Il est vrai que le contexte le favorise, mais en Europe il est difficile d’imaginer que le Nigéria soit en passe de subir un tel bouleversement !
Manque d’infrastructures, pénurie dans les magasins, densité du trafic automobile… Pas facile de faire du lèche-vitrines à Lagos.
En revanche, les sites de vente en ligne prospèrent et proposent toutes sortes de produits aux ex-accros du shopping.
Mary Enweasor gère une petite boutique qui vend des boissons et des petites choses à grignoter dans la plus grande ville du Nigeria. Elle a fait des économies pour s’acheter de nouvelles chaussures, mais elle ne sait pas très bien où se les procurer : la qualité de celles vendues sur les immenses marchés de Lagos est douteuse, le porte-à-porte est très limité et le centre commercial flambant neuf propose des produits trop chers.
Mme Enweasor appelle donc sa sœur, qui a Internet à son travail. Le lendemain, une moto s’arrête dans la petite rue truffée de nids-de-poule qui passe devant sa boutique et un coursier de Konga.com lui remet un paquet contenant deux paires de ballerines.
« Parfait ! s’exclame Mme Enweasor en examinant son acquisition avant de payer ses 7 500 nairas (37 euros). Et, en plus, le service est rapide. »
A l’heure où les économies africaines comme celle du Nigeria décollent, les consommateurs et une classe moyenne émergente participent de plus en plus à la croissance du continent. Et comme dans n’importe quel pays du monde développé, cette classe moyenne fait désormais ses courses en ligne.
Malgré une population de 160 millions de personnes, le Nigeria compte peu de magasins de qualité.
Internet se développe rapidement. Konga et Jumia, des sites de vente en ligne similaires à Amazon, traitent près de mille commandes par jour à eux deux, six mois seulement après leur lancement. En proposant de tout, des sous-vêtements à l’iPad, et en permettant aux clients de payer en espèces à la livraison, ces nouvelles entreprises et leurs investisseurs étrangers pensent pouvoir rafler une part importante du marché de la consommation.
L’appétit de la classe moyenne
Sim Shagaya, un entrepreneur nigérian, a fondé Konga en juillet 2012 dans un quatre pièces, avec une vingtaine de salariés. La société emploie aujourd’hui 150 personnes et dispose d’un vaste entrepôt à Lagos, bourré de vêtements, livres, DVD, congélateurs, téléviseurs à écran plat, jouets et cosmétiques. Konga possède un autre dépôt à Abuja, la capitale fédérale, et un à Port Harcourt. Ils peuvent effectuer des livraisons n’importe où dans le pays en moins de cinq jours.
Pour Sim Shagaya, la réussite rapide de Konga témoigne de l’appétit de la classe moyenne du Nigeria, dont le PIB croît de plus de 6 % par an depuis 2006. Les problèmes d’infrastructures du pays et le manque de qualité des magasins participent également à son succès. Si plusieurs centres commerciaux à l’occidentale se sont ouverts au cours des dernières années, le prix du terrain et le manque de place dans les villes très peuplées comme Lagos entravent le développement de la distribution.
Lagos, avec ses 12 millions d’habitants, ne compte que deux centres commerciaux aux normes internationales, selon le fonds d’investissement privé Actis. En outre, les embouteillages fréquents n’incitent pas vraiment les gens à sortir de chez eux.
« Ce n’est pas que les gens ont forcément envie d’acheter en ligne, c’est qu’ils ont envie d’acheter tout court, explique Sim Shagaya.
Ici, la distribution est informelle, fragmentée et inefficace. Les gens ne veulent pas se compliquer la vie, c’est pour cela que nous avançons à grands pas avec l’e-commerce. »
Konga et ses concurrents ont dû modifier le modèle traditionnel de la vente en ligne pour l’adapter aux conditions locales. Nombre de Nigérians n’ont pas de carte bancaire et les gens se méfient des arnaques en ligne.
Les clients règlent donc en espèces à la livraison. Et comme les services postaux ne sont pas fiables, les sociétés de vente en ligne ont dû se constituer une flotte de coursiers, de motos, de vans et de tuk-tuk pour livrer les commandes dans les grandes villes. DHL se charge des livraisons dans le reste du pays.
Des start-up petites et spécialisées
Le buzz du commerce en ligne nigérian résonne bien au-delà des frontières du pays. La société d’investissements suédoise Kinnevik et le géant sud-africain des médias Naspers ont pris des parts dans Konga.
Son concurrent, Jumia, a des sites en Egypte, au Maroc et au Kenya, et surtout un soutien de taille : la compagnie fait partie de Rocket Internet, une société allemande qui a lancé des sites de commerce électronique dans le monde entier. Summit Partners, JPMorgan et Millicom, un opérateur de téléphonie mobile, ont apporté d’autres fonds.
Thierry Barbaut
Avec le Courrier International