de présumés membres de la secte croupissent dans les unités de police de Maiduguri en attente de jugement. Beaucoup ont été tués par les forces de sécurité à l’insu de leur famille. « Nous avons cherché notre frère pendant huit mois avant d’apprendre à travers un de ses amis qu’il a été tué par la police. On disait qu’il est terroriste alors qu’il n’était rien », raconte, les larmes dans la voix, un habitant.
Les islamistes refusent de négocier
Les officiels aboient en appelant au calme, Boko Haram passe avec sa caravane de terreur dans des localités du nord. Les revendications des islamistes qui au départ tournaient uniquement autour de la loi islamiste commencent à changer. «Les enlèvements démontrent par exemple qu’ils ont un besoin d’argent pour pouvoir tenir longtemps face à la puissance de feu de l’armée. Sur ce plan, Boko Haram est sur les pas de Ansaru, ses dissidents.
Il y a également la revendication politique qui serait apaisée avec le retour aux pouvoir d’un nordiste. Plusieurs fois, le président Goodluck a tendu la main aux islamistes pour que la paix revienne. Il se heurte toujours au refus de négocier. Les populations témoins ou victimes des exactions de l’armée refusent de coopérer avec l’Etat pour retrouver les cachettes des terroristes parce qu’elles craignent pour leur sécurité », m’explique Alabura Danjuma, enseignant à l’université de Maiduguri.
Le Nigeria et le Cameroun, qui partagent une frontière commune de 2000 kilomètres, ont signé le 28 fevrier 2009 à Abuja un accord bilatéral pour sévir contre le terrorisme et la piraterie maritime.
En 2012, le Cameroun a livré à la police nigériane une centaine de membres présumés du Boko Haram interpellés sur son sol. Mais, ce n’est pas assez comme en témoigne le rapt des touristes français. Désormais, le pays de Paul Biya, handicapé par une armée sous équipée et corrompue, rejoint au front son géant voisin qui, depuis quelques années, tente de défier les terroristes sans résultats probants.
Christian Locka, à Dabanga et à Maiduguri
Thierry Barbaut