Dans un monologue surprenant de maturité, Nada, une Yéménite de 11 ans, explique avoir fui ses parents pour échapper à une union arrangée.
Dans un vibrant plaidoyer, Nada al-Ahdal dénonce la tradition, courante, du mariage imposé aux enfants au Yémen. «Qu’en est-il de l’innocence des enfants? Quel mal ont-ils fait pour être mariés de force?
Moi, j’ai réussi à trouver une solution à mon problème, mais d’autres enfants innocents n’ont pas pu y échapper. Ceux-là risquent de mourir ou de se suicider.» Une option qu’elle déclare envisager sérieusement. «Je préfère mourir plutôt que d’être mariée de force!» s’exclame-t-elle, émue.
Traumatisée par la mort de sa tante, qui s’est immolée à 14 ans après avoir été mariée de force, Nada a quitté le domicile de ses parents après avoir appris qu’ils se préparaient à la fiancer. Venant d’une famille pauvre de huit enfants, elle avait été confiée à son oncle à l’âge de 3 ans.
Nada a grandi avec lui et sa grand-mère dans la ville d’al-Hudaydah, à 250 km environ à l’ouest de la capitale, Sanaa. Non voilée, elle y prend des cours de chant, passe une enfance qui semble heureuse. Mais récemment, le départ de son oncle pour Sanaa l’a contrainte à rentrer chez ses parents. C’est alors qu’elle les entend discuter de son futur mariage.
«Ils ont tué nos rêves!»
Dans la vidéo, elle dit: «Je me suis enfuie chez mon oncle, mais il n’était pas chez lui. Donc j’ai appelé Abd al-Jabbar pour qu’il vienne me chercher». Cet homme est son ancien professeur de chant, qui aurait tourné la vidéo et l’aurait postée sur Internet début juillet pour contrer les accusations de la mère de Nada, selon laquelle son oncle aurait kidnappé la petite fille.
«Ce n’était pas la première fois que les parents de Nada voulait la fiancer, et son oncle avait réussi à décourager son premier prétendant», explique Hind al-Eryiani, journaliste et activiste yéménite, qui a couvert l’histoire de Nada pour le site d’information libanais NOW.
«Ensuite, mon oncle est venu me chercher», continue Nada. «J’ai déposé plainte contre ma mère à la police. Je leur ai dit que j’ai 11 ans, et qu’elle veut me marier de force. Je n’aurais pas eu de vie, ou d’éducation. N’ont-ils donc aucune compassion?… Ils ont tué nos rêves. Ils ont tué tout ce qui était à l’intérieur de nous!» martèle la petite fille.
Réfugiée dans un centre d’hébergement pour femmes
Depuis qu’elle a été traduite en anglais par l’Institut de recherche des médias du Moyen-Orient (Memri) le 21 juillet, la vidéo a été vue plus de 6 millions de fois. Le Memri est basé aux États-Unis, et a été fondé par un ancien colonel des services secrets israéliens. L’institut a été critiqué pour ses traductions à caractère politique dans le passé, notamment par le Guardian , mais il semble que la traduction dans ce cas-ci soit exacte.
Aujourd’hui, Nada a trouvé refuge auprès de l’Union des femmes yéménites. «J’ai demandé à ses parents de signer une attestation certifiant qu’ils ne la marieront pas de force», explique Ramzia al-Eriyani, présidente de l’Union des femmes yéménites. «Son père a accepté, mais sa mère refuse toujours. Elle a dit que Nada est sa fille, et qu’elle peut faire ce qu’elle veut d’elle.»
La petite fille continuera à être hébergée par l’Union des femmes yéménites tant que sa mère refuse de signer cette attestation. «Si son oncle déménage à Sanaa avec sa grand-mère, Nada peut aller vivre avec eux, et j’enverrai une assistante sociale pour vérifier que tout va bien», ajoute Ramzia al Eriyani.
«Il y a beaucoup de Nada au Yémen»
Après avoir parlé à Nada à plusieurs reprises, celle-ci se dit impressionnée par la petite fille. «C’est une fille très intelligente, très bien. Elle m’a dit plusieurs fois, en pleurs, qu’elle se suiciderait si nous la renvoyons chez ses parents. Mais malheureusement, il y a beaucoup de Nada au Yémen. Son cas n’est pas isolé. Rien que cette semaine, j’ai accueilli deux petites filles de 10 ans qui allaient être mariées de force.»
Au Yémen, il n’existe pas de minimum légal pour le mariage. En moyenne, 14 % des filles sont mariées avant l’âge de 15 ans, et 52 % avant leur majorité. Dans les régions les plus reculées, elles sont parfois mariées dès l’âge de 11 ans, dénonce ce rapport de Human Rights Watch.
En 2011, un projet de loi était examiné au Parlement, qui aurait fixé l’âge minimum du mariage des femmes à 17 ans, et pour les hommes à la majorité. Il a été abandonné, les islamistes et les conservateurs s’opposant à ce qu’il soit assorti de sanctions. Hind al-Eriyani se dit confiante et pense que la loi sera bientôt votée. «Aujourd’hui, avec la Conférence de dialogue national, le sujet est à nouveau sur la table», explique-t-elle. Porté par le printemps arabe, le pays a traversé une grave crise politique en 2011, qui a signé la fin du règne du président Ali Abdallah Saleh.