Depuis la chute de Blaise Compaoré en 2014, une fièvre culturelle s’est emparée du Burkina Faso
Partout, on ne parle que de la mode patriotique consistant à privilégier la nourriture, les vêtements, la musique locale, et bien d’autres produits locaux. Déclenché et appuyé par les nouvelles autorités, cet élan patriotique n’épargne aucune sphère et aucun secteur. Il irradie tout le pays si bien que le citoyen burkinabè qui ne s’inscrit pas dans cette tendance est parfois vu d’un mauvais œil.Une situation qui amène à s’interroger sur le bien-fondé de ce phénomène.
La récente décision du conseil des ministres remet au goût du jour le port du pagne traditionnel « faso danfani » (qui signifie en dioula « pagne tissé de la patrie »), en invitant les femmes à l’honorer pendant la journée internationale de la femme. Depuis, les plus hauts dirigeants l’arborent ostensiblement et incitent la population à leur emboîter le pas. Le phénomène va même dépasser le cadre de la mode vestimentaire pour toucher d’autres secteurs. Aujourd’hui au Burkina, il faut que les citoyens montrent leur fierté d’être burkinabè en consommant les produits locaux. Ce n’est pas un désavantage si on considère que la culture est essentielle dans la vie d’un pays.
Cependant, si la volonté de mettre en avant la culture Burkinabè semble légitime, il n’en demeure pas moins qu’elle ne doit pas être décrétée. Démarche qu’adoptent pourtant les autorités burkinabè au mépris de la liberté de choix. La consommation locale serait-elle la seule expression de la nationalité ?
En clair, il faut suivre la tendance pour ne pas être considéré comme cosmopolite. Cette pression subie par la population constitue visiblement une violation de la liberté individuelle. Or, la violation d’une telle liberté non seulement remettra en cause l’efficacité de ces campagnes de patriotisme culturel, mais débouche sur des comportements de résistance et de contournement. Il faut garder à l’esprit que, en son temps, Thomas Sankara avait déjà imposé par décret le port du « faso dan fani » et des tenues en étoffe aux fonctionnaires. Le résultat, on le connaît : ledit pagne a été surnommé « Sankara arrive » et était rangé aux tiroirs pour être hâtivement porté lors de visite inopinée des autorités.
Ainsi, cette approche s’est révélée inefficace et inadaptée. Prenons l’hypothèse que les produits burkinabè ne remplissent pas les exigences des citoyens (qualité et/ou prix), les populations auront donc plus d’intérêts à consommer des produits non locaux. Et si l’Etat fait l’erreur d’imposer des quotas de produits culturels, comme le préconisent les jusqu’au-boutistes de la mode made in Faso, cette désaffection n’en sera que renforcée. Ces quotas s’apparenteront à des rentes et installeront les producteurs locaux dans une certaine facilité. Par conséquent, ces derniers ne seront pas incités à améliorer leurs produits et entrainant ainsi un cercle vicieux : les produits culturels locaux ne sont pas à la hauteur et sont imposés aux consommateurs, ce qui n’incite pas les producteurs locaux à innover, la qualité des produits locaux ne s’améliorera donc pas et les consommateurs s’en détourneront davantage.
Au demeurant, les dirigeants doivent faire attention à la voie que peut prendre une telle propagande. Si cette mode patriotique prend de fortes proportions, elle risque d’occasionner des situations non souhaitables tel le boycott de tout ce qui vient de l’extérieur ou encore le repli du pays sur lui-même. Pour preuve, cette mode a provoqué une frénésie chez certains, les transformant en radicaux. C’est le cas par exemple de Pascal Tapsoba, porte-parole des femmes tisseuses béog-neeré qui se plaint que la teinture utilisée pour le faso dan fani ne provient pas du Burkina, mais du Mali. « Est-ce ce que le père de la Révolution, paix à son âme, Thomas Sankara faisait ? Non ! C’était : produisons burkinabè et consommons burkinabè », souligne ce dernier.
Quant au journal en ligne, « Les échos du Faso », ulcéré par l’omniprésence de la musique ivoirienne dans les maquis et dancing de Bobo-Dioulasso en pleine semaine nationale de la culture, il martèle : « Il faut une dictature culturelle pour imposer la promotion des rythmes burkinabè ». Tout ceci montre que la pente est glissante et qu’il est nécessaire de modérer le discours pour ne pas tomber dans le chauvinisme du protectionnisme.
Enfin, le gouvernement burkinabè ne doit pas oublier qu’une culture locale ne s’épanouie qu’au contact des autres cultures : c’est l’échange qui permet à chaque culture de se développer. Au contraire, le repli identitaire ne favorise que le déclin. Dans un monde globalisé, les individus n’ont pas qu’un seul cercle d’identité, mais plusieurs qui interagissent en fonction de leurs contacts et de leurs échanges. D’où la nécessité pour le gouvernement d’adopter une meilleure démarche, respectant la liberté de choix des citoyens, qu’il s’agisse des produits à consommer ou de l’identité à construire, le tout dans une société ouverte sur les autres.
Zakri Blé Eddie, Etudiant en droit, Abidjan-Cocody